À André Falconet, le 8 mars 1670, note 4.
Note [4]

Philippe de Lorraine-Armagnac (1645-1702), dit le chevalier de Lorraine, était le fils cadet de Henri de Lorraine comte d’Harcourt (v. note [4], lettre 29) ; son frère aîné, Louis, était Monsieur le Grand (v. note [18], lettre 312). Officier de valeur au service du roi depuis 1658, le chevalier de Lorraine était surtout le favori et amant de Monsieur, Philippe d’Orléans, frère cadet de Louis xiv. La duchesse d’Orléans, Henriette d’Angleterre, manœuvrait sans relâche pour obtenir du roi qu’il fît éloigner l’importun courtisan de son volage mari (v. note [1], lettre 972).

La Grande Mademoiselle (Mlle de Montpensier, Mémoires, seconde partie, chapitre ix, pages 85‑88) a conté son exil à Marseille (dont le roi atténuait alors la rigueur) :

« Le roi fit arrêter le chevalier de Lorraine. J’étais à Paris ce jour-là. {a} On me vint dire le matin : “ Monsieur est arrivé la nuit, et Madame ; ils s’en vont à Villers-Cotterêts ; le chevalier de Lorraine est arrêté. ” J’allai au Palais-Royal. Je trouvai Monsieur fort fâché, se plaignant de son malheur : ayant toujours vécu avec le roi comme il avait fait, être assez malheureux pour en avoir un si mauvais traitement ; qu’il s’en allait à Villers-Cotterêts, ne pouvant demeurer après cela à la cour. Madame était fâchée de voir Monsieur fâché. Elle disait : “ Je n’ai pas sujet d’être fâchée du chevalier de Lorraine ; nous n’étions pas bien ensemble, mais il me fait pitié. ” Elle faisait très bonne mine et je crois qu’elle était fort aise car le chevalier et elle étaient fort mal ensemble, et elle était fort bien avec le roi. Ainsi on eut peine à détromper le public qu’elle n’eût pas contribué à sa disgrâce. Monsieur vint l’après-dînée me dire adieu ; le soir je retournai chez lui, où on rit assez.

Il y avait longtemps que le chevalier n’était pas bien avec Madame ; que ses manières ne plaisaient pas, à ce que l’on disait, au roi qui avait trouvé mauvais que Monsieur se fût plaint de quoi on ne lui avait pas donné le gouvernement du Languedoc ; que le chevalier de Lorraine avait parlé là-dessus ; < et > d’autres choses encore, dont le roi avait témoigné à Monsieur le trouver mauvais. Voilà ce que le monde disait.

Voici ce que je sais, je l’ai ouï dire au roi : le chevalier de Lorraine voulut avoir un éclaircissement avec lui sur beaucoup de choses ; le roi lui donna audience ; après beaucoup de discours, le chevalier dit au roi “ Sire, Monsieur est un bon homme, il aime Votre Majesté ; assurément il ne fera jamais rien qui vous déplaise et j’en serai garant. Prenez-vous-en à moi s’il fait quelque chose. ” Le roi reprit : “ M’en répondez-vous ? — Oui, sire. ” Le roi dit : “ J’en suis bien aise. ” À peu de jours de là, l’évêque de Langres {b} mourut, qui avait plusieurs abbayes dans l’apanage de Monsieur, {c} que feu Monsieur {d} lui avait données, et comme les fils de France présentent au roi et que c’est sur les nominations du roi que le pape pourvoit, Monsieur donna Saint-Benoît-sur-Loire au chevalier. Tout le monde lui en fit compliment. Le chevalier alla au secrétaire d’État en mois, {e} qui dit que le roi ne le voulait pas. Je pense, si je m’en souviens bien, que Monsieur en parla au roi, qui dit à Monsieur qu’il ne le voulait pas. Monsieur bouda, alla chez lui, envoya Madame au roi. Le soir comme le chevalier de Lorraine sortait de la chambre de Monsieur au château-neuf, {f} le comte d’Ayen, capitaine des gardes en quartier, l’arrêta. On le mena au vieux-château, puis coucher au bourg et le lendemain, droit au château d’If. » {g}


  1. Le 30 janvier 1670.

  2. L’abbé de La Rivière, ancien favori de feu Monsieur, Gaston d’Orléans.

  3. Philippe d’Orléans.

  4. Gaston d’Orléans.

  5. En charge ce mois-là.

  6. De Saint-Germain.

  7. Le chevalier de Lorraine quitta plus tard Marseille pour Rome, d’où il ne revint qu’après la mort de Madame (30 juin 1670).

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 581‑584) :

« Le jeudi 30 janvier, il se passa à Saint-Germain une histoire fort importante : la nouvelle y étant venue de la mort de M. l’évêque de Langres, M. le duc d’Orléans, qui avait promis au chevalier de Lorraine les deux abbayes que M. de Langres avait dans son apanage, fut demander au roi qu’il lui plût agréer son choix. Le roi lui ayant dit qu’il ne le pouvait en conscience et nonobstant toutes ses instances, l’ayant refusé, Monsieur se retira fâché et commanda qu’on démeublât son appartement pour quitter la cour. Le roi cependant étant allé à Versailles, {a} M. Le Tellier fut parler à Monsieur pour le détourner de son dessein, mais il ne le put et Monsieur lui dit que, s’il avait une maison à mille lieues, il irait. Le roi en étant averti et étant revenu de Versailles, crut que c’était M. le chevalier de Lorraine qui excitait la colère de Monsieur ; il commanda qu’on l’arrêtât prisonnier. Les gardes du corps furent redoublés autour de l’appartement de Monsieur, où était le chevalier de Lorraine. M. Le Tellier fut dire à Monsieur la résolution du roi, et le chevalier de Lorraine, après que Monsieur l’eut embrassé et lui eut témoigné beaucoup d’amitié, sortit ; et au sortir de la chambre de Monsieur, il trouva le capitaine des gardes qui l’arrêta prisonnier et il fut mené sur le chemin de Lyon pour être conduit à Montpellier. Monsieur partit à minuit de Saint-Germain avec Madame, vint à Paris où il a demeuré un jour, et personne ne l’a été voir sinon M. le Prince et M. le Duc {b} qui, ne l’ayant pas trouvé chez lui, le furent chercher à Luxembourg. {c} Il est parti pour Villers-Cotterêts. […]

Le lundi 3 mars, M. le duc d’Orléans, avec Madame, revint de Villers-Cotterêts coucher à Saint-Germain où ils furent reçus avec la plus grande joie du monde. L’on prétendit qu’il était revenu sans condition, sur la parole de M. Colbert qu’étant à la cour, il obtiendrait du roi toutes choses. D’autres disaient que les deux abbayes se donnaient au frère du chevalier de Lorraine, et à lui une pension de dix mille écus. Le temps fera connaître le vrai ; mais ce qui est certain est qu’il est parti un courrier porter les ordres de laisser le chevalier de Lorraine dans Marseille et de lui donner la ville pour prison, au lieu de le mener au château d’If où on le conduisait. »


  1. Du 25 au 30 décembre 1669.

  2. Le duc d’Enghien.

  3. Au palais du Luxembourg, à Paris.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 8 mars 1670, note 4.

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(Consulté le 25/04/2024)

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