À Bernhard Verzascha, le 8 novembre 1663, note 4.
Note [4]

Dans sa préface des planches du Theatrum anatomicum [Amphithéâtre anatomique] (Bâle, 1640), Johann Caspar i Bauhin avait défendu la mémoire de son père en étrillant rudement Jean ii Riolan (v. note [1], lettre latine 297). Cela avait choqué et même outré Bernhard Verzascha, qui déclara sa vive admiration pour Riolan dans la Præfatio ad Lectorem benevolum [Préface au bienveillant lecteur] de son abrégé de la Médecine pratique de Lazare Rivière (Bâle, 1663, v. supra note [1]), quand il explique pourquoi il a publié ce livre : {a}

Alterum est, quod gravibus ac urgentibus causis Johanni Riolano Filio, Anatomicorum Principi, quem titulum ipsi Simon Pauli Regius Hafniensis Medicus exhibuit, justas vindicias scripserimus, uti ex hac epitometam clare constiturum speramus, ac clari Solis radii esse solent, cum sudum est.

Gratias sane immortales ex judicio Magni ingeniorum Æstimatoris Guerneri Rolfincii in præfatione dissert. anatom. Duum-Viris illis Harveo et Riolano debemus : illi quod novi instar Columbi in microcosmo universalem circulationem invenerit : huic quod ceu alter Vespucius nova multa inventæ navigationi adjecerit, novam circulandi viam detexerit, tam speciosam doctrinam ex Antiquitatis fontibus erutam suis gravissimis monumentis nobilitarit, et ceu particularem certis limitibus circumscripserit : porro nota sunt Orbi Erudito sententiarum anatomicarum de vasis lacteis et lymphaticis divortia, quæ editis in lucem scriptis Riolanus ac Bartholinus propugnant, attamen ex laudabili candore Magnus Bartholinus sub finem defensionis suæ in hæc verba erumpit : ut Riolane de sincero meo affectu sis certus et quantum virtutem etiam in hoste laudem, si debitum naturæ ante solveris, quam fragiles mei corporis artus anima fugerit, cum Scipione Æmiliano, qui Metellum inimicum post fata etiam colebat, litteratis omnibus sum dicturus : ite, celebrate exequias, nunquam enim civis Majoris funus videbitis : hactenus ο παιων Bartholinus : utinam tam humanos Antagonistas semper expertus fuisset summus Riolanus : et hæc sunt, quæ posthabitis allatrantium Zoilorum morsibus, antequam ad Riverii Contracti lectionem descendant, Mystas Apollineos præmonere voluimus, in quorum utilitatem porro Vivimus et tandem claudemus lumina nostra.

[En second lieu, pour de sérieuses et impérieuses raisons, j’ai voulu revendiquer par écrit le titre que Simon Paulli, médecin royal à Copenhague, avait conféré à Jean Riolan le fils, en le nommant prince des anatomistes ; {b} et j’espère que mon abrégé l’établira aussi clairement que le soleil brille quand il fait beau.

Au jugement du grand arbitre des esprits, Werner Rolfinck, dans la préface de ses Dissertationes anatomicæ, nous devons « d’immortels remerciements à ce duumvir que forment Harvey et Riolan : au premier, parce qu’à l’instar d’un nouveau Christophe Colomb, il a découvert la circulation universelle dans le microcosme ; au second, parce que, tel un second Amerigo Vespucci, il a ajouté de nombreuses innovations à la manière de naviguer, et mis au jour une voie nouvelle pour circuler ; par ses très puissants ouvrages, il a fait connaître sa fort brillante doctrine tirée des sources de l’Antiquité et en particulier, il en a établi les contours solides ». {c} En outre, le monde savant connaît les avis divergents des anatomistes sur les vaisseaux lactés et lymphatiques, et comment, par les livres qu’ils ont publiés, Riolan et Bartholin se sont attaqués l’un l’autre ; toutefois, à la fin de sa Defensio, Bartholin a eu un élan de louable candeur, avec ces mots : « Pour vous assurer, Riolan, de ma sincère affection pour vous et à quel point je loue la vertu, même chez un adversaire, si vous mourez avant moi, {d} alors, je parlerai à tous les savants comme a fait Scipion Émilien, qui vénéra son ennemi Métellus même après qu’il fut mort : ite, celebrate exequias, nunquam enim civis Majoris funus videbitis. » {e} Le salutaire Bartholin est toujours en vie ; j’aurais souhaité que l’immense Riolan eût toujours connu des adversaires aussi aimables. Avant qu’ils ne se lancent dans la lecture de mon Rivière abrégé, de préférence aux morsures des Zoïle aboyants, {f} voilà comment j’ai voulu prévenir les Mystæ Apollini ; {g} et à leur intention, j’ajouterai que « Nous vivons et à la fin nous fermerons les yeux »]. {h}


  1. Détestant Rivière, Guy Patin n’avait pas même dû ouvrir l’abrégé qu’en avait donné Verzascha.

  2. Rivière avait sans doute lu cela dans le § 80, page 98 de la Παρεκβασισ[Digression] sur les fièvres de Simon i Paulli, {i} sur la coagulation du sang dans la veine au cours de la phlébotomie :

    Quid quod Incomparabilis Anatomicus, Pater et Princeps Anatomicorum, Præceptor meus ætatem colendus, joannes riolanus […] testetur […].

