Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-7, note 50.
Note [50]

« J’étais Pasquin, et me voici pierre ; peut-être suis-je une abeille, car je pique. Grands dieux ! si tu dédaignes le dard, j’ai pour toi un sac de cuir. J’enduis aussi de miel ; la vérité en procure les rayons ; et je purge la bile. Si tu es sage, entends ce que dit la pierre, elle est plus badine que jalouse. Jouis follement de mes plaisanteries afin d’être bien sage. Jadis j’ai préféré les souliers aux cailloux, maintenant j’oblige les pieds des autres à marcher droit. Ignore le graveur de pierre si tu méprises ce qu’il grave. »

Mon interprétation de cette épigramme sur Pasquin {a} et sur le savetier devenu graveur de pierre a préféré l’intelligibilité à la fidélité ; je ne l’ai pas vue traduite ailleurs car elle est peu commune. Pour son origine, le Moréri renvoie au recueil illustré intitulé :

Sculpturæ veteris Admiranda, sive delineatio vera perfectissimarum eminentissimarumque statuarum, una cum artis hujus nobilissimæ Theoria… a Joachimo de Sandrart, in Stockau.

[Les Merveilles de la sculpture antique, ou la représentation authentique des statues les plus parfaites et les plus remarquables, avec une Théorie sur cet art très noble… par Joachimus de Sandrart, {b} à Stockau]. {c}

Sur la gravure de Pasquinus qui précède le texte de la page 10, les vers cités sont écrits sur la pancarte tenue par le savetier, figurant à droite. Le torse de Pasquin repose sur un socle où est gravé cet autre poème :

Lapis loquitur forsan Lapides increpat
Romæ olim quot homines, tot Statuæ : hodie, tot lapides, quot homines.
Nisi tu faceres quæ loquor : mutus ego Lapis essem.
Lapis latrat : canis est : forsan fures videt.
Video te, et rideo : Odia non audio.
Forsan tu alapas Lapidi non læsurus læderis : impinges, non punges.
Ego neminem lædo, nisi malos accede si bonus es.
Audi me loquentem, et vitam corrige : ne vitia tua omnes loquantur.
Si me conteris : in plures Lapis lapides abibit :
Etiam Lapilli loquentur
.

[La pierre parle, peut-être réprimande-t-elle les pierres de Rome, où il y avait jadis autant d’hommes que de statues, mais aujourd’hui autant de pierres que d’hommes. {d} Si tu ne faisais pas, toi, ce que je raconte, je serais, moi, muette. La pierre aboie, c’est une chienne ; peut-être voit-elle les voleurs. Je te vois et je ris, je n’entends pas les haines. Peut-être gifleras-tu la pierre, mais tu ne la blesseras pas en l’offensant : tu la frapperas sans lui faire mal. Moi, je ne blesse personne, si tu es bon et ne viens pas à moi dans de mauvaises pensées. Écoute ce que je dis, et réforme ta vie, pour éviter que tous tes vices ne s’expriment. Si tu me brises, ma pierre éclatera en plusieurs petits morceaux, et les petites pierres parlent aussi]. {e}


  1. V. note [5], lettre 127.

  2. Le peintre et graveur Joachim von Sandrart (1606-1688) est tenu pour le premier historien allemand de l’art. Il avait hérité du château de Stockau, près d’Ingolstadt en Bavière.

  3. Nuremberg, Christianus Sigismundus Frobergius, 1680, in‑8o richement illustré de 74 pages.

  4. V. infra note [93].

  5. Sandrart dit dans son commentaire :

    Mirum sane est, neminem usque adhuc publici vexillum istud dedecoris deturbare ausum : quanquam (si fabula vera est) nonnemo e primoribus ludibrium hoc in Tiberim dejicere animo præsumserit. Sed familiaris quispiam a proposito eundem his verbis deterruit : Cave sis, inquam, ne Pasquinus plura deinceps sub aquis, quam in terris, de primoribus eloquatur ! Quo plus enim suber immergitur, eo magis ascendit et enatat.

    [Il est vraiment admirable qu’à ce jour nul n’ait osé renverser cette enseigne de l’infamie publique ; bien que (si la fable dit vraie) quelque très grand personnage {i} ait nourri le dessein de jeter cet objet de dérision dans le Tibre, mais l’un de ses courtisans l’en dissuada : Prends garde, te dis-je, qu’une fois sous les eaux, Pasquin ne médise plus encore des prélats que quand il était sur terre ! De fait , plus on enfonce un bouchon de liège dans l’eau, plus haut il rejaillit et surnage].

    1. Le Moréri désigne ici le pape Adrien vi (v. note [27] du Borboniana 7 manuscrit).

Tout ce piètre latin, tant en vers qu’en prose, me fait penser que Sandrart en est l’auteur, et qu’il a donc lui-même conçu les épigrammes dont il a orné sa gravure et que, mis à part le Moréri, fort peu d’autres ont reprises.

Eustache Le Noble (Troyes 1643-Paris 1711) est un satiriste, auteur de plusieurs pasquinades, dont Le Cibisme. Premier dialogue entre Pasquin et Marforio sur les affaires du temps (Rome, Francophile Alétophile, 1691, in‑12). C’est un de ses dialogues qui parurent ensuite mensuellement (1690‑1691) sous le titre (imité de Traiano Boccalini, v. note [55] du Naudæana 2) de La Pierre de touche politique. Moréri ne mentionne pas ce Pasquin français : il s’agit d’une cordiale référence des rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin à un de leurs confrères.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-7, note 50.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8220&cln=50

(Consulté le 29/03/2024)

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