À Charles Spon, le 2 août 1652, note 42.
Note [42]

Les témoignages abondent sur ce combat qui fut fatal au duc de Nemours.

  • Conrart (pages 172‑176) :

    « Le duc de Nemours, depuis le différend qu’il avait eu avec le duc de Beaufort, son beau-frère, lorsqu’ils avaient tous deux le commandement, l’un des troupes qu’il avait amenées de Flandre, et l’autre de celles qui étaient au duc d’Orléans, avait toujours conservé une haine et un mépris étrange pour lui et l’avait attaqué plusieurs fois de paroles pour l’obliger à se battre ; de quoi le duc de Beaufort s’éloignait toujours, tant parce qu’il aimait beaucoup la duchesse de Nemours, sa sœur dont il était aussi fort aimé, et ainsi il ne voulait pas lui donner ce déplaisir (car, bien que son mari ne vécût pas fort bien avec elle et que ses galanteries avec la duchesse de Châtillon l’empêchassent de lui témoigner une ardente passion, elle ne laissait pas d’en avoir une extraordinaire pour lui) que parce qu’il n’était pas en réputation d’aimer trop à se porter sur le pré. On a cru même qu’il {a} ne s’y serait pas résolu cette fois-ci sans le décri {b} où il était pour avoir esquivé de se battre contre le duc de Candale, le marquis de Jarzé, etc. Depuis quelque temps, il {c} faisait paraître une telle passion contre le duc de Beaufort qu’il était aisé de juger qu’elle ne pourrait cesser que par un combat. Néanmoins, comme il avait été blessé à la main au combat du faubourg Saint-Antoine et qu’il n’était pas encore capable de tenir son épée, on crut qu’il ne se hâterait pas tant de faire appeler le duc de Beaufort. M. le Prince même lui disait, toutes les fois qu’il en parlait, qu’il fallait qu’il se fortifiât avant que de penser à se battre, et que lorsqu’il serait en état de le pouvoir faire, non seulement il ne l’en détournerait pas, mais qu’il le voulait servir. Cependant, la violence de cette animosité l’aveugla de telle sorte que, tout faible et tout incommodé qu’il était encore, il se découvrit au marquis de Villars {d} qui s’était entièrement attaché à lui et l’obligea d’aller appeler le duc de Beaufort, ce qu’il fit. Et parce qu’il ne pouvait pas se battre à l’épée seule, il lui fit proposer que ce fût au pistolet et à pied. Le duc de Beaufort accepta ce parti et il convint avec Villars du lieu et du jour, lequel étant venu (ce fut le 30 juillet), chacun alla de son côté vers l’hôtel de Vendôme afin que l’on ne se doutât de rien. Ils mirent pied à terre dans le marché aux chevaux derrière le jardin de l’hôtel de Vendôme {e} et ils se battirent cinq contre cinq : le duc de Nemours, Villars et trois gentilshommes ; le duc de Beaufort, le comte de Bury, fils du marquis de Rostaing, et trois gentilshommes. Le duc de Nemours avait fait porter dans son carrosse deux pistolets chargés de cinq balles chacun. Il en donna un au duc de Beaufort et retint l’autre, qu’il tira d’abord avec précipitation. Il donna dans les cheveux du duc de Beaufort, lequel voyant qu’il avait évité le coup, dit au duc de Nemours qu’il se devait contenter et qu’il lui donnerait la vie s’il la demandait. Le duc de Nemours répondit qu’il ne la lui demanderait jamais ; et ayant mis l’épée à la main à l’instant qu’il eut tiré son pistolet, il se mit en devoir de porter un coup au duc de Beaufort qui en eut la main un peu blessée, et à l’instant même il tira son pistolet dont il donna droit dans l’estomac du duc de Nemours et lui perça le cœur au-dessous de la mamelle droite. Villars et Bury se blessèrent tous deux et ayant vu tomber le duc de Nemours, ils y