    Ce dont l’incomparable anatomiste jean riolan, le père et les prince des anatomistes, mon maître à honorer éternellement, {ii} (…) témoignerait (…)].

    1. Francfort, 1660, V. note [3], lettre latine 238.

    2. V. note [1], lettre 836, pour la dévotion Paulli à la mémoire de Riolan. Plusieurs auteurs lui ont donné le titre de « prince des anatomistes », avant et après Paulli (et parfois par dérision).

  3. V. note [2], lettre latine 52, pour les « Dissertations anatomiques » de Werner Rolfinck (Nuremberg, 1656), avec l’extrait de leur préface qui rend un vibrant hommage à William Harvey et à Jean ii Riolan ; Verzascha le reprenait ici mot pour mot (passage mis entre guillemets).

  4. Littéralement : « si vous acquittez votre dette envers la nature avant que la vie n’ait quitté les membres de mon corps ».

  5. « Allez, célébrez les funérailles, car jamais vous ne verrez celles d’un plus grand citoyen ! » (Pline, Histoire naturelle, livre vii, chapitre xlv, Lit Pli, volume 1, page 303).

    V. note [1], lettre latine 45, pour la Thomæ Bartholini Defensio Vasorum lacteorum et lymphaticorum adversus Joannem Riolanum… [Défense des vaisseaux lactés et lymphatiques, de Thomas Bartholin contre Jean Riolan…] (Copenhague, 1655). L’emprunt de Verzascha se trouve à la 168e et dernière page du livre.

    Valère Maxime (Faits et dits mémorables, livre iv, chapitre i, § 12) a mieux expliqué que Pline l’histoire que citait Bartholin (en y inversant apparemment les rôles car Scipion Émilien mourut en 129 av. J.‑C., et Métellus 13 ans plus tard, en 116) :

    Acerrime cum Scipione Africano Macedonicus dissenserat, eorumque ab æmulatione virtutis profecta concitatio ad graves testatasque inimicitias progressa fuerat : sed tamen, cum interemptum Scipionem conclamari audisset, in publicum se proripuit mæstoque vultuet voce confusa “ concurrite, concurrite ” inquit, “ ciues ! mœnia nostræ urbis eversa sunt : Scipioni enim Africano intra suos penates quiescenti nefaria vis allata est ”. O rem publicam pariter Africani morte miseram et Macedonici tam humana tamque civili lamentatione felicem ! Eodem enim tempore et quantum amisisset principem et qualem haberet recognovit. Idem filios suos monuit ut funebri eius lecto humeros subicerent, atque huic exequiarum illum honorem vocis adiecit, non fore ut postea id officium ab illis maiori viro præstari posset. Ubi illa tot in curia iurgia ? Ubi tot pro rostris altercationes ? Ubi maximorum civium et ducum tantum non togata prœlia ? Omnia nimirum ista præcipua veneratione prosequenda delevit moderatio.

    [Métellus le Macédonique avait eu de très vifs dissentiments avec Scipion Émilien et leur rivalité, quoique née d’une vertueuse émulation, avait dégénéré en une haine violente et déclarée. Mais, lorsqu’il eut entendu retentir la nouvelle de l’assassinat de Scipion, il s’élança hors de chez lui l’air consterné et criant d’une voix émue : « Au secours ! Citoyens, au secours ! Le rempart de Rome est renversé ! Scipion, pendant son sommeil et dans sa maison, vient d’être frappé par une main criminelle. » Ô république, aussi à plaindre de la mort de Scipion qu’heureuse d’entendre les plaintes si humaines et si patriotiques de Métellus le Macédonique ! Car dans le même instant elle put comprendre quel grand citoyen elle venait de perdre et quel grand citoyen elle conservait. Le même Métellus invita ses fils à porter sur leurs épaules le lit de parade de Scipion et à ces honneurs funèbres il n’ajouta pas un hommage moindre en leur disant que jamais ils n’auraient à rendre un pareil devoir à un plus grand homme. Qu’étaient devenues tant de querelles violentes en plein sénat, tant d’altercations dans l’assemblée du peuple, tant de combats que de si grands capitaines, de si grands citoyens s’étaient livrés pour ainsi dire en pleine paix ? Tous ces souvenirs avaient été abolis en lui par l’effet d’une modération digne d’un profond respect].

  6. V. note [5], lettre latine 221, pour Zoïle, type antique du critique jaloux.

  7. Les « initiés aux mystères d’Apollon » (dieu de la guérison, v. note [8], lettre 997), c’est-à-dire les médecins.

  8. Sans source latine que j’aie su trouver.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Bernhard Verzascha, le 8 novembre 1663, note 4.

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(Consulté le 17/04/2024)

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