Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2, note 39.
Note [39]

En dépit de l’illusion forgée par « mon bon ami Naudé », cet article réunit deux larges emprunts à Jean-Baptiste Thiers Traité des Superstitions (Paris, 1697, tome premier, v. supra note [27]), livre deuxième, chapitre iv, De la magie.

  1. Début, sur Ce que c’est. Qu’il y en a de trois sortes. Que la magie noire ou diabolique est une espèce de superstition (pages 128‑132) :

    « Le nom de magie se prend en bonne et mauvaise part, selon les bons ou mauvais effets qu’on lui attribue. Et comme on lui attribue ordinairement trois sortes d’effets – des effets naturels, des effets artificiels et des effets diaboliques – elle se divise ordinairement en magie naturelle, en magie artificielle et en magie diabolique. {a}

    La magie naturelle produit des effets extraordinaires et merveilleux par les seules forces de la nature, comme quand Tobie fut guéri de son aveuglement par le moyen du cœur, du fiel et du foie de ce gros poisson qui sortit du Tigre pour le dévorer. {b}

    La magie artificielle produit aussi des effets extraordinaires et merveilleux, mais c’est par l’industrie humaine, comme la sphère d’Archimède […]. {c}

    Ce serait vouloir éclairer le Soleil que de s’arrêter à prouver l’existence de cette dernière espèce de magie. En effet, l’Écriture Sainte défend en plusieurs endroits de consulter les magiciens, et elle fait mention des magiciens de Pharaon {d} et de Manassès, {e} de la pythonisse ou devineresse que consulta Saül, {f} de Simon le Magicien, {g} de Bar-Jésus le Magicien {h} et d’une autre pythonisse, du corps de laquelle l’apôtre saint Paul chassa le démon. {i} Les conciles fulminent des anathèmes contre les magiciens. »

  2. Partie intitulée Que le Parlement de Paris et plusieurs autres parlements ont reconnu et condamné plusieurs magiciens (pages 134‑136) :

    « Revenons maintenant au droit que nous avons établi ; On dit, et c’est l’objection commune que l’on fait particulièrement en France, que le Parlement de Paris ne reconnaît point de sorciers.

    Mais 1. quand la chose serait ainsi, l’autorité de ce parlement devrait-elle l’emporter sur celle de l’Écriture Sainte, sur celle des conciles, sur celle du droit civil et du droit canon, sur celle de l’Église ?

    2. Si le Parlement de Paris ne reconnaît point de sorciers, les autres parlements en reconnaissent, et particulièrement celui de Toulouse […].

    3. Ceux qui font cette objection savent bien peu l’histoire du Parlement de Paris, qui a si souvent donné des arrêts contre des sorciers. Bodin en rapporte deux dans sa Démonomanie : {j} l’un de l’année 1548, ou environ, qui condamna la mère de Jeanne Harvillier, sorcière de Verbery proche Compiègne, à être brûlée vive ; l’autre du 11 janvier 1578, contre Barbe Doré, fameuse sorcière, qui fut aussi condamnée d’être brûlée. Le Père Crespet, prieur des Célestins de Paris, {k} en rapporte un du 19 janvier 1577 contre une autre sorcière qui fut condamnée à expier son crime par le même supplice. […] Et je ne doute point qu’il ne s’en trouve quantité d’autres semblables dans les recueils des arrêts du Parlement de Paris, qui ont été faits avant et après la Démonomanie de Bodin, et encore davantage dans les registres de cette Cour. {l}

    Si bien que la question de droit, S’il y a des sorciers, est incontestable ; mais celle de fait, Si Pierre, si Jean, si Jacques sont véritablement sorciers, est souvent fort douteuse, parce que souvent on accuse d’être sorciers des personnes qui ne le sont pas en effet ; ainsi qu’il paraît dans l’Apologie de M. Naudé. » {m}


    1. V. note [47], notule {a}, du Patiniana I‑2, pour la distinction entre magies naturelle (divine et merveilleuse) et noire (diabolique et malveillante), à laquelle s’ajoute ici la magie artificielle (humaine et bien intentionnée), produite par habile trucage.

    2. V. note [17], lettre latine 29, pour la cécité de Tobit, dans l’Ancien Testament, que son fils, « la lumière de ses yeux », guérit à l’aide des entrailles d’un poisson qui avait bondi hors du fleuve Tigre, et que l’ange Raphaël lui avait appris à préparer pour guérir les esprits tourmentés par un démon.

    3. V. note [30] supra pour la sphère de verre d’Archimède.

    4. V. note [2], notule {g}, du Naudæana 4, pour les bâtons de Moïse et d’Aaron qui se transformèrent en serpents sous les yeux de Pharaon (généralement identifié à Ramsès ii, qui régna au xive s. av. J.‑C.), qui demanda à ses magiciens d’en faire autant ; mais je n’ai pas trouvé d’explication (hormis une erreur de copie) aux « serpents d’airain de Sévère qui sifflaient » ; il en figure bien un dans la lettre de Théodoric le Grand à Boèce (v. supra note [29]), mais il n’est attribué à aucun inventeur.

