À Charles Spon, les 19 et 22 octobre 1649, note 5.
Note [5]

L’École de Salerne en vers burlesques ; et poema macaronicum de bello huguenotico. {a}


  1. « et un poème macaronique (v. note [19], lettre 488) sur la guerre huguenote. »

    Paris, Jean Hénault, 1650, in‑4o de 74 pages, achevé d’imprimer le 30 octobre 1649.

    Comparée aux autres dont on dispose, cette édition numérique est précieuse car elle présente l’avantage d’inclure un curieux frontispice :

    sous un phylactère portant l’inscription ridendo monet [il exhorte à rire], coiffé d’un bonnet carré et vêtu de sa toge, un médecin assis, dont la caricature présente une certaine ressemblance avec le visage de Guy Patin, tient un médaillon qui donne le titre court du livre : « lescolle de salerne en vers burlesque. Par L.M.P. Docteur en Medecine. » Il est posé sur un livre fermé avec, écrit sur sa tranche : « gargantua pantagruel ».

    Ce livre a été réédité par le même libraire en 1652, mais aussi à Leyde en 1651 (v. note [1], lettre 255) et à de nombreuses reprises plus tard. V. note [4], lettre 12, pour l’édition latine « sérieuse » de la Schola Salernitana donnée par René Moreau en 1625.


Le traducteur, Louis Martin {a} est nommé dans le Privilège du roi :

« notre bien-aimé le sieur Martin, docteur en la Faculté de médecine de notre ville de Toulouse, {b} nous fait remontrer qu’il a composé en vers burlesques le livre intitulé L’École de Salerne […], qu’il désirerait faire imprimer s’il nous plaisait lui octroyer nos lettres à ce nécessaires. »


  1. Ce qui explique le « L.M.P. » du frontispice (détaillé supra) : « Louis Martin Parisien (?). »

  2. Sic.

L’épître dédicatoire du libraire est adressée « À Monsieur, Monsieur Patin, docteur en médecine de la très ancienne et très illustre Faculté de Paris » :

« Monsieur,
La santé des personnes de votre mérite est tellement importante au public que les particuliers doivent faire tout leur possible pour contribuer à sa conservation. C’est ce qui m’a fait prendre la hardiesse de vous dédier ce livre qui en traite. Ce n’est point pour vous suggérer des préceptes de santé qui vous sont parfaitement connus, comme on peut voir tous les jours par le nombre incroyable de malades que vous retirez de la mort, les remettant en une parfaite santé ; mais je m’estimerais heureux si je pouvais contribuer quelque chose à votre divertissement. C’est aussi ce qu’a prétendu l’auteur de ce livre, {a} qui a tâché de mêler l’agréable avec l’utile et de joindre le plaisir de l’esprit avec les préceptes salutaires au corps, sachant qu’il n’y a point de conseil plus utile pour la santé que celui qui ordonne de bien vivre et se réjouir. C’est ce que vous souhaite de tout son cœur celui qui est,
Monsieur,
votre très humble et très obéissant serviteur,
Jean Hénault. {b}
De Paris, ce 30 octobre 1649. »


  1. V. note [7], lettre latine 194, pour un témoignage disant qu’il s’agirait en fait de Patin lui-même, masqué sous le pseudonyme d’un médecin toulousain (ou parisien) imaginaire.

  2. V. note [54], lettre 332.

L’Avis sérieux et important au lecteur conte l’histoire des vers latins de l’École de Salerne :

« Je n’ai qu’un mot à te dire, touchant l’auteur de ce livre que quelques-uns nomment Ioannes de Mediolano, Jean de Milan, qui l’offrit au nom de tout le Collège de Salerne à Robert, roi d’Angleterre pour une telle occasion : Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et depuis roi d’Angleterre, laissa trois fils après sa mort, qui furent Guillaume le Roux, Robert et Henri ; Guillaume le Roux succéda au royaume d’Angleterre à son père ; Robert lui succéda au duché de Normandie et suivit Godefroy de Bouillon {b} en la conquête de la Terre sainte où l’auteur des Chroniques de Normandie remarque qu’il refusa le royaume de Jérusalem qui lui était offert, ayant appris la mort de son frère Guillaume le Roux qui le laissait héritier de la Couronne d’Angleterre ; {a} il passa donc à son retour de la Terre sainte par l’Apouille pour visiter les princes de l’Apouille et de Calabre qui étaient ses proches parents, et consulta les médecins du Collège de Salerne, {b} qui étaient pour lors en grande réputation, pour la guérison d’une plaie qu’il avait reçue dans le bras droit au siège de Jérusalem et qui s’était changée en fistule si maligne, pour avoir été faite avec une flèche envenimée, que les médecins conclurent qu’elle était incurable à moins qu’il se trouvât quelqu’un qui la voulût sucer avec la bouche pour en tirer le venin ; ce que ce prince ne voulant permettre, pour n’exposer personne à un danger si évident, sa femme, qui l’aimait tendrement, lui suça sa plaie pendant qu’il dormait et le guérit par ce moyen sans toutefois encourir aucun danger de sa personne. C’est ce qui donna sujet aux médecins de Salerne d’insérer un chapitre sur la guérison des fistules dans leur livre et de le dédier à ce prince, auquel ils donnent le titre de roi d’Angleterre parce qu’il était héritier présomptif de ce royaume, encore qu’il ne l’ait jamais possédé parce qu’Henri, {c} son frère puîné se trouvant en Angleterre au temps de la mort de son frère Guillaume le Roux, se servit de l’occasion, s’empara du royaume et se défit de son frère Robert qui retournait en Angleterre avec une puissante armée pour recouvrer son royaume ; de sorte que ce livre fut composé l’an 1100 par Jean de Milan, médecin de Salerne. »


  1. Guillaume le Roux (1056-1100) et Robert ii Courte-Cuisse (1060-1134) étaient les deux premiers fils de Guillaume ier le Conquérant (1027-1087). Robert suivit Godefroy de Bouillon (vers 1058-1100), le chef emblématique de la Première Croisade.

