Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 52.
Note [52]

« Voyez les Monita sacra de Mangotius, tome 3, pages 34‑36. »

Dans les Adriani Mangotii Goudani Soc. Iesu Monita sacra ex S. Scriptura et SS. Patribus potissimum collecta, variis in locis ad Clerum et populum dicta, omnibus utilissima. Pars tertia [Avis sacrés qu’Adrianus Mangotius (Adrien Mangot), prêtre de la Compagnie de Jésus, natif de Gouda (1554-Anvers 1629), a tirés de diverses sources, principalement de la Sainte Écriture et des saints Pères de l’Église ; destinés au clergé et aux laïques, et extrêmement utiles à tous. Troisième partie] (Anvers, Hieronymus Verdussen, 1615, in‑8o), ces trois pages (pages 34‑36) appartiennent au Monitum vi, qui porte sur cette parole du Christ (Jean 12:25), Qui odit animam suam in hoc mundo, in vitam æternam custodit eam [Qui hait sa vie en ce monde la conservera en la vie éternelle] :

Cleombrotus lecto Platonis libro, ubi disputat de immortalitate animæ, de muro se præcipitantem dedit. De quo extat epigramma Callimachi e Græco translatum.

Vita vale, muro præceps delapsus ab alto,
Dixisti moriens, Ambrociota puer :
Nullum in morte malum credens, sed scripta Platonis,
Non ita erant animo percipienda tuo.

Et Hegesias Philosophus tantum valuit eloquentia, ut mala vitæ huius repræsentando, eorum miseranda imagine, audiendum pectoribus inserta, multis voluntariæ mortis appetendæ, cupiditatem ingenerarit. Ideoque a Rege Ptolomæo ulterius hac de re disserere prohibitus est, ut testatur Valer. Max. Sic et Cato Uticentis, lecto paulo ante mortem Phædone Platonis, ne in manus hostis perveniret, sibi manus intulit ; de cuius morte quid potissimum dicam, ait August. nisi quod amici eius etiam docti quidam viri, qui hoc fieri prudentius dissuadebant, imbecillioris quam fortioris animi, facinus esse censuerunt ? quo demonstraretur non honestas turpia præcavens, sed infirmitas adversa non sustinens. Factum tamen Catonis laudat Seneca, et viri fortis esse seipsum occidere, docet in lib. de Providentia. Et alibi, Si, inquit, inutile ministeriis est corpus, quidni oporteat educere animam laborantem ? Prosiliam ex ædificio putrido, et ruenti. Male ais, ô Seneca, et multa bene dicta, uno polluis male dicto. Miror unde tam tristis sententia tanti viri pectus invaserit, inquit Petrarcha. Et Plinius iunior de Corellio, qui fame se enecavit, ut morbi cruciatus evaderet ; dicit, quod eum summa ratio, quæ sapientibus pro necessitate est, ad hoc consilium compulit. Impetu quodam ad mortem currere, inquit, commune cum multis ; deliberare vero et causas eius expendere, utque suaserit ratio, vitæ mortisque consilium suscipere, vel ponere, ingentis est animi. Idem eodem lib. de alio scribit, qui idem decreverat, si medici morbum iudicassent insuperabilem.

Adferebant Donatistæ ad authoritatem sceleris quo seipsos perdebant, exemplum Raziæ, ex lib. Machab. Ad quod D. August. Quamvis, inq., homo ipse fuerit laudatus, factum tamen eius narratum est, non laudatum : et iudicandum potius quam imitandum ante oculos constitutum. Non sane nostro iudicio, sed doctrinæ sacræ in Scripturis expressæ, a qua ille longe abfuit, quæ ita ait : Omne quod tibi applicitum fuerit, accipe ; et in dolore sustine, et in humilitate tua patientiam habe. Non fuit iste vir eligendæ mortis Sapiens, sed ferendæ humilitatis impatiens. Scriptum quidem est, quod voluerit nobiliter et viriliter mori, nunquid ideo sapienter ? Dicit Scriptura, Innocentem et iustum non occides : aut innocens et iustus fuit iste Razias, aut non : Si non fuit, cur proponitur imitandus ? si fuit ? quare interfector innocentis, et iusti, id est, ipsius Raziæ, insuper putatur esse laudandus ? Similiter loquitur de Lucretia Romana, quam Romani maxima prædicatione laudare solent : Quod seipsam, inquit, quoniam adulterium pertulit, etiam non adultera, occidit, non est pudicitiæ charitas, sed pudoris infirmitas. Puduit enim eam turpitudinis alienæ in se commissæ, etiamsi non secum : et Romana mulier laudis avida, nimium verita est, ne putaretur, quod violenter passa est, cum viveret, libenter passa, si viveret. Aut adultera fuit, aut pudica. Si adultera, cur laudata ? si pudica, cur occisa ? Nec ista est animi magnitudo < recte nominabitur, > ubi quisque non valendo tolerare vel quæque aspera, vel aliena peccata, ipse se interimit. Magis enim < mens > infirma depræhenditur, quæ ferre non potest vel duram <sui> corporis servitutem, vel stultam vulgi opinionem : maiorque animus merito dicendus est, qui vitam ærumnosam magis potest ferre, quam fugere ; et humanum iudicium, maxime vulgare, quod plerumque caligine erroris involvitur, præ conscientiæ luce ac puritate contemnere.

