À Charles Spon, le 16 décembre 1661, note 4.
Note [4]

Giuseppe Francesco Borri (ou Borro, Josephus Franciscus Burrhus, Milan 1627-Rome 1695), enthousiaste, chimiste, hérésiarque et prophète, joua un rôle qui lui mérita les châtiments dont on a puni tous les écarts de sa conduite. Il s’attira d’abord quelque considération à Rome et parut fort attaché aux intérêts de la cour pontificale ; mais ayant ensuite déclamé contre elle, il remplit la ville du bruit de ses révélations et fut obligé de fuir par la crainte d’être emprisonné. Chassé de Milan où l’on avait démasqué ses mauvais desseins, il s’en alla pour Strabourg, puis Amsterdam, exerçant à la fois la médecine et le commerce, et se parant du titre fastueux de médecin universel. Une banqueroute le poussa à Hambourg où il fit croire qu’il détenait le secret de la pierre philosophale, dupant la reine Christine et le roi du Danemark qui, à défaut d’or, y perdirent force argent. Il dut alors se sauver en Hongrie où le nonce du pape auprès de l’empereur le réclama et le fit ramener à Rome en 1670. Il y fut condamné à la prison perpétuelle après avoir fait amende honorable. Par l’intervention du duc d’Estrées, ambassadeur de France, on adoucit sa peine en l’installant dans le château Saint-Ange (v. notule {d}, note [46] du Naudæana 3) avec un laboratoire chimique à sa disposition. Avant d’y mourir, il prétendit avoir découvert un remède pour régénérer les humeurs de l’œil obscurcies par la cataracte, mais ce n’était qu’une filouterie de plus. Borri avait de qui tenir : son père, Branda Borro, mort en 1660, était véritablement médecin à Milan, avec la spécialité charlatanesque de deviner l’issue des maladies (Éloy).

Samuel Sorbière, sur la fin de sa Relation d’un voyage en Angleterre… (Paris, 1664, v. note [3], lettre 788) a longuement parlé de Borri (pages 187‑199), qu’il avait vu à Amsterdam (avec à la fin une assez étonnante digression sur la médecine de son temps, qui mérite bien d’être transcrite) :

« Vous voulez savoir comment il est arrivé qu’il a fait de si loin tant de bruit, à Paris, que des gens de qualité se sont fait porter en brancard en Hollande pour être guéris par ce charlatan, et que d’autres gens d’esprit y sont allés tout exprès pour visiter un si grand homme. Que dirai-je à cela, Monsieur, si ce n’est qu’il est vrai aujourd’hui, de même qu’il a été vrai autrefois, que notre pauvre humanité pourrait être définie par l’inclination au mensonge et par la crédulité […].

Celui dont je vous veux faire la peinture est un grand garçon noiraud, d’assez bonne façon, qui va bien vêtu et qui fait quelque dépense. Elle n’est pourtant pas telle qu’on se l’imagine et qu’on l’exagère, car huit ou dix mille livres peuvent aller bien loin à Amsterdam ; mais une maison de quinze mille écus achetée en un bel endroit, cinq ou six estafiers, un habit à la française, quelque collation aux dames, le refus de quelque argent, cinq ou six richedales {a} distribuées en temps et lieu à des pauvres gens, quelque insolence de discours, et tels autres artifices ont fait dire à des personnes crédules, ou qui eussent bien voulu que cela fût, qu’il donnait des poignées de diamants, qu’il faisait le grand œuvre et qu’il avait la médecine universelle. Le fin de tout cela est que le sieur Borri est un matois, fils d’un habile médecin de Milan qui lui a laissé quelque bien, mais auquel il a ajouté celui qui lui vient par l’industrie. {b} […]

Ce fourbe, pour se mettre en crédit et faire parler de soi, prétendit d’abord à se rendre hérésiarque. Il avait ouï dire que les médecins étaient soupçonnés de ne pas croire assez, c’est pourquoi il fit semblant de croire plus qu’il ne faut ; et comme si sa dévotion se fût piquée d’honorer la Sainte Vierge au delà de ce que l’Église l’ordonne, il s’avança de dire qu’elle était une quatrième personne de la divinité. Il en fut recherché par l’Inquisition et condamné au feu par contumace. Il passa à Innsbruck où le feu archiduc d’Autriche devint la première de ses dupes. Et par son moyen, continuant sa route en Hollande, il se fixa à Amsterdam, comme en un pays propre à faire sonner haut la persécution qu’on lui faisait à Rome et où il trouverait des bourses ouvertes pour de grandes avances à recouvrer sur le lucre qu’il ferait espérer. […]

Quelques-uns ont voulu dire que Borri s’était trouvé à la peste de Naples et qu’ayant un excellent préservatif, il était entré dans les maisons pestiférées, abandonnées par l’infection et la mortalité, et que là il n’avait pas mal fait ses affaires. Je ne sais ce qui en est ; mais après tout, Monsieur, si le compagnon ne s’était mêlé de dogmatiser et s’il n’avait donné sujet à l’inquisiteur du Saint-Office de reprendre sa doctrine, on pourrait louer en quelque sorte son esprit ; et il n’y aurait qu’à se moquer de la crédulité de ceux qui l’ont pris pour un grand personnage. Car dans cette enfance de la médecine (usons de bonne foi, et nommons les choses par leur nom) qu’y a-t-il autre chose à dire que de misérables conjectures ; et dans l’humeur où l’on est de se laisser tromper, qu’y a-t-il autre chose à faire, si ce n’est à débiter le plus adroitement que l’on peut des remèdes fort incertains. Il faut bien que les plus habiles médecins, en dépit qu’ils en aient, emploient quelque galimatias et se servent de quelque innocent stratagème pour faire avaler courageusement leurs médecines. Une méthode tout à fait ingénue  {c} […] ne serait pas fort achalandée ; {d} et l’on ne parvient guère de bonne heure à la grande pratique que par un procédé hardi, et qui a quelque chose d’extraordinaire. […]

Mais en vérité la médecine aurait bien besoin d’être secourue par M. Vallot, et sa fortune est assez bien établie pour lui permettre de songer à l’utilité publique et à la gloire de son art ; laquelle ceux qui sont obligés de courir après leurs intérêts domestiques sont contraints de négliger. Il y aurait quelques mesures à prendre, et il pourrait inspirer au roi la curiosité des expériences qui sont si nécessaires pour la perfection d’un art, dont les princes ont besoin aussi bien que les autres, et qui ne sont pas l’entreprise des personnes privées ; quoiqu’elles se puissent faire avec fort peu de dépense quand un bon ordre est une fois établi et quand l’autorité publique y intervient. »


  1. Pièces de monnaie allemande (reichdale) ayant la valeur d’un thaler (v. note [1], lettre latine 17).

  2. De la pierre philosophale et du grand œuvre (v. note [34], lettre 117).

  3. Franche.

  4. Courue.

Pour preuve que Borri a fasciné son époque, Bayle lui a consacré un article de trois grandes pages.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 décembre 1661, note 4.

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(Consulté le 20/04/2024)

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