Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 51.
Note [51]

Cet article du Patiniana est mal construit : sa fin, sans doute ajoutée par remords, comble deux lacunes du texte qui la précède.

  • V. supra note [49‑3] pour la traduction de la citation de George Buchanan.

  • Après avoir dit les ignorer (v. supra note [47]), la fin de l’article donne les circonstances de l’exécution d’Étienne Dolet, que le Patiniana a probablement puisées dans :

    L’Anti-Martyrologe, ou Vérité manifestée contre les histoires des supposés martyrs de la Religion prétendue réformée, imprimées à Genève onze fois. Divisé en douze livres, montrant la différence des vrais martyrs d’avec les faux, corporellement exécutés en divers lieux. Tous les articles controversés de notre foi y étant expliqués selon les autorités de l’Écriture Sainte et des anciens Pères. Ensemble, l’impie doctrine des hérétiques y < est > réfutée, pour la défense de l’Église Catholique, Apostolique et Romaine. Par M. Jacques Severt, {a} Docteur Théologien en la Faculté de Paris, Théologal en l’Église de Lyon. {b}

    La mort de Dolet est relatée dans le livre iii, chapitre iv, section i, pages 475‑476 :

    « Il catéchisait sur dogmes adultérins {c} et scandalisait. Dont par arrêt du Parlement il fut étranglé, puis brûlé à Paris en la place Maubert {d} le 3e d’août de l’an 1545 (autres 1544), {e} sous le bruit et la qualité d’homme luthérien. J’ai trois bons gages de mon allégué. L’un était mon père, lors présent à l’exécution et auditeur du jugement lu, qui jadis m’en a fait le récit, quand il m’envoya aux études à Paris. {f} L’autre témoin est noble Jean de Chandon, président en la Chambre des enquêtes au dit Parlement, aujourd’hui vivant, âgé de quatre-vingt-cinq ans. Le troisième est Hugues Thibault, juge au Beaujolais de même âge, aussi vivant, y présent avec le défunt père son condisciple lors. {g} Illec par avantage {h} nous trouverions bien autres sages vieillards pour cautions de ce, si maintenant y étions, et fût besoin. Mais suffit. Quand Dolet sermonnait près du brasier, il cuidait d’abondant prêchoter, et s’imaginait que la populace circonstante lamentait ou regrettait sa perte. {i} Dont pour toute prière, il songea et proféra ce vers latin :

    Non dolet ipse Dolet, sed pia turba dolet. {j}

    Sur quoi à l’instant du contraire lui fut sagement répondu et répliqué par le sieur lieutenant criminel sis à cheval : {k}

    Non pia turba dolet, sed dolet ipse Dolet. {l}

    Les genévistes {m} qui n’ont su ou pris garde à telle histoire ou narration poétique sont des Épiménides, berger de Crète dormant l’espace de septante-cinq ans continuels, qui, réveillé et sorti de son antre obscur, trouva chez soi du changement qu’il n’avait encore vu : {n} gens ruraux assoupis dans les cavernes de leurs propres ignorances autant de révolutions solaires qu’il y a depuis l’adjudication de Dolet jusques à l’année de cette publication opérante, en laquelle ils trouveront ici chose nouvelle que leur songearde {o} paresse n’aurait ouï par ci-devant. Or, pour tout cela, Dolet, mort luthérien, n’est martyr moins logeable au catalogue huguenotique, écrit de nul effet. »


    1. 1559-1628.

    2. Lyon, Simon Rigaud, 1622, in‑4o de 920 pages.

    3. Issus d’un adultère religieux, c’est-à-dire une perversité commise contre les dogmes de la foi romaine.

    4. V. note [8], lettre 133.

    5. Bayle (notule b) et tous les autres biographes modernes ont retenu la date du 3 août 1546.

    6. Dans une note marginale Jacques Severt précise être venu étudier à Paris en 1579, et que son père, prénommé Claude mourut en 1584, âgé de 55 ans, quand son fils en avait 25.

    7. Je n’ai pas plus précisément identifié ces deux magistrats. Une note de Jacques Severt précise que son père (âgé d’environ 17 ans au moment de l’exécution de Dolet) et Thibault étudiaient alors au Collège de Boncourt (v. note [24], lettre 106).

    8. Là-bas (à Paris), en outre.

    9. Modernisation plausible : « il pensait en outre prêcher quelque peu et s’imaginait que la populace présente déplorait et regrettait sa perte. »

    10. « Dolet, lui, ne souffre pas, c’est la foule des pieuses gens qui souffre. »

    11. Officier de justice transformé par le Patiniana en prêtre, ordinairement docteur en théologie de Sorbonne, présent pour assister les suppliciés.

    12. « La foule des pieuses gens ne souffre pas, mais Dolet, lui, souffre. »

    13. Nom méprisant attribué aux calvinistes de Genève, promoteurs des multiples éditions du « martyrologe protestant » (parues à partir de 1554), ou Histoire des martyrs persécutés et mis à mort pour la vérité de l’Évangile, depuis le temps des Apôtres jusques à présent… (Genève, Pierre Aubert, pour l’édition de 1619, in‑fo).