[Après avoir lu le livre où Platon débat sur l’immortalité de l’âme, Cléombrote s’est résolu à se précipiter du haut d’un rempart. Callimaque en a fait cette épigramme, traduite du grec :

Adieu la vie ! as-tu dit, enfant d’Ambracie quand tu t’es précipité de la haute muraille, croyant qu’il n’y a aucun mal en la mort ; mais ce qu’a écrit Platon ne devait pas s’emparer à ce point de ton esprit. {a}

Et le philosophe Hégésias brilla tant par son éloquence que, dépeignant les maux de cette vie, et en imprimant la déplorable image dans l’esprit de ses auditeurs, il a fait naître chez nombre d’entre eux le désir de se donner volontairement la mort. {b} C’est pourquoi le roi Ptolémée a plus tard interdit de débattre sur ce sujet, comme en atteste Valère Maxime. {c} Caton d’Utique connut un sort semblable : ayant lu le Phædon de Platon peu avant de mourir, il se tua de sa propre main pour ne pas tomber aux mains de ses ennemis. « Sur la mort de cet homme, qu’ajouterai-je d’essentiel », dit Augustin, « sinon que ses amis et même certains savants hommes le dissuadaient de commettre ce crime, jugeant qu’il témoignait de la faiblesse plutôt que de la force de l’esprit, car il ne révèle pas la noblesse d’une âme qui se protège du déshonneur, mais son incapacité à supporter l’adversité ? » {d} Sénèque loue cependant ce qu’a fait Caton, et il enseigne, dans son livre De la Providence que se donner soi-même la mort est une preuve de courage. {e} Ailleurs, il dit aussi : Si le corps est incapable de remplir ses fonctions, pourquoi ne pas délivrer une âme qui souffre ? Je bondirais hors d’un édifice délabré en train de crouler. {f} Tu parles mal, ô Sénèque ! et par ces seuls mots, tu souilles les nombreuses bonnes choses que tu as dites. Je m’étonne qu’une si lugubre sentence ait envahi le cœur d’un si grand homme, juge Pétrarque. {g} Pline le Jeune, quant à lui, dit de Corellius, qui s’est laissé mourir de faim pour se soustraire aux tortures de la maladie : C’est qu’il a été poussé à cette résolution par un motif suprême, qui, aux yeux des philosophes, tient lieu de nécessité {h} « Courir au-devant la mort en proie à quelque impulsion », ajoute-t-il, « est commun à bien des gens ; mais il appartient aux grands esprits de réfléchir mûrement aux motifs de cet élan et de les peser avec soin, et de n’obéir qu’à la raison pour prononcer ou écarter un arrêt de vie et de mort. » {i} Ailleurs, dans le même livre, il écrit d’un autre qui prit la même décision quand les médecins l’eurent jugé incurable. {j}