  2. Apouilles, du latin Apulia, est l’ancien nom des Pouilles, au sud-est de l’Italie. Salerne, au sud de Naples, est un port de Campanie, région située à l’ouest des Pouilles. Créée au xie s., son École médicale fut la porte par où la médecine grecque antique revint en Europe occidentale, après avoir été conservée et enrichie par les Arabes (v. note [4], lettre 5).

  3. Henri ier, dit Beauclerc (1068-1135), troisième fils de Guillaume le Conquérant.

Vient après une Approbation des docteurs en vers burlesques :

« Nous soussignés docteurs en vers burlesques
Certifions avoir lu cet écrit ;
N’avoir rien lu dedans que de grotesque
Divertissant, propre à guérir l’esprit
Avec le corps du plus mélancolique,
Morne, pensif, taciturne animal
Si qu’y lisant tous malades en ique {a}
Pourront trouver du remède à leur mal.
En foi de quoi, Nous, discrètes personnes,
Avons posé nos quatre noms au bas.
Ami lecteur, les lisant ne t’étonne
si par hasard tu ne nous connais pas.
Fait à Paris en pleine table,
Buvant vin frais et délectable,
L’an mil six cent quarante-neuf,
Et du mois de mai le dix-neuf.

Le Comte de Roncas.
Le Vicomte Boniface.
Le Marquis Detmola.
Le Baron de Chéri. » {b}


  1. Épileptique, arthritique, asthmatique, etc.

  2. Roncas est Pierre Scaron, Etmola est François i de La Mothe Le Vayer, mais Boniface et Chéri n’ont pas été reconnus.

Suit une dédicace non signée de 32 vers À Monsieur Scaron, prince des poètes burlesques :

« Enfin je t’ai vu dans ta chaise,
Où tu n’es pas fort à ton aise,
Du moins tant qu’un prédicateur
Écouté de maint auditeur ;
Mais ce que plus en toi j’admire,
C’est ton bel esprit qui se vire
Et se tourne si promptement ;
Je m’étonne, dis-je, comment
Dedans ton corps presque immobile
Veut loger esprit tant agile,
Qu’il s’élève en moins d’un moment
D’ici bas jusqu’au firmament. […] »

Pour finir les préliminaires :

L’École de Salerne proprement dite est composée d’une Épître dédicatoire au roi d’Angleterre (pages 1‑3) suivie de dix chants :

iAvis généraux pour la conservation de la santé (pages 3‑10) ;

iiDe l’Air et des aliments (pages 10‑14) ;

iiiDe la Qualité des aliments (pages 14‑17) ;

ivDes Quatre saisons de l’année (pages 17‑20) ;

vDu Souper et du dessert (pages 20‑24) ;

viDes Herbes et légumes (pages 24‑35) ;

viiDes Fleurs et des graines (pages 35‑38) ;

viiiDes Fruits (pages 39‑43) ;

ixDe la Chair des animaux (pages 43‑46) ;

xAjouté à l’École de Salerne, du choix des parties, âges et saisons des animaux (pages 46‑50).

C’est une succession de recommandations hygiéniques essentiellement présentées sous la forme de dictons ; par exemple :

  • page 3,

    « La douce liqueur de vendange
    Ne se doit boire sans mélange ;
    J’entends que pour vivre bien sain
    Faut mettre de l’eau dans son vin » ;

  • page 20,

    « Je dis pour vivre gaiement
    Qu’il faut souper légèrement » ;

  • page 40,

    « Mais parlons devant de la poire,
    Tu n’en mangeras point sans boire,
    Car poire mangée sans vin
    Est quasi pire que venin ».

Un avis de L’imprimeur au lecteur se trouve pages 51‑52 :

« […] Il représente naïvement les désordres que font les gens de guerre à la campagne, et néanmoins en un si triste sujet donnent matière de rire. Au reste, on en doit faire d’autant plus d’estime que c’est le seul poème de cette nature que nous avons en notre langue ; car ceux d’Antoine de Arena {a} approchent plus du provençal que du français, et ceux de Merlin Coccaye {b} sont italiens. […] ».


  1. Antonius Arena, natif de Solliès (Var), juriste et poète du xvie s., adepte des vers macaroniques.

  2. V. note [19], lettre 488.

Le Poema macaronicum de bello huguenotico de Rémy Belleau (1528-1577), poète de la Pléiade française, occupe la fin du livre (pages 53‑74) ; en voici un échantillon (page 57, contre le pape et ses émissaires, les moines) :

Ah ! pereat, cito sed pereat miserabilis ille
Qui menat in Francam nigra de gente Diablos
Heu pistolliferos Reistros, traistrosque volores,
Qui pensant nostram in totum destrugere terram ;
Nunquam visa fuit canailla brigandior illa
.

[Ah ! que s’en aille, mais s’en aille vite, ce misérable qui amène en France ces diables de noire espèce, ces reîtres pistoliers et traîtres voleurs, qui pensent détruire entièrement notre terre ; jamais vit-on canaille plus brigande que celle-là].

Molière s’est bien servi de ce style macaronique, poésie burlesque faite de mots écorchés du latin et de la langue maternelle, pour ridiculiser les médecins dans son Malade imaginaire (v. note [11], lettre 126).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, les 19 et 22 octobre 1649, note 5.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0203&cln=5

(Consulté le 18/04/2024)

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