À André Falconet, le 1er février 1650, note 4.
Note [4]

La Rochefoucauld (Mémoires, pages 153‑154) :

« […] on les fit monter {a} dans un carrosse du roi qui les attendait à la petite porte du jardin. Leur escorte se trouva bien plus faible qu’on n’avait cru. Elle était commandée par le comte de Miossens, lieutenant des gens d’armes, et Comminges, lieutenant de Guitaut, son oncle, gardait ces princes. Jamais des personnes de cette importance n’ont été conduites en prison par un si petit nombre de gens : il n’y avait que 16 hommes à cheval et ce qui était en carrosse avec eux. L’obscurité et le mauvais chemin les firent verser, et ainsi donnèrent un temps considérable à ceux qui auraient voulu entreprendre de les délivrer, mais personne ne se mit en devoir de le faire. »


  1. Les princes.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 204) a confirmé la modestie de l’escorte et l’embourbement du carrosse qui auraient aisément permis aux princes de s’échapper. Toutefois, le Journal de la Fronde (volume i, fos 163 vo‑164 ro) rapporte que le cortège des princes fut rapidement renforcé par 200 chevau-légers qui avaient été postés au Marché aux Chevaux (v. note [2], lettre 920) :

« Ils sortirent par la porte de Richelieu et passèrent au-dessous de Montmartre, mais si vite que le carrosse versa au milieu du chemin, ce qui les amusa {a} un peu ; et pendant qu’on le relevait, l’on remarqua que M. le Prince dit au comte de Miossens que s’il était son ami, que c’était une belle occasion pour le lui témoigner, voulant dire qu’il le pouvait faire sauver ; et que ce comte lui repartit qu’il était bien son serviteur, mais qu’il devait fidélité au roi. Le carrosse étant relevé, poursuivirent leur chemin jusqu’à ce qu’étant dans le château, la plupart de la compagnie s’en revint au galop pour en apporter la nouvelle, laquelle ne fut sue dans le Palais-Royal qu’après leur retour sur les six heures et demie. »


  1. Retarda.

Cette arrestation inaugurait la deuxième phase de la Fronde, dite des princes. La première Fronde, dite du Parlement, avait continué de couver après la paix de Saint-Germain (1er avril 1649) tant à Paris que dans certaines provinces. Il fallait apaiser le pays en ralliant à la cour (la régente, Mazarin, le dauphin) trois partis désunis : Monsieur, Gaston d’Orléans, toujours opportuniste et indécis ; M. le Prince, le Grand Condé, chef des troupes royales qui avaient assiégé Paris, dont les orgueilleuses ambitions étaient à la hauteur des mérites ; et les frondeurs du début qui étaient le Parlement et les bourgeois de Paris, menés par le duc Beaufort et le coadjuteur, alliés du propre frère de Condé, le prince de Conti, et de sa propre sœur, Mme de Longueville.

Dans ses Mémoires (pages 135‑154) La Rochefoucauld a minutieusement démonté tout l’engrenage qui mena à l’arrestation des princes, et dont chaque rouage a été évoqué dans les précédentes lettres, sans que Guy Patin en ait pu ou su dire le sens politique profond.

  • À l’issue du siège de Paris et de la paix de Saint-Germain, Monsieur et M. le Prince attendaient d’être dûment récompensés de leurs services par Mazarin, qui les tenait pourtant en haleine, se sachant menacé par eux dans la conservation de son ministère. M. le Prince avait organisé le retour du roi à Paris (18 août 1649) :

    « en arrivant au Palais-Royal, la reine lui dit publiquement qu’on ne pouvait assez reconnaître ses services, et qu’il s’était glorieusement acquitté de la parole qu’il lui avait donnée de rétablir l’autorité du roi et de maintenir Monsieur le cardinal ; mais la fortune changea bientôt ces paroles en des effets contraires. »

  • La déception rapprocha Condé de Monsieur et laissa voir toute son inimitié contre Mazarin :

    « M. le prince se persuada que le cardinal voulait adroitement rejeter sur lui la haine des peuples en le faisant passer pour l’auteur de tous les maux qu’ils avaient soufferts. »

  • Condé chercha ensuite, avec certaines maladresses, à se rapprocher de sa famille (Conti et les Longueville) et des frondeurs :

    « on crut qu’il n’avait jamais eu l’intention de se mettre à leur tête, qu’il voulait seulement regagner l’esprit des peuples, se rendre par là redoutable au cardinal et faire sa condition plus avantageuse. »

  • Mazarin sut habilement réagir à l’égard du clan Condé ressoudé :

    « Il connut bientôt que les desseins de M. le Prince n’allaient à rien de plus qu’à lui faire peur ; il crut le devoir entretenir dans cette pensée et faire semblant de le craindre, non seulement pour l’empêcher par ce moyen de prendre des voies plus violentes contre lui, mais aussi pour exécuter plus sûrement et plus facilement le projet qu’il faisait contre sa liberté. Dans cette vue, tous ses discours et toutes ses actions faisaient paraître de l’abattement et de la crainte ; il ne parlait que d’abandonner les affaires et de sortir du royaume ; il faisait faire tous les jours quelque nouvelle proposition aux amis de M. le Prince pour lui offrir la carte blanche ; et les choses passèrent si avant qu’il convint que désormais on ne donnerait plus de gouvernements de provinces, de places considérables, de charges dans la Maison du roi, ni d’offices de la Couronne sans l’approbation de M. le Prince, de M. le prince de Conti, et de M. et Mme de Longueville, et qu’on leur rendrait compte de l’administration des finances. »

