À Charles Spon, le 5 juillet 1652, note 36.
Note [36]

Mademoiselle, après son aventureuse entrée dans Orléans (le 27 mars, v. note [1], lettre 285), était de nouveau intervenue dans la guerre civile, et avec bien plus d’éclat. Guy Patin devait encore ignorer, ou peut-être ne pas croire ce qu’elle avait fait, tant son acte en faveur des princes pouvait heurter.

Mlle de Montpensier (Mémoires, première partie, volume 2, chapitre xiii, pages 106‑113) :

« Le gouverneur de la Bastille, nommé Louvières, fils de M. Broussel, me manda que, pourvu qu’il eût un ordre de Monsieur par écrit, il était à lui et qu’il ferait tout ce qu’on lui commanderait. Je priai le comte de Béthune de le dire à Monsieur, lequel < le > lui envoya par M. le Prince de Guéméné. {a}

[…] je m’en allai à la Bastille où je n’avais jamais été ; je me promenai longtemps sur les tours et je fis changer le canon qui était tout pointé du côté de la ville : j’en fis mettre du côté de l’eau et du côté du faubourg pour défendre le bastion. Je regardai avec une lunette d’approche : je vis beaucoup de monde sur la hauteur de Charonne, et même des carrosses ; ce qui me fit juger que c’était le roi {b} et j’ai appris depuis que je ne m’étais pas trompée. Je vis toute l’armée ennemie dans le fond vers Bagnolet ; elle me parut forte en cavalerie. L’on voyait les généraux sans connaître leurs visages, mais l’on les reconnaissait par leur suite. Je vis comme ils partageaient leur cavalerie pour nous venir couper entre le faubourg et le fossé, les uns du côté de Popincourt et les autres par Reuilly, le long de l’eau ; {c} et s’ils eussent fait plus tôt, nous étions perdus. J’envoyai un page à toute bride en donner avis à M. le Prince ; il était en même temps au haut du clocher de l’abbaye de Saint-Antoine ; {d} et comme je lui confirmai la même chose qu’il voyait, il commanda que l’on marchât pour entrer dedans la ville.

Je m’en revins dans la maison où j’avais été tout le jour, pour voir passer l’armée, car je savais bien que tous les officiers seraient ravis de me voir […].

Les troupes que MM. les maréchaux de Turenne et de La Ferté avaient envoyées pour pousser les nôtres s’avancèrent près de la ville ; {e} mais l’on tira de la Bastille deux ou trois volées de canon, comme je l’avais ordonné lorsque j’en sortis. Cela leur fit peur, ayant emporté un rang de cavaliers ; sans cela, toute l’infanterie étrangère, la gendarmerie et quelque cavalerie, qui étaient à l’arrière-garde, {f} auraient été défaites parce que ces troupes avaient été obligées d’attendre du canon que l’on était allé retirer près de l’église Sainte-Marguerite. Cela me donna de l’inquiétude de quoi elles étaient si longtemps à passer. Je renvoyai le comte de Horlach, qui m’était venu voir, les faire hâter ; et quand elles furent toutes passées, je m’en allai me reposer quelque temps à l’hôtel de Chavigny. {g} Je me promenai dans le jardin avec M. de Chavigny pour me rafraîchir car il faisait un chaud horrible ce jour-là. Nous parlâmes fort de tout ce qui s’était passé, puis je m’en allai à Luxembourg, {h} où tout le monde me régalait de ce qui s’était passé. M. le Prince me fit mille compliments et il dit à Monsieur que j’avais assez bien fait pour qu’il me pût louer. Il me vint dire qu’il était satisfait de moi, mais non pas avec la tendresse qu’il aurait dû faire. J’attribuai cela au repentir qu’il devait avoir que j’eusse fait ce qu’il devait faire ; de sorte que son indifférence, qui m’est si rude à supporter, me consola ce jour-là, le croyant dans des sentiments où j’aurais souhaité qu’il eût toujours été. Quand je songeai le soir, et toutes les fois que j’y songe encore, que j’avais sauvé cette armée, j’avoue que ce m’était une grande satisfaction et au même temps un grand étonnement de penser que j’avais fait aussi rouler les canons du roi d’Espagne dans Paris et passer les drapeaux rouges avec les croix de Saint-André. {i} La joie que je sentais d’avoir rendu un service au parti si considérable et d’avoir fait en cette rencontre une chose si peu ordinaire, et qui n’est peut-être jamais arrivée à personne de ma condition, m’empêcha d’y faire les réflexions qui se peuvent faire maintenant là-dessus et qui auraient pu troubler < ma joie >. »


  1. Louis de Rohan.

  2. Mon cousin germain.

  3. La Seine.

  4. Actuel hôpital Saint-Antoine.

  5. Turenne et La Ferté commandaient les troupes royales ; pousser voulait dire attaquer.

  6. L’armée ennemie était celle des frondeurs, menée par le Grand Condé.

  7. Hôtel aujourd’hui devenu caserne des pompiers, 7 rue de Sévigné, dans le ive arrondissement de Paris.

  8. Au palais du Luxembourg.

  9. Étendards du roi d’Espagne.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 juillet 1652, note 36.

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(Consulté le 28/03/2024)

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