Pour légitimer le crime qui les menait à se perdre eux-mêmes, les donatistes s’en rapportaient à l’exemple de Razis, qui figure dans le livre des Maccabées. {k} Saint Augustin s’en est indigné : Bien que cet homme soit loué, son acte ne l’est pas ; il nous est raconté et mis sous les yeux pour être jugé plutôt qu’imité. Et ce, non seulement selon notre propre sentence, mais selon la sainte doctrine exposée dans les Écritures, laquelle énonce : « Accepte tout ce qui t’advient, endure les vicissitudes de ton humiliation et sois patient. ” Cet homme n’a pas fait preuve de sagesse en choisissant la mort : il n’a simplement pas supporté d’endurer l’humiliation. Il est certes écrit qu’il a voulu mourir noblement et courageusement, mais était-ce sagement ? L’Écriture dit “ Tu ne tueras pas l’innocent et le juste. » Ce Razis a-t-il ou non été innocent et juste ? S’il l’a été, alors pourquoi l’estimer louable quand il a été l’assassin de l’innocent et du juste qu’il était lui-même ? {l} Il parle pareillement de Lucrèce, cette Romaine que ses concitoyens ont coutume de porter aux nues, et il dit : Qu’elle se soit elle-même donné la mort pour avoir commis l’adultère, n’est pas dévotion à la chasteté, mais faiblesse face à la honte, car elle a eu honte du crime qu’un autre a commis contre elle, quoique sans son consentement. Elle a trop craint, la fière romaine, dans sa passion pour la gloire, de laisser croire que, si elle vivait encore, ce qu’elle a souffert violemment de son vivant ne l’ait été volontairement. Elle fut soit adultère soit chaste, mais pourquoi la louer si elle fut adultère, et pourquoi s’être tuée si elle fut chaste ? {m} « Et il est injuste d’appeler grandeur d’âme cette faiblesse qui rend impuissant à supporter son propre mal ou les fautes d’autrui. Rien ne marque mieux une âme faible que de ne pouvoir se résigner à l’asservissement du corps et à la folie de l’opinion. Il y a plus de force à endurer une vie misérable qu’à la fuir, et les lueurs douteuses de l’opinion, surtout celle du vulgaire, ne doivent pas prévaloir sur les pures clartés de la conscience »]. {n}


  1. Cléombrote (Cleombrotus) d’Ambracie (port d’Épire, sur la côte adriatique de la Grèce continentale) n’est connu que pour ce fait remarquable chanté par Callimaque (poète grec du iiie s. av. J.‑C.). Tout ce qu’on sait d’autre sur ses motifs est que Platon (Phædon, chapitre ii), l’avait mentionné comme absent lors de la mort de son maître Socrate.

    Parmi bien d’autres, Montaigne en a parlé (Essais, livre ii, chapitre iii) :

    « Cleombrotus Ambraciota ayant lu le Phædon de Platon, entra en si grand appétit de la vie à venir que, sans autre occasion, il s’alla précipiter en la mer. Par où il appert combien improprement nous appelons désespoir cette dissolution volontaire, à laquelle la chaleur de l’espoir nous porte souvent, et souvent une tranquille et rassise inclination de jugement. »

    On peut se demander si c’est la honte d’avoir failli à Socrate ou le désir de connaître les délices de l’au-delà qui poussa Cléombrote à se jeter dans le vide.

  2. Diogène Laërce (livre ii, 86) a rangé Hégésias de Cyrène, philosophe grec du iiie s. av. J.‑C., parmi les disciples d’Aristippe (v. note [57], lettre 211), en le surnommant Peisithanatos, « Celui qui conseille la mort », c’est-à-dire l’apologiste du suicide.

  3. Mangot a emprunté tout le début de ce paragraphe aux Faits et paroles mémorables (livre viii, chapitre 9) de Valère Maxime (v. note [7], lettre 411). V. note [37] du Grotiana 2 pour le pharaon Ptolémée ii Philadelphe.

  4. Saint Augustin, La Cité de Dieu (v. supra note [13], notule {b}), livre i, chapitre xxiii.

    V. supra note [51], sous-notule {ix}, pour Caton d’Utique, dit le Jeune.

  5. Sénèque le Jeune, De la Providence (chapitre 3, § 4) :

    Ignominiam indicat gladiator cum inferiore componi, et scit eum sine gloria vinci qui sine periculo vincitur. Idem facit fortuna : fortissimos sibi pares quærit, quosdam fastidio transit ; contumacissimum quemque et rectissimum aggreditur, adversus quem vim suam intendat : […] experitur […] venenum in Socrate, mortem in Catone. Magnum exemplum nisi mala fortuna non invenit.