  • Les Condé se laissèrent endormir par tant de ruse. Ils allégèrent dangereusement la garde : « [Mazarin] gagnait avec beaucoup d’adresse le temps qui lui était nécessaire pour les desseins qu’il formait contre M. le Prince. » Le cardinal n’en continua pas moins de maintenir la pression sur Condé, notamment avec le traité de mariage du duc de Mercœur et Laure Mancini, nièce de Mazarin, qui donnait l’avantage à la Maison de Vendôme sur celle de Condé, sa rivale princière. M. le Prince succomba à la provocation et fit savoir « qu’il ne pouvait approuver cette alliance, et le cardinal résolut dès lors de se venger de lui et d’avancer le dessein de l’arrêter ».

  • Pour rendre un tel acte possible, il fallait au cardinal briser l’alliance de Condé avec Gaston d’Orléans, « fomentée par les soins et tous les intérêts de l’abbé de La Rivière, < qui > était un empêchement bien considérable ». Mazarin choisit de contourner l’obstacle en se servant des frondeurs, secrètement et sans y mêler le Parlement : ce fut l’attentat simulé contre Guy Joly, secrétaire du coadjuteur et syndic des rentiers de l’Hôtel de Ville ; bientôt suivi par l’autre attentat simulé contre le carrosse vide de M. le Prince sur le Pont-Neuf. Condé donna dans le panneau en croyant que les frondeurs, malgré toutes leurs protestations d’innocence, voulaient attenter à sa vie, mais que le cardinal le protégeait : « Ainsi M. le Prince aidant à se tromper lui-même, il recevait l’empressement du cardinal comme une marque de son amitié et de sa reconnaissance, bien que ce ne fût qu’un effet de sa haine secrète et du désir d’exécuter plus sûrement son entreprise. »

  • Condé, au lieu de relancer le désordre public en s’attaquant de front aux frondeurs,

    « consentit de faire sa plainte au Parlement selon les formes ordinaires ; et dans tout le cours de cette affaire, le cardinal eut le plaisir de le conduire lui-même dans tous les pièges qu’il lui tendait. Cependant le duc de Beaufort et le coadjuteur demandèrent d’être reçus à se justifier ; ce qui leur ayant été accordé, les deux partis {a} quittèrent pour un temps les autres voies pour se servir seulement de celles du Palais ; mais M. le Prince connut bientôt, par la manière dont les frondeurs soutenaient leur affaire, que leur crédit y pouvait balancer le sien. Il ne pénétrait rien néanmoins dans la dissimulation du cardinal ; et quoi que Madame sa sœur {a} et quelques-uns de ses amis lui pussent dire, il croyait toujours que ce ministre agissait de bonne foi. »


    1. Condé et les frondeurs.

    2. Mme de Longueville.

  • Condé commit l’erreur fatale en parrainant le mariage du duc de Richelieu et de Mme de Pons :

    « Le cardinal n’eut pas de peine à donner un sens criminel à cette conduite, et à persuader que les soins de M. le Prince et de Mme de Longueville regardaient moins l’établissement de Mme de Pons que le désir de s’assurer du Havre, dont son mari {a} était gouverneur sous l’administration de la duchesse d’Aiguillon, sa tante. Le cardinal tourna encore la chose en sorte dans l’esprit de M. le duc d’Orléans qu’il lui persuada aisément qu’il avait quelque sujet de se plaindre de M. le Prince, du secret qu’il lui avait fait de ce mariage. »


    1. Le duc de Richelieu.

  • On convint donc à la cour de faire arrêter Condé,

    « mais les particularités de ce traité furent ménagées par Laigues, {a} que M. le Prince avait désobligé quelque temps auparavant et qui en avait toujours conservé un très grand ressentiment. Ainsi, il ne manqua pas de se servir d’une occasion aussi favorable de le faire paraître, et il eut l’avantage de régler les conditions de la prison de M. le Prince et de faire connaître combien il importe aux personnes de cette qualité de ne réduire jamais des gens de cœur à la nécessité de se venger. »


    1. Le marquis Geoffroy de Laigues (1604-1674), capitaine des gardes du duc d’Orléans, très lié au coadjuteur, Gondi.

  • Il restait à rompre tout à fait les liens entre Gaston d’Orléans et Condé. On y parvint en montrant à Monsieur comment son homme de confiance, l’abbé de La Rivière, le trahissait auprès des Condé dans le seul but de préserver le chapeau de cardinal qu’il convoitait, et en faisant croire à Monsieur que Condé n’était pas insensible à l’idée de lui damer le pion en acceptant de devenir connétable. Monsieur « se crut dégagé de tout ce qu’il avait promis [à M. le Prince] et consentit sans balancer au dessein de le faire arrêter prisonnier ».

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 1er février 1650, note 4.

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(Consulté le 18/04/2024)

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