      Remarquant que le nom d’Étienne Dolet n’y a jamais figuré, Severt avait commencé son chapitre par cette diatribe :

      « Vraiment Genève s’est curieusement efforcée de fureter partout, afin de rapiécer plusieurs haillons et vieux drapeaux écorniflés, voire faits de maintes couleurs à dessein, pour recoudre et farcir les garnitures de sa robe paysanne et gueuse, qui porte sa laideur et diffamation tout à l’entour. C’est comme font par exprès les rustaudes bressanes en leurs vêtements, cuidant {i} embellir leur cotillon {ii} de la {iii} façon ; et au rebours, {iv} elles le maculent d’une mascarade très digne de risée. Ainsi les calvinistes garnissent leur pseudomartyrologe de telles balivernes très sordides et de faux aloi. Mais néanmoins, puisqu’ils veulent enfler un tel corps hétérogène de taches si sordides, encore n’ont-ils trouvé et ensaché toutes les ordures de la terre pour achever de honnir leur volume jà {v} tant sali et constupré {vi} des immondices et souillures de chacuns {vii} les hommes infidèles à Dieu, justement confinés au dernier supplice. Car certes parmi le rang du siècle auquel tombe ce chapitre vient devant nos yeux un têtu luthérien, homme de renom en sa secte, lequel par eux est lourdement outrepassé. » {viii}

      1. Pensant.

      2. Jupon.

      3. Cette.

      4. Au contraire.

      5. Déjà.

      6. Violé.

      7. Tous.

      8. Omis.
    14. Épiménide (Fr. Noël) :

      « grand prophète crétois, était contemporain de Solon. {i} Dans sa jeunesse, il s’égara et entra dans une caverne où il fut surpris d’un sommeil qui dura 57 ans. Réveillé par quelque bruit, il s’en retourne à son village. Tout y avait changé de face. Le bruit de ce prodige s’étant répandu dans la Grèce, Épiménide fut regardé depuis comme favorisé des dieux. On l’appelait le nouveau Curète {ii}, et on l’allait consulter comme un oracle. Enfin, il mourut âgé de 289 ans, selon la tradition des Crétois, qui lui firent, après sa mort, des sacrifices comme à un dieu. »

      1. Au vie s. av. J.‑C. : v. notule {a}, note [6], lettre 380, pour Solon.

      2. Prêtre de Cybèle, où était honorée Vesta (v. note [8], lettre latine 103).

    15. Rêveuse.

    La note F de Bayle sur Dolet cite une lettre publiée en 1694 par le médecin et historien hollandais Theodoor Jansson van Almeloveen (1657-1712) :

    « Elle fut écrite de Paris le 23 août 1546. Florent Junius, qui l’écrivit, {a} raconte que le 3e de ce mois, Étienne Dolet fut puni du dernier supplice, et que le bourreau, {b} ayant préparé toutes choses, l’avertit de penser à son salut, et de se recommander à Dieu et aux saints ; que Dolet ne se pressant point, et ne faisant que marmoter quelque chose, le bourreau lui déclara qu’il avait ordre de lui parler du salut devant tout le monde : “ Il faut donc, lui dit-il, que vous invoquiez la Sainte Vierge et saint Étienne, votre patron duquel on célèbre aujourd’hui la fête ; {c} et si vous ne le faites pas, je sais bien ce que j’ai à faire. ” Tout aussitôt, Dolet prononça une prière conforme au formulaire du bourreau, {d} et avertit les assistants de lire ses livres avec beaucoup de circonspection et protesta plus de trois fois qu’ils contenaient bien des choses qu’il n’avait jamais entendues ; et s’étant ensuite recommandé à Dieu, il fut étranglé puis réduit en cendres. Florent Junius dit qu’un homme qui assista à l’exécution lui raconta toutes ces choses. »


    1. Sortie d’on ne saurait dire où, la seconde lettre du dénommé Florentius Junius, adressée à son maître Hermannus Læthmatius, théologien (protestant) d’Utrecht, occupe les pages 78‑80 des :

      Th. J. ab Almeloveen Amœnitates Theologico-Philologicæ, in quibus varia S. Scripturæ loca ; ritus prisci, et inedita quædam Erasmi, Bocharti, Baudii, Scriverii, J. de Laet, etc. eruuntur. Subjiciuntur Epigrammtat et Poemata vetera, ut et Plagiarorum Syllabus, alteor tanto auctior.

      [Aménités théologico-philologiques de Th. J. van Ameloveen, où sont mis au jour divers passages de la ainte Écriture, les rites antiques et certains inédits d’Érasme, de Bochart, de Baudius, de Scriverius, de J. de Laet, etc. S’y ajoutent d’anciennes épigrammes et poésies, ainsi qu’un Lexique des plagiaires, beaucoup plus riche que le précédent]. {i}

      1. Amsterdam, Jan Jansson van Waesberge, 1694, in‑8o de 293 pages.

    2. Traduction fautive de lictor publicus qui convient plus au lieutenant criminel (v. supra notule {j}) qu’au bourreau. Quoi qu’il en soit, il n’est nulle part fait état d’un prêtre.

    3. Pour ajouter à la confusion sur la date de l’exécution, la Saint-Étienne est fêtée le 26 décembre.

    4. La lettre de Junius, reprise dans la notule 15 de Bayle, donne cette transcription de la prière de Dolet :

      Mi Deus quem toties offendi propitius esto, teque Virginem Matrem precor, Divumque Stephanum ut apud Dominum pro me peccatore intercedatis.

      [Mon Dieu que j’ai tant de fois offensé, sois bienveillant ; je prie pour que tu intercèdes, avec la Vierge Mère et saint Étienne, auprès du Seigneur, en faveur du pécheur que je suis].


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Patiniana I‑1 (1701), note 51.

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(Consulté le 26/04/2024)

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