    [Le gladiateur se déshonore d’avoir en face un trop faible adversaire : il sait que tel a vaincu sans péril triomphe sans gloire. {1} Ainsi fait la Fortune : elle cherche à rivaliser avec les plus braves, et laisse avec dégoût les autres sur le bord de son chemin ; elle s’attaque aux plus opiniâtres et aux plus vertueux, et déchaîne contre eux toute sa force. Elle tente (…) le poison chez Socrate, la mort chez Caton. Ce n’est pas la mauvaise fortune qui trouve de grands exemples].

    1. Il est arrivé à Pierre Corneille d’emprunter la matière de ses plus célèbres vers (Le Cid, ii, 2).
  6. Ce sont deux extraits de la lettre lviii à Lucilius.

  7. Commentaire de Pétrarque (v. note [17], lettre 93) sur la lettre de Sénèque : De Remediiis utriusque fortunæ [Les Remèdes aux deux fortunes], chapitre 118, De voluntaria in seipsum manuum iniectione [L’assaut volontaire de soi-même par sa propre main].

  8. Lettre entièrement transcrite et traduite dans la note [48] supra (4e citation).

  9. Emprunt légèrement retouché à l’épître xxii, livre i, de Pline le Jeune.

  10. « Clou » et mort de Silius Italicus : v. la citation 1 de la note [48] supra.

  11. V. la notule {d} de la note [51] supra pour ce passage de la Bible et son commentaire par Nicolaus Serarius.

    Principalement connus par ce que saint Augustin a écrit à leur sujet, les donatistes étaient les adhérents au schisme de Donat le Grand, évêque de Cases-Noires en Numidie (actuelle ville de Négrine en Algérie) au ive s., à la suite d’une contestation sur la nomination de l’évêque de Carthage. Sans entrer dans les détails de leur opposition aux rites et aux dogmes chrétiens, certains d’entre eux, dénommés les circoncellions ou scotopistes s’adonnaient frénétiquement au brigandage et au meurtre. L’Encyclopédie parle d’eux en termes effrayants :

    « Donat les appelait les chefs des saints, et exerçait par leur moyen d’horribles vengeances. Un faux zèle de martyre les porta à se donner la mort : les uns se précipitèrent du haut des rochers, ou se jetèrent dans le feu ; d’autres se coupèrent la gorge. Les évêques ne pouvant par eux-mêmes arrêter ces excès de fureur, furent contraints d’implorer l’autorité des magistrats. On envoya des soldats dans les lieux où ils avaient coutume de se répandre les jours de marchés publics : il y en eut plusieurs de tués, que les autres honorèrent comme de vrais martyrs. Les femmes perdant leur douceur naturelle, se mirent à imiter la barbarie des circoncellions, et l’on en vit qui, sans égard pour l’état de grossesse où elles se trouvaient, se jetèrent dans des précipices. »

  12. Lettre cciv d’Augustin (série iii), écrite à Dulcitius en 420, avec références à L’Ecclésiastique, 2:4, et à L’Exode, 23:7.

  13. Augustin (La Cité de Dieu, livre i, chapitre xix) sur le suicide de la malheureuse Lucrèce (v.  note [5] du Faux Patiniana II‑4) après son viol (relaté par Tite-Live, Histoire de Rome, livre i, chapitres lvii‑lx).

  14. Ibid, chapitre xxii (avec rétablissement de mots importants que Mangot a omis, insérés entre chevrons dans son texte latin).

Voilà donc ce que Nicolas Bourbon, au travers des nombreux auteurs qu’il citait, pensait du suicide. En 2020, pourtant, sa riche analyse étonne un médecin car il y considère principalement l’anorexie volontaire des incurables, avec une incompréhension gênée face aux maladies mentales mortelles qui ont aujourd’hui pris une place prépondérante dans ce vaste sujet, comme une, voire la préoccupation majeure de la psychiatrie : les « mélancoliques », c’est-à-dire les aliénés, ne valaient alors probablement pas la peine qu’on se préoccupât de leur sort autrement qu’en les blâmant comme coupables de crime scandaleux, haïssable et lourdement puni ; gare à qui manquait son coup ! Guy Patin en a parlé dans les mêmes termes dans quelques-unes de ses lettres et dans sa thèse de 1643 (v. supra note [51], seconde notule {b}).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 52.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8208&cln=52

(Consulté le 24/04/2024)

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