À Charles Spon, le 3 novembre 1651, note 5.
Note [5]

Journal de la Fronde (volume i, fos 505 ro‑506 ro, octobre 1651) :

« Le 29 au matin, la nouvelle étant venue que le roi d’Angleterre {a} était arrivé incognito en Normandie, le duc d’York, son frère, partit aussitôt pour lui aller au-devant et M. le duc d’Orléans lui envoya un carrosse. Il coucha ce jour-là à Écouis {b} et parce qu’il avait mandé qu’il arriverait le lendemain à Paris, la reine d’Angleterre et M. le duc d’Orléans lui allèrent au-devant le 30 ; mais étant arrivés à Asnières, une lieue d’ici, ils apprirent qu’il était encore à 10 heures du matin à Magny {c} et qu’ainsi, il ne pouvait arriver que fort tard à Paris, ayant encore 14 lieues à faire ; ce qui les obligea à revenir sur leurs pas, et ce roi n’arriva qu’à dix heures du soir. On raconte la fortune qu’il avait courue en cette façon : il dit qu’il n’avait guère plus de 12 000 hommes à Worcester {d} et que Cromwell en avait plus de 40 000 ; que son infanterie se défendit d’abord assez bien, mais que la cavalerie écossaise ayant lâché le pied, il fallut qu’il cédât à la force et au grand nombre de ses ennemis ; en sorte que ne lui restant plus que 2 000 chevaux, il dit aux chefs qu’il n’était pas d’avis d’aller avec eux et qu’il allait prendre une autre route avec la moindre compagnie qu’il pourrait ; que sur cela, il partit de son camp avec le duc de Buckingham, {e} milord Wilmot, {f} son premier gentilhomme de la Chambre et cinq ou six personnes seulement, qui s’en allèrent à travers champs dans la maison d’un seigneur catholique, en sorte qu’il n’y eut que milord Wilmot qui demeura avec le roi ; lequel ayant pris l’habit d’un soldat et s’étant lui-même coupé les cheveux, prit un guide qui l’avait autrefois conduit à Worcester, qui savait fort bien les lieux d’alentour et qui lui était fort affectionné. Il lui donna 69 ou 80 jacobus {g} qu’il avait et se mit en chemin à pied avec eux pour aller à Bristol, à l’embouchure de la rivière de Severn, où milord Wilmot l’alla joindre par un autre chemin ; mais peu après qu’il fut parti pour y aller, quantité de cavalerie ayant paru de loin sur le chemin qu’il tenait, {h} le guide le mena dans une forêt voisine et le fit monter sur un arbre fort touffu où il monta aussi avec lui. Il y demeura caché depuis les six heures du soir jusqu’à onze et pendant qu’il y était, deux ou trois mille chevaux de ses ennemis passèrent sous cet arbre qui était au bord du chemin. Enfin, étant passés, le guide le conduit, à la faveur de la nuit, à pied six lieues durant, jusqu’à Bristol dans la maison d’un autre catholique, d’où il alla chez un autre, et il demeura quelques jours dans la cache où l’on cache d’ordinaire les prêtres ; et pendant qu’il y était, on le vint chercher dans cette maison fort exactement sans le pouvoir trouver, quoiqu’il y eût été reconnu par des domestiques. Delà, il fut chez d’autres catholiques jusque dans la ville d’Exeter vers le pays de Cornouailles ; delà, chez d’autres catholiques plus près de Londres. Enfin, il se trouva chez un qui fut d’avis qu’il allât dans Londres, estimant qu’il s’y pourrait mieux cacher qu’en tout autre endroit ; et pour cet effet, il révéla ce secret à sa fille, laquelle il fit partir à cheval, en croupe derrière le roi, pour aller à Londres, sous prétexte de craindre les désordres des gens de guerre à la campagne. Lorsque le roi fut proche de Londres, le frère aîné de cette fille, qui ne savait pas le secret, le rencontra ; et ne connaissant point le roi, qui était assez mal vêtu, demanda à sa sœur pourquoi elle se faisait conduire par un homme de si mauvaise mine, et qu’elle avait tort de n’avoir pas choisi un meilleur conducteur, ajoutant même d’autres paroles plus désobligeantes ; à quoi elle répondit qu’elle avait cru que, dans un temps de guerre, on prendrait moins garde à elle, étant en la compagnie de cet homme que d’un autre de meilleure apparence, et passa comme cela. Le roi étant entré de cette façon dans Londres, demeura trois jours caché chez trois ou quatre catholiques, n’ayant trouvé d’asile ni de refuge que chez ces sortes de personnes, desquelles il se loue fort. Il y fut même reconnu en trois différents endroits et néanmoins, il ne fut pas découvert. Il mangea et prit du petun {i} avec quelques soldats de Cromwell qui le prenaient pour un de leurs camarades ; mais enfin, le bruit ayant commencé à se répandre par la ville qu’il y était, il en sortit et s’en alla dans un port où il fut reconnu par un matelot qu’il pria de lui < faire > passer la mer ; mais ce matelot refusa de l’embarquer, disant qu’il y allait de sa tête et promettant néanmoins de ne le découvrir jamais. Ensuite, un autre matelot entreprit de le passer après l’avoir aussi reconnu, mais il souhaita qu’il ne sût point le lieu où il débarquerait ; et de fait, Sa Majesté ne l’a pas voulu dire, ni celui où elle s’embarqua, ni même nommer aucun de ceux qui l’ont réfugiée afin de ne mettre personne en peine. Néanmoins, les catholiques qui sont ici appréhendent fort que ce qu’il en a dit leur fasse tort en Angleterre et que le général ne souffre pour les particuliers qui l’ont retiré ; ce qui l’a obligé de prier ceux à qui il l’avait dit de ne le publier pas, et même de faire publier qu’il n’est vrai qu’il ait été chez les catholiques. Milord Wilmot est arrivé avec le roi, et il y a nouvelle que le duc de Buckingham et deux autres seigneurs de ses plus affidés sont arrivés en Hollande. »


  1. En titre seulement, sous le nom de Charles ii.

  2. Huit kilomètres au nord des Andelys (v.  note [60] du Faux Patiniana II‑4).

  3. Magny-en-Vexin.

  4. Le 13 septembre, v. note [16], lettre 266.

  5. V. note [2], lettre 993.

  6. Henry Wilmot, premier comte de Rochester en décembre 1652.

  7. Pièces d’or anglaises, v. note [15], lettre 128.

  8. Suivait.

  9. Tabac.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 3 novembre 1651, note 5.

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(Consulté le 19/04/2024)

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