accoururent et les six autres gentilshommes aussi. Dès que le combat commença, Mme de Rambouillet, religieuse, qui se promenait avec l’abbé de Saint-Spire dans le jardin de l’hôtel de Vendôme, sortirent par une porte de derrière et y coururent, mais ils ne purent arriver assez à temps pour les empêcher. Tous deux approchèrent du duc de Nemours pour l’exhorter à penser à Dieu et l’abbé de Saint-Spire lui donna l’absolution ; mais on croit qu’il n’entendait déjà plus car il serra étrangement la main de Mme de Rambouillet sans donner pourtant aucun signe d’entendre ce qu’elle lui disait. On le mit dans un carrosse pour l’emporter et il y expira incontinent. Le duc de Beaufort voulait qu’on le portât à l’hôtel de Vendôme, ce que les siens ne voulurent pas. Il y était aussi accouru des augustins déchaussés dont l’église est fort proche de ce lieu-là ; {f} mais ils y vinrent trop tard, comme les autres. Comme le carrosse était proche de cette église, M. le Prince, qui accourait sur le bruit qu’il avait eu de ce combat, apprit que M. de Nemours était mort ; et ayant demandé où il était, on lui dit qu’il était dans ce carrosse qu’on lui montrait. Sur quoi, il ordonna qu’on menât le corps chez lui, {g} ce qui fut fait. Il en témoigna beaucoup d’affliction et sur-le-champ, il jura, se prit aux cheveux, et fit enfin toutes les actions d’un homme transporté et outré de douleur ; et depuis, témoigna qu’il n’en pouvait ouïr parler sans lui faire de nouvelles plaies dans le cœur. L’abbé de Saint-Spire, songeant à l’angoisse que cette nouvelle devait donner à la duchesse de Nemours qui, étant très pieuse et aimant chèrement son mari, devait avoir des ressentiments inconcevables de sa perte et de la manière dont elle le perdait, alla tout courant chercher l’évêque de Grasse, {h} prélat savant et pieux, pour lui en adoucir l’amertume en la lui apprenant. Il y alla du même pas et la trouva dans une inquiétude non pareille parce qu’elle avait déjà découvert, par les cris et les gémissements de ses domestiques, que son mari s’était battu et qu’il avait été fort blessé. Voyant donc entrer cet évêque, elle ne douta plus de son malheur et demeura quelque temps comme une statue ; puis, comme se réveillant tout à coup, elle versa un torrent de larmes sur Mme de Brienne et Mme *** qui étaient auprès d’elle, et s’écria : “ Mon mari mort ! et sans parler ! et par mon frère ! ” M. le Prince y arriva un peu après et ayant ouï dire qu’il venait, elle pria instamment qu’on ne laissât point entrer et qu’il était impossible qu’elle en pût supporter la vue parce que c’était pour lui que son mari avait péri. Il entra dans la chambre et parla à l’évêque de Grasse et à plusieurs autres, mais non pas à elle ; on le visita comme s’il eût perdu un de ses plus proches et il avouait à tout le monde que rien ne l’avait jamais tant touché que ce malheur. La duchesse de Nemours se retira le lendemain aux Filles de Sainte-Marie de la rue Saint-Antoine où elle fut fort longtemps et ne se laissait voir qu’à l’évêque de Grasse, qui l’allait visiter presque tous les jours, et à quelques autres personnes de piété dont l’entretien la pouvait consoler. Elle avait une telle passion pour son mari qu’elle faisait avec joie tout ce qu’il désirait d’elle ; et par ce motif, elle s’était obligée avec lui pour plus de 400 000 livres ; de sorte que la Maison étant fort obérée, elle aura grand-peine à retirer assez de son bien pour satisfaire seulement aux dettes auxquelles elle est obligée et ne pourra demeurer qu’incommodée avec ses deux filles. »


