À Charles Spon, le 29 avril 1644, note 33.
Note [33]

« que celui qui veut rester honnête quitte la cour », extrait de La Pharsale (Bellum civile, livre viii, vers 493‑494), seul ouvrage qui ait subsisté du poète latin Lucain (Marcus Annæus Lucanus, Cordoue 39-65) ; c’est un poème en dix livres, consacré à la guerre civile de Rome qui opposa César à Pompée, au ier s. av. J.‑C., et qui se conclut par la bataille de Pharsale.

La prévention de Guy Patin contre la cour et les grands est restée constante durant toute sa vie. La déception jalouse y avait fort peu de part ; ce qui dominait était le refus orgueilleux d’avoir à courber très bas l’échine pour un soupçon d’influence, et souvent moins d’argent qu’on en méritait vraiment avec en prime, la menace d’être durement tancé, voire remercié au moindre faux pas. Le tempérament de Patin n’était tout simplement pas compatible avec la médecine de cour. La bourgeoisie, le clergé et la petite noblesse formaient l’essentiel de sa clientèle.

Achevé en 1639, le Palais-cardinal servit d’abord de demeure à Richelieu, qui le légua au roi. Peu après la mort de Louis xiii (mai 1643), Anne d’Autriche s’y était installée avec ses enfants (novembre 1643). Dès lors, sur le fronton, l’inscription Palais-Royal remplaça celle de Palais-cardinal qui y figurait primitivement. En 1652, la somptueuse demeure fut mise à la disposition de Henriette-Marie d’Angleterre (fille de Henri iv). En 1672, Louis xiv la donna en apanage à son frère Philippe d’Orléans.

Mme de Motteville (Mémoires, pages 64‑66) :

« Voyons accomplir en la personne de Mme de Hautefort la destinée de toute la troupe des Importants. {a} La reine avait quitté le Louvre à cause que son appartement ne lui plaisait pas et avait pris pour sa demeure le Palais-Royal, que le cardinal de Richelieu en mourant avait laissée au feu roi. Dans le commencement qu’elle occupa ce logis, elle fut fort malade d’une jaunisse effroyable qui fut jugée par les médecins ne provenir que de chagrins et de tristesse. Les chagrins qu’elle avait reçus de tant de plaintes qui se faisaient contre son gouvernement, lui avaient donné de la peine. L’occupation des affaires lui causa beaucoup d’embarras ; et la douleur qu’elle sentit, se voyant forcée de faire des malheureux, lui fit une si grande impression que son corps participant aux souffrances, en eut une trop grande part. Sa tristesse s’étant dissipée, et la maladie aussi, elle se résolut de ne plus penser qu’à jouir du repos qu’elle se donnait en se déchargeant sur son ministre des soins des affaires de l’État, et crut alors pouvoir être toujours aussi heureuse qu’elle était impuissante. Mme de Hautefort, qui n’avait pu se vaincre {b} sur la haine qu’elle portait au cardinal Mazarin, était la seule qui lui causait encore de l’inquiétude : non seulement parce qu’elle ne pouvait souffrir ce ministre, mais parce que son esprit commençait à prendre, par beaucoup de dévotion, des sentiments qui la rendaient sévère, un peu contrariante et trop critique ; tout ce que la reine faisait lui était à dégoût, et l’ancienne familiarité qu’elle avait eue avec elle lui donnait la liberté de lui dire quelquefois des choses qui marquaient qu’elle n’approuvait nullement sa conduite. La reine ne pouvait souffrir cette manière d’agir ; et le cardinal, qui souhaitait la perte de cette dame, ne manquait pas d’aigrir l’esprit de la reine contre elle. Ses sermons sur sa générosité passaient pour des reproches tacites ; et sa conduite enfin manquant de prudence, fut cause qu’elle perdit les bonnes grâces de celle qui auparavant l’avait traitée de chère amie. Un jour donc de l’année 1644, qu’à notre ordinaire, nous avions eu l’honneur de passer le soir jusqu’à minuit auprès de la reine, nous laissâmes Mme de Hautefort causer avec cette princesse en toute liberté, et avec le plaisir que sa présence et la grâce qu’elle nous faisait de nous souffrir nous donnait. La reine était prête de se mettre au lit ; elle n’avait plus que sa dernière prière à faire quand nous la quittâmes, et que Mlle de Beaumont, le commandeur de Jars, ma sœur et moi sortîmes pour nous retirer. Dans ce moment, il arriva que Mme de Hautefort, toujours occupée à bien faire, en déchaussant la reine, appuya la recommandation d’une de ses femmes qui parlait en faveur d’un vieux gentilhomme servant, qui depuis longtemps était son domestique et qui lui demandait quelque grâce ; et Mme de Hautefort ne trouvant pas dans la reine trop bonne volonté pour lui, elle lui dit et lui fit entendre par des sourires dédaigneux qu’il ne fallait pas oublier ses anciens domestiques. La reine, qui n’attendait qu’une occasion pour se défaire d’elle, contre sa douceur ordinaire, ne manqua pas de prendre feu là-dessus, et lui dit avec chagrin qu’enfin elle était lasse de ses réprimandes et qu’elle était fort mal satisfaite de la manière dont elle vivait avec elle. En prononçant ces importantes paroles, elle se jeta dans son lit, et lui commanda de fermer son rideau et de ne lui plus parler de rien. Mme de Hautefort, étonnée de ce coup de foudre, se jeta à genoux et joignant les mains, appela Dieu à témoin de son innocence et de la sincérité de ses intentions, protestant à la reine qu’elle croyait n’avoir jamais manqué à son service ni à ce qu’elle lui devait. Elle s’en alla ensuite dans sa chambre, sensiblement touchée de cette aventure, et je puis dire fort affligée. Le lendemain, la reine lui envoya dire de sortir d’auprès d’elle et d’emmener avec elle Mlle d’Escars, sa sœur, qui avait toujours été avec elle.
[…] Nous la consolâmes le mieux que nous pûmes. Nous aurions fort souhaité que la reine eût été capable de s’adoucir et de lui pardonner ; mais le lendemain, étant un peu remise et même soulagée par deux saignées qu’il lui fallut faire la nuit, elle sortit du Palais-Royal, regrettée de tout le monde. […] Cette illustre malheureuse alla s’enfermer dans une religion {c} où elle demeura quelque temps ; puis elle en sortit et vécut fort retirée, ne voyant que ses amis particuliers. »


  1. V. notes [8], lettre 84, pour Mlle de Hautefort, et [15], lettre 93, pour les Importants.

  2. Modérer.

  3. Un couvent.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 29 avril 1644, note 33.

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(Consulté le 23/04/2024)

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