À Charles Spon, le 20 décembre 1652, note 38.
Note [38]

Retz (Mémoires, pages 1096‑1097) :

« J’arrivai à Vincennes entre huit et neuf heures du soir, et M. le maréchal d’Albret m’ayant demandé à la descente du carrosse si je n’avais rien à faire savoir au roi, je lui répondis que je croirais manquer au respect que je lui devais si je prenais cette liberté. L’on me mena dans une grande chambre où il n’y avait ni tapisserie, ni lit ; celui que l’on y apporta sur les onze heures était de taffetas de la Chine, étoffe peu propre pour un ameublement d’hiver. J’y dormis très bien, ce que l’on ne doit point attribuer à fermeté parce que le malheur fait naturellement cet effet en moi. J’ai éprouvé en plus d’une occasion qu’il m’éveille le jour et qu’il m’assoupit la nuit. Ce n’est pas force, et je l’ai connu après que je me suis bien examiné moi-même, parce que j’ai senti que ce sommeil ne vient < que > de l’abattement où je suis dans les moments où la réflexion que je fais sur ce qui me chagrine n’est pas divertie par les efforts que je fais pour m’en garantir. Je trouve une satisfaction sensible à me développer, pour ainsi dire, moi-même, et à vous rendre compte des mouvements les plus cachés et les plus intérieurs de mon âme. Je fus obligé le lendemain < d’être > sans feu parce qu’il n’y avait point de bois pour en faire, et les trois exempts {a} que l’on avait mis auprès de moi eurent la bonté de m’assurer que je n’en manquerais pas le lendemain. Celui qui demeura seul à ma garde le prit pour lui et je fus quinze jours, < jusqu’ >à Noël, dans une chambre comme une église, sans me chauffer. Cet exempt s’appelait Croisat, il était Gascon et il avait été, au moins à ce que l’on disait, valet de chambre de M. Servien. Je ne crois pas que l’on eût pu trouver encore sous le ciel un autre homme fait comme celui-là. Il me vola mon linge, mes habits, mes souliers ; et j’étais obligé de demeurer dans le lit huit ou dix jours, faute d’avoir de quoi m’habiller. Je ne crus pas que l’on me pût faire un traitement pareil sans un ordre supérieur et sans un dessein formé de me faire mourir de chagrin. Je m’armai contre ce dessein et je me résolus à ne pas mourir, au moins de cette sorte de mort. Je me divertis au commencement à faire la vie de mon exempt qui, sans exagération, était aussi fripon que Lazarille de Tormes et que le Buscon. {b} Je l’accoutumai à ne me plus tourmenter à force de lui faire connaître que je ne me tourmentais de rien. Je ne lui témoignai jamais aucun chagrin, je ne me plaignis de quoi que ce soit et je ne lui laissai pas seulement voir que je m’aperçusse de ce qu’il disait pour me fâcher, quoiqu’il ne proférât pas un mot qui ne fût à cette intention. Il fit travailler à un petit jardin de deux ou trois toises qui était dans la cour du donjon ; et comme je lui demandai ce qu’il en prétendait faire, il me répondit que son dessein était d’y planter des asperges : vous remarquerez qu’elles ne viennent qu’au bout de trois ans. Voilà l’une de ses plus grandes douceurs, il y en avait tous les jours une vingtaine de cette force, je les buvais toutes avec douceur et cette douceur l’effarouchait parce qu’il disait que je me moquais de lui. »


  1. Gardiens.

  2. Deux personnages du roman espagnol d’alors qui sont passés dans la langue courante pour désigner le type du pícaro, antihéros, gueux sans scrupule vivant d’expédients.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 20 décembre 1652, note 38.

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(Consulté le 29/03/2024)

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