À Charles Spon, le 19 juin 1643, note 37.
Note [37]

Marie de Rohan–Montbazon, duchesse de Chevreuse (1600-1679), fille d’Hercule de Rohan, duc de Montbazon, avait épousé en 1617 Charles d’Albert, duc de Luynes, favori de Louis xiii et connétable de France ; en 1618, elle avait été nommée surintendante de la Maison d’Anne d’Autriche. Veuve en 1621, la duchesse de Luynes s’était remariée en 1622 avec Claude de Lorraine (v. note [2], lettre 195), fils de Henri de Guise, devenant duchesse de Chevreuse. Elle s’était dès lors lancée dans une spirale étourdissante d’intrigues amoureuses et politiques, dont la première avait été la conspiration de Chalais (v. note [16], lettre 13).

Elle en avait tant fait, et de tant de sortes, que Louis xiii et Richelieu l’avaient rangée parmi les personnes les plus dangereuses et les plus haïssables de la cour, d’où elle fut bannie à plusieurs reprises. L’ancienne amie et confidente d’Anne d’Autriche était alors exilée à Bruxelles depuis 1641. Peu avant de mourir, Louis xiii avait pris la précaution d’écrire au sujet de celle qu’il appelait le Diable : « Comme notre dessein est de prévoir tous les sujets qui pourraient, en quelque sorte, troubler le bon établissement que nous avons fait pour conserver le repos et la tranquillité de notre État, la connaissance que nous avons de la mauvaise conduite de la dame duchesse de Chevreuse, des artifices dont elle s’est servie jusqu’ici pour mettre la division dans notre royaume, les factions et les intelligences qu’elle entretient au-dehors avec nos ennemis, nous font juger à propos de lui défendre, comme nous lui défendons, l’entrée de notre royaume. » Malgré cette interdiction, le 14 juin 1643, un mois après la mort du roi, la bannie rentrait triomphalement en France, à la cour de la reine régente (G.D.U. xixe s.).

La Rochefoucauld (pages 106-107) a évoqué ce retour :

« Mme de Chevreuse me témoigna de vouloir suivre entièrement mes avis. Elle arriva à la cour dans cette résolution, et bien qu’elle fût reçue de la reine avec beaucoup de marques d’amitié, je n’eus pas grande peine à remarquer la différence de la joie que la reine avait de la revoir à celle qu’elle avait eue autrefois de m’en parler. Mme de Chevreuse ne remarqua pas néanmoins cette différence et elle crut que sa présence détruirait en un moment ce que ses ennemis avaient fait contre elle. Le duc de Beaufort et les Importants {a} la fortifièrent encore dans cette pensée et ils crurent qu’étant unis, ils détruiraient facilement le cardinal Mazarin avant qu’il fût entièrement affermi. Cette liaison, et quelques marques de tendresse et de confiance que Mme de Chevreuse reçut de la reine lui firent regarder toutes les avances que lui faisait artificiellement le cardinal comme des preuves de sa faiblesse ; elle crut que c’était assez y répondre que de ne se déclarer pas ouvertement contre lui et qu’il suffisait, pour le ruiner insensiblement, de faire revenir M. de Châteauneuf. Son bon sens et sa longue expérience dans les affaires étaient connus de la reine ; il avait souffert une rigoureuse prison pour avoir été dans ses intérêts ; il était ferme, décisif ; il aimait l’État et il était plus capable que nul autre de rétablir l’ancienne forme de gouvernement que le cardinal de Richelieu avait commencé de détruire ; il était de plus intimement attaché à Mme de Chevreuse et elle savait assez les voies les plus certaines de le gouverner ; elle pressa donc son retour avec beaucoup d’insistance. »


  1. V. notes [14] et [15], lettre 93.

Mazarin fut un moment prêt de céder en reprenant les sceaux au Chancelier Pierre iv Séguier, affaibli dans l’opinion pour la part qu’il avait prise à la condamnationde de de Thou et Cinq-Mars. Châteauneuf, retiré dans sa maison de Montrouge, s’attendait en effet à chaque instant à être appelé à la cour pour les recevoir ; mais il avait présidé lui-même la commission militaire qui avait condamné à mort le duc de Montmorency (1632, v. note [15], lettre 12), et la princesse de Condé (née Charlotte de Montmorency) déclara qu’elle quitterait la cour plutôt que d’être exposée à y rencontrer le meurtrier de son frère. Mazarin, qui ne voulait pas se brouiller avec la Maison de Condé et qui ne tenait pas à introduire auprès de la reine un rival éventuel, allait opter pour la lutte contre la duchesse de Chevreuse, les Importants et leur chef, le duc de Beaufort. Châteauneuf dut attendre les sceaux jusqu’au 2 mars 1650, pour les rendre l’année suivante (Triaire).

La duchesse de Chevreuse allait se trouver dès le 1er septembre 1643 de nouveau condamnée à la relégation, d’abord dans ses terres d’Anjou, puis en Angleterre. Les lettres ultérieures de Guy Patin ont évoqué la suite de ses interminables aventures.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 19 juin 1643, note 37.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0086&cln=37

(Consulté le 18/04/2024)

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