Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 56.
Note [56]

Moïse, premier prophète biblique (peut-être vers le xvie s. av. J.‑C.), auteur présumé de la Torah (cinq premiers livres de la Bible, Loi ou Pentateuque, rédigée vers le viiie s. av. J.‑C.), a fondé le judaïsme, d’où est né le christianisme, sur le Décalogue (Dix Commandements ou Loi Mosaïque), qu’il a reçu de Dieu en haut du mont Sinaï ; il est aussi reconnu par l’Islam (fondé au viie s. de notre ère) comme envoyé de Dieu. Le Borboniana s’interrogeait ici sur le rayonnement de sa religion (mosaïsme) au cours de l’Antiquité gréco-romaine : d’abord à peu près inexistant, car limité aux élus du petit peuple d’Israël, ses préceptes se sont répandus dans l’Empire romain sous la forme du christianisme, avec un zèle inépuisable à propager sa foi et ses rites.

  • Des juifs en son temps (ier s.), Juvénal a écrit (Satire xiv, vers 96‑104) :

    Quidam sortiti metuentem sabbata patrem
    nil præter nubes et cæli numen adorant,
    nec distare putant humana carne suillam,
    qua pater abstinuit, mox et præputia ponunt ;
    Romanas autem soliti contemnere leges
    Iudaicum ediscunt et servant ac metuunt ius,
    tradidit arcano quodcumque volumine Moyses,
    non monstrare vias eadem nisi sacra colenti,
    quæsitum ad fontem solos deducere verpos
    .

    [Quelques-uns, ayant reçu du sort un père qui observe le sabbat, n’adorent rien que les nuages et leur ciel ; {a} à l’instar de leur père, ils s’interdisent aussi fermement de manger la chair du porc que celle de l’homme ; et dès le jeune âge, on leur coupe le prépuce. Accoutumés à mépriser les lois de Rome, ils n’étudient, n’observent et ne craignent que le droit judaïque, que Moïse a transmis tout entier dans un livre mystérieux, {b} se gardant de montrer le chemin à ceux qui ont un autre culte, ne guidant que les seuls circoncis dans la recherche de leur source].


    1. « Voyant les juifs lever les yeux pour prier, dans un sanctuaire sans image et à ciel ouvert, les Romains s’imaginaient souvent qu’ils adoraient le ciel » (Note de Labriolle et Villeneuve).

    2. Vers cité par le Borboniana, qui y a remplacé quodcumque [quel qu’il soit, tout entier] (relatif neutre singulier) par quæcumque [toutes les choses qu’on voudra] (relatif neutre pluriel), mais à tort car ce pronom est en relation avec jus [le droit] (neutre singulier).

  • L’index du Galien gréco-latin de Kühn ne contient qu’une seule entrée sur Moses, qui renvoie à un passage du livre xi « sur l’Utilité des parties du corps humain ». S’interrogeant sur la raison pour laquelle, contrairement aux cheveux, les sourcils et les cils ne poussent pas, Galien s’en rapporte à la sagesse de la Nature (volume 3, pages 904‑906).

    Nicolas Bourbon devait lire directement le texte grec, mais pour respecter l’esprit du temps, j’ai recouru à De l’Usage des parties du corps humain, livres xvii. Écrits par Claude Galien et traduits fidèlement du grec en français {a}, lvre onzième, pages 687‑688 :

    « Or sus, {b} dirons-nous que notre Créateur a commandé à ces poils seulement d’entretenir leur longueur toujours pareille, et qu’eux, craignant < de > désobéir à celui qui leur a enjoint – ou portant honneur et révérence à celui qui leur a fait un tel commandement, ou étant persuadés qu’ainsi convient faire – observent cela, ainsi qu’il leur a été commandé ? Voilà comme Moïse {c} rend raison des choses naturelles, et son jugement. Toutefois, à mon opinion, < cela > est plus vraisemblable que < l’avis > d’Épicure. Toutefois, le meilleur est < de > ne suivre la raison ni de l’un ni de l’autre, ains {d} < de > garder en toutes choses qui ont été faites ce principe de leur génération, qui est l’auteur et créateur, comme fait Moïse, puis < d’>ajouter l’autre principe, qui consiste en la matière. Certes, notre Créateur leur a imposé cette loi nécessaire de garder toujours leur grandeur pareille pource qu’il était meilleur qu’ainsi fût ; et ayant délibéré de faire ces poils ainsi, il a planté et fiché les uns en une substance dure comme cartilage, et les autres en une peau dure, cohérente avec un cartilage le long des sourcils. {e} Ce n’est assez de dire que Dieu les a voulus être tels : car quand, en un instant, d’un caillou il voudrait créer un homme, cela ne lui serait possible ; et c’est ce en quoi notre raison, < et celle > de Platon aussi, et de tous les autres Grecs qui ont bien et pertinemment écrit de la nature et génération des choses, {f} est différente de celle de Moïse, car il se contente de dire qu’il a plu à Dieu < de > façonner et figurer ainsi la matière, et que soudain elle lui a obéi et a pris telle figure, et cuide {g} que, de toute manière, Dieu puisse faire toutes choses, encore que de la cendre il vousît {h} faire un bœuf ou un cheval. En cela, nous ne sommes < pas > de son opinion, et affermons aucunes choses ne pouvoir être faites {i} de nature ; et aussi que Dieu n’entreprend de les faire ; mais, des choses qui se peuvent faire, il préfère et choisit ce qui est le meilleur. Or, pource {j} qu’il était meilleur que les poils des sourcils et des paupières fussent toujours pareils en nombre et en grandeur, nous ne disons point que Dieu l’a ainsi voulu, et que tels, soudain, ils ont été faits. Car quand mille fois il < l’>eût ainsi voulu, ils ne se pouvaient faire tels s’il les eût fait naître d’une peau molle ; et entre autres choses, ils ne pourraient totalement demeurer droits et hérissés s’ils n’étaient fichés en une partie dure. Quant à nous, en la création des choses, nous disons Dieu être cause parce qu’il élit et préfère ce qui est meilleur en ce qu’il fait, et aussi, qu’il choisit et trie la matière de laquelle tout est fait. Il était besoin qu’aux paupières les poils se tiennent droits et demeurent toujours pareils en nombre et grandeur : pour cette raison, Dieu les a plantés en une substance cartilagineuse ; et s’il les eût plantés en une substance molle et charnue, il eût été plus mal avisé, non seulement que Moïse, mais qu’un capitaine peu savant et suffisant qui voudrait bâtir une muraille ou fortification de palis {k} en un marais. » {l}


    1. Traduction de Jacques Daléchamps (v. note [2], lettre 71) : Lyon, Guillaume Roville, 1566, in‑8o de 997 pages.

    2. Là-dessus.

    3. « Galien parle ici comme philosophe païen et < en > rien instruit en notre foi » (note de Daléchamps).

