À Claude II Belin, le 13 janvier 1639, note 5.
Note [5]

Maladie très commune au temps de Guy Patin, l’apoplexie avait une définition (Furetière) par défauts cumulatifs qui, faute de référence anatomique convaincante (l’ouverture du crâne ne faisait pas partie des autopsies ordinaires), peut plonger le médecin moderne dans une certaine confusion :

« C’est une soudaine privation du sentiment et du mouvement de tout le corps avec lésion des principales facultés de l’âme, accompagnée d’un ronflement et de difficulté de respirer. Elle diffère du care, {a} de la catalepsie et de la suffocation de matrice parce qu’en ces trois autres maladies on a la respiration libre. Elle diffère de la syncope parce qu’en celle-ci il n’y a point de pouls apparent, ou du moins qu’il est fort faible, au lieu qu’en l’apoplexie il demeure plein et fort jusqu’à ce que la mort soit proche. Elle diffère de l’épilepsie en ce qu’en celle-ci le mouvement de la faculté animale n’est point aboli, mais seulement dépravé. Et elle diffère de l’hémiplégie, en ce que celle-ci provient d’une obstruction du cerveau bouché d’un côté seulement. L’apoplexie est causée d’une pituite épaisse et froide qui vient à remplir tout à coup les ventricules du cerveau et qui bouche ou rétrécit les artères du rets admirable, {b} par lequel l’esprit y monte du cœur ; de sorte que cet esprit venant à faillir, il ne peut plus y avoir de quoi fournir de sentiment ni de mouvement aux nerfs. Ce mot d’apoplexie vient du grec apopleittein, qui signifie battre, étonner, rendre stupide et sans sentiment, parce que cette maladie fait tomber en un instant, comme si on était abattu d’un coup de foudre. C’est pourquoi quelques-uns l’ont appelée sidération, comme qui dirait foudroiement. »


  1. Carus, ou coma profond.

  2. Polygone de Willis où se rejoignent toutes les artères qui portent ensuite le sang aux hémisphères cérébraux.

Tout bien pesé, on peut assimiler l’apoplexie d’alors à ce qu’on appelle aujourd’hui un accident artériel cérébral grave avec perte immédiate ou rapide de la conscience. C’est le résultat d’un manque de sang (ischémie par occlusion d’une artère) ou, au contraire, d’un épanchement de sang (hémorragie par rupture d’une artère) dans le cerveau qui, par son étendue, provoque une souffrance aiguë de cet organe (par augmentation soudaine de la pression à l’intérieur du crâne). Apoplexie est donc en français synonyme d’ictus, mot latin qui veut dire coup et dont le sens se retrouve intact dans les façons communes de nommer l’apoplexie en anglais (stroke) ou en allemand (Schlag). En français, accident artériel cérébral grave semble en somme être le meilleur synonyme moderne de l’apoplexie des anciens, et c’est une maladie qui fait toujours de désolants ravages. La mort apoplectique n’est pas subite, mais brutale et rapide (quelques heures à quelques jours). V. notes :

  • [7], lettre 639, pour la distinction entre apoplexies sanguine et pituiteuse (la plus fréquente aujourd’hui et celle dont Furetière supposait le mécanisme) ;

  • [1], lettre 747, pour un aperçu sur les vaines contorsions de la théorie humorale visant à expliquer l’apoplexie ;

  • [3], lettre 616, pour le médecin suisse Johann Jakob Wepfer qui a le premier établi, en 1658, la notion d’accident vasculaire cérébral et étudié les phénomènes circulatoires qui la provoquent.

On a soupçonné Richelieu d’avoir fait empoisonner le P. Joseph :

« Toutes ces raisons firent croire que le cardinal, qui sacrifiait tout pour sa gloire, n’avait pas épargné la vie d’un homme à qui il était redevable de son élévation, et qui lui avait rendu des services si importants sans en avoir reçu la moindre récompense. On ne feignit point de dire que le cardinal, qui ne pouvait les reconnaître, ne pouvait plus aussi souffrir sa présence. Mais ce ne sont que des présomptions, et les calomnies des ennemis du ministre. Les gens de bon sens, et qui connaissent l’intime union qui était entre ces deux amis, en jugeront peut-être autrement. Les regrets sincères que le cardinal témoigna quand il fut mort et tous les honneurs qu’il fit rendre à sa mémoire le justifieront de ce reproche. » {a}


  1. Le Véritable Père Joseph, capucin, nommé au cardinalat ; contenant l’histoire anecdote du cardinal de Richelieu. Nouvelle édition augmentée (Saint-Jean-de-Maurienne, Gaspard Butler, 1704, in‑12), page 562.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 13 janvier 1639, note 5.

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(Consulté le 28/03/2024)

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