    5. Le règne impie de Manassé, roi de Juda au viie s. av. J.‑C., est décrit dans le Deuxième Livre des rois (21:5‑6) :

      « Il construisit des autels à toute l’armée du ciel dans les deux cours du Temple de Yahvé. Il fit passer son fils par le feu. Il pratiqua les présages et la magie, installa des nécromants et des devins, il multiplia les actions que Yahvé regarde comme mauvaises, provoquant ainsi sa colère. »

    6. Ne recevant aucun oracle de Dieu et incertain sur l’issue de sa guerre contre les Philistins, Saül, premier roi des Hébreux, alla consulter une nécromancienne (pythonisse ou sorcière) à En-Dor (Premier Livre de Samuel, 28:8‑14) :

      « Saül se déguisa et endossa d’autres vêtements, puis il partit avec deux hommes et ils arrivèrent de nuit chez la femme. Il lui dit : “ Je t’en prie, fais-moi dire l’avenir par un revenant et évoque pour moi celui que je te dirai. ” Mais la femme lui répondit : “ Voyons, tu sais toi-même ce qu’a fait Saül et comment il a supprimé du pays les nécromants et les devins ? Pourquoi tends-tu un piège à ma vie pour me faire mourir ? ” Alors Saül lui fit ce serment par Yahvé : “ Aussi vrai que Yahvé est vivant, dit-il, tu n’encourras aucun blâme pour cette affaire. ” La femme demanda : “ Qui faut-il évoquer pour toi ? ” et il répondit : “ Évoque-moi Samuel. ”

      Alors la femme vit Samuel et, poussant un grand cri, elle dit à Saül : “ Pourquoi m’as-tu trompée ? Tu es Saül ! ” Le roi lui dit : “ N’aie pas peur ! Mais que vois-tu ? ” et la femme répondit à Saül : “ Je vois un spectre qui monte de la terre. ” Saül lui demanda : “ Quelle apparence a-t-il ? ” et la femme répondit : “ C’est un vieillard qui monte, il est drapé dans un manteau. ” Alors, Saül sut que c’était Samuel et, s’inclinant la face contre terre, il se prosterna. » {i}

      1. Dans la suite du récit, l’ombre du défunt prophète Samuel annonce à Saül sa défaite et sa mort prochaine.

    7. V. note [10], lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657, pour Simon le Magicien.

    8. Dans les Actes des apôtres (13:6‑12), Élymas Bar-Jésus est un personnage qui croise le chemin de Paul et Barnabé pendant leur passage à Chypre :

      « Ayant traversé toute l’île jusqu’à Paphos, ils trouvèrent là un magicien, faux prophète, juif, nommé Bar-Jésus, qui était de l’entourage du proconsul Sergius Paulus, homme avisé. Ce dernier fit appeler Barnabé et Saul, désireux d’entendre la parole de Dieu. Mais Élymas le Magicien – c’est ce que signifie son nom – leur faisait opposition, cherchant à détourner le proconsul de la foi. Alors Saul – appelé aussi Paul – rempli de l’Esprit saint, le fixa du regard et lui dit : “ Être rempli de toutes les astuces et de toutes les scélératesses, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu donc pas de rendre tortueuses les voies du Seigneur qui sont droites ? Voici à présent que la main du Seigneur est sur toi. Tu vas devenir aveugle et, pour un temps, tu ne verras plus le soleil. ” À l’instant même, obscurité et ténèbres s’abattirent sur lui, et il tournait de tous côtés, cherchant quelqu’un pour le conduire. Alors, voyant ce qui s’était passé, le proconsul embrassa la foi, vivement frappé par la doctrine du Seigneur. »

    9. Plus loin, les Actes des apôtres (16:16‑18) racontent la colère de Paul pendant son séjour à Philippes en Macédoine :

      « Un jour que nous nous rendions à la prière, nous rencontrâmes une servante qui avait un esprit divinateur ; elle faisait gagner beaucoup d’argent à ses maîtres en rendant des oracles. Elle se mit à nous suivre, Paul et nous, en criant : “ Ces gens-là sont des serviteurs du Dieu Très Haut ; ils vous annoncent la voie du salut. ” Elle fit ainsi pendant bien des jours. À la fin, Paul, excédé, se retourna et dit à l’esprit : “ Je t’ordonne au nom de Jésus-Christ de sortir de cette femme. ” Et l’esprit sortit à l’instant même. »

    10. Paris, 1580, v. note [25], lettre 97.

    11. Pierre Crespet (1543-1594) est un moine célestin français, très lié à la Ligue, auteur d’ouvrages de théologie et de démonologie.

    12. Dans son article intitulé Les procès de sorcellerie au Parlement de Paris (1565-1640) (Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, 1977, no 4 : 790-814), Alfred Soman a fourni une analyse historique et statistique très approfondie sur ce sujet.

    13. V. note [5], lettre 608, pour l’Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie de Gabriel Naudé (Paris, 1625).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-2, note 39.

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(Consulté le 16/04/2024)

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