Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Bornoniana 4 manuscrit, note 38.
Note [38]

Note ajoutée dans la marge renvoyant aux Lettres d’Étienne Pasquier, {a} lettre non datée à Antoine i Loisel, {b} passage intitulé Henri iii s’amuse à la grammaire au plus fort de ses affaires, chapitre iv, Il y peut avoir de l’athéisme aux épitaphes des hommes, comme il se prouve par trois exemples excellents (tome second, pages 482‑484) :

« Le roi Henri iii étant rentré de Pologne, dès sa première entrée en la France, {c} trompa grandement l’espérance que chacun avait conçue de lui, épousant des basses opinions, qu’il changeait de six en six mois, dont je ne vous veux pas faire un recueil, comme choses qui déplaisaient fort à son peuple, et singulièrement à ceux qui avaient quelque nez, ou qui étaient les mieux nés entre ses sujets. Il fut, sur son avènement, salué d’une guerre civile sous le nom des catholiques malcontents, conduits par le duc d’Alençon, son frère, et des huguenots pour la Religion, sous la bannière du roi de Navarre : deux princes, l’un frère, l’autre beau-frère, qui, en cette querelle, s’étaient unis ensemblement. {d} Si jamais prince eût sujet de crainte, ce fut lors. Toutefois, ce nouveau roi, comme s’il eût été exposé en la tranquillité d’une profonde paix, au lieu d’endosser le harnais, se faisait enseigner, d’un côté, la grammaire et la langue latine par Dorron {c} (qu’il fit depuis conseiller au Grand Conseil), et d’un autre côté, exerçait une forme de concert et académie avec les sieurs de Pibrac, Ronsard et autres beaux esprits, {e} à certains jours, auxquels chacun discourait sur telle matière qu’ils s’étaient auparavant désignée. Noble et digne exercice vraiment, mais non convenable aux affaires que lors ce prince avait sur les bras. Ces nouvelles leçons de grammaire me donnèrent sujet d’éclater par une colère ces six vers latins :

Gallia dum passim civilibus occidit armis,
Et cinere obruitur semisepulta suo.
Grammaticam exercet media Rex noster in aula,
Dicere iamque potest vir generosus, Amo.
Declinare cupit, vere declinat et ille,
Rex bis qui fuerat, fit modo Grammaticus
. {f}

Je le donnai à Monsieur Pithou, {g} et crois que, à vous-même, j’en fis présent ; toutefois, je ne le vous ose assurer. Bien sais-je que depuis, passant d’une main à autre, il se donna voie par les bouches des beaux esprits, et à leur contentement. Hormis à feu Monsieur de Pibrac, {e} avec lequel étant tombé en propos sur icelui, il me dit avoir entendu que Marillac {h} (jeune avocat de grande promesse, qui se tenait avec moi) en était l’auteur ; et que, s’il en était assuré, il lui ferait réparer sa faute. À quoi je repartis que je répondrais en tous lieux de ses actions, et que je savais pour certain que cet épigramme n’était de sa forge ; au demeurant, que je le priais de me dire ce qui lui semblait de cette invention. “ Elle est très belle (me dit-il), mais il n’appartient < pas > à un sujet de se jouer de cette façon sur les mœurs et déportements de son prince. ” “ Cela serait bon (lui repartis-je) en la bouche d’un autre que de vous, qui devez penser que si un roi, qui est exposé à la vue de tous ses sujets, ne met quelque bride à ses actions, il est fort malaisé qu’il puisse commander aux mécontentements de ceux qui plus le respectent ; et que telle manière de vers venait non d’une main ennemie de Sa Majesté, ains {i} qui en était idolâtre, mais fâchée de la voir tomber par ce moyen au mépris de tout son peuple ; voire que nous devions tous souhaiter, au cas qui lors se présentait, que cet épigramme tombât aux mains de notre roi, pour lui être une leçon, non de grammaire latine, mais de ce qu’il avait de faire. Vous savez (ajoutai-je) l’histoire de cet empereur qui allait de nuit déguisé aux maisons publiques pour entendre ce que l’on disait de lui, pour, sur le rapport qui lui serait fait, donner ordre de se réformer. ” Ainsi se termina et la colère du sieur de Pibrac, et notre propos. »


  1. Paris, 1619, v. note [6], lettre 906.

  2. V. note [3], lettre 91.

  3. V. supra note [37].

  4. Archaïsme pour « ensemble ».

    Cinquième guerre de Religion (1574-1576), provoquée par la mort, sans enfant, de Charles ix et la régence de sa mère, Catherine de Médicis. V. notes [13] du Borboniana 3 manuscrit pour François, duc d’Alençon, frère cadet de Henri iii, et [18] supra pour Henri iii de Bourbon, roi de Navarre (futur Henri iv de France, époux de Marguerite, sœur de Henri et François.

  5. V. notes [21] (notule {e}) supra pour le président poète Guy du Faur de Pibrac (mort en 1586), et [19], lettre 455, pour le poète courtisan Pierre de Ronsard.

  6. « Tandis que la France succombe aux guerres civiles, à moitié enfouie sous sa propre cendre, voici que notre roi, au beau milieu de sa cour, apprend la grammaire, et ce noble seigneur est déjà capable de dire Amo. {i} Il est impatient de décliner, mais il décline en vérité : {ii} et se contente de devenir grammairien celui qui fut deux fois roi ! »

    1. « J’aime » : première personne de l’infinitif présent du verbe latin amare, le premier que les écoliers apprennent à conjuguer.

    2. Mise en exergue du vers cité par le Borboniana, qui joue sur le double sens de declinare « décliner » : « pencher vers sa fin », et « connaître les désinences des mots » latins (cas, nombre, genre).

  7. François Pithou, avocat au Parlement de Paris (v. note [2], lettre 50), plus probablement que son frère Pierre i (v. note [4], lettre 45), alors avocat général du parlement de Bordeaux.

  8. Michel i de Marillac, v. note [45], lettre 216.

  9. Mais.

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Bornoniana 4 manuscrit, note 38.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8205&cln=38

(Consulté le 18/04/2024)

Licence Creative Commons