    1. Beaufort.

    2. Décri : mauvaise réputation.

    3. Nemours.

    4. V. note [1], lettre 936.

    5. Aujourd’hui entre la place de l’Opéra et la place Vendôme, dans le iie arrondissement de Paris (v. note [2], lettre 920).

    6. Les augustins déchaussés ou Petits Pères avaient Notre-Dame-des-Victoires pour église.

    7. Sur la rive gauche de la Seine, près du palais du Luxembourg (emplacement actuel du théâtre de l’Odéon).

    8. Antoine Godeau, v. note [10], lettre 133.

  • Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome ii, pages 265‑266, jeudi 1er août) :

    « Ce jour, on sait par le sieur Des Fougerais, {a} célèbre médecin et ordinaire chez M. de Nemours, qu’il fut tué sur-le-champ, de trois balles perçant sous la mamelle gauche et trouvées dans les lombes. Ils se battaient à pied avec le pistolet et l’épée ; les marquis de Villars, Flisk {b} et deux autres, et pour M. de Beaufort, le comte de Bury, Héricourt, jadis capitaine ou lieutenant de ses gardes, etc. qui ont été blessés. Son corps fut porté à l’hôtel de Condé, et le lendemain, 31, en son hôtel de Nemours, où il fut visité et embaumé pour être porté à Annecy-en-Genevois. »


    1. Élie Béda Des Fougerais.

    2. Sic pour Du Ris ou de Ri.

  • Mlle de Montpensier (Mémoires, première partie, volume 2, chapitre xiii, page 133) :

    « Comme ils furent en présence, M. de Beaufort et lui, le premier lui dit : “ Ah ! mon frère, quelle honte ! oublions le passé, soyons bons amis. ” M. de Nemours lui cria : “ Ah ! coquin, il faut que tu me tues ou que je te tue. ” Il tira son pistolet, qui manqua, et vint à M. de Beaufort l’épée à la main ; de sorte qu’il fut obligé de se défendre ; il tira, et le tua tout roidet de trois balles qui étaient dans le pistolet. »

  • Journal de la Fronde (volume ii, fo 123 ro, 30 juillet 1652) :

    « S.A.R {a}. ayant fait son Conseil, il y a eu différend pour la préséance entre MM. de Beaufort et de Nemours, et de Rieux, dont pas un n’a voulu céder à l’autre ; et l’affaire s’est si fort échauffée entre les deux premiers que le ressentiment de la dispute qu’ils eurent naguère à Orléans les a portés à se donner aujourd’hui le défi. Pour cet effet, M. de Nemours a envoyé, cette après-dînée, M. de Villars, de la Maison de Chavaignac, à M. de Beaufort, pour l’appeler en duel, dont celui-ci s’étant défendu honnêtement, et se voyant néanmoins fort pressé de se battre, s’y est enfin résolu ; et ils se sont battus ce soir, à six heures, dans le Marché aux chevaux, cinq contre cinq, savoir, du côté de M. de Nemours, Villars, Compans, le baron de La Chaise et son capitaine des gardes, et du côté de M. de Beaufort, le comte de Bury et ses trois gentilshommes, nommés Brillet, Héricourt, et Du Ris. Tous les seconds s’étant battus avec l’épée seulement, Brillet et Du Ris y ont été blessés ; et MM. de Beaufort et de Nemours se sont battus, l’épée à une main et le pistolet à l’autre. M. de Nemours ayant tiré le premier son coup de pistolet et ayant blessé M. de Beaufort à la main, celui-ci lui a dit qu’il lui demandât la vie et qu’il ne l’obligeât pas de le tuer ; ce que M. de Nemours n’ayant pas voulu faire et ayant répondu qu’il fallait mourir l’un ou l’autre, M. de Beaufort lui a tiré son coup de pistolet dans le cœur et l’a tué sur la place ; après quoi il a séparé les seconds, qui n’ont pas eu loisir de se faire beaucoup de mal. Le corps de M. de Nemours a été porté à l’hôtel de Condé, où M. le Prince a témoigné un regret si grand qu’on ne l’en peut consoler ; non plus que Mme de Nemours, qui est tombée évanouie, en apprenant cette nouvelle. Il est universellement regretté. »


    1. Son Altesse Royale, le duc d’Orléans.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 2 août 1652, note 42.

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(Consulté le 18/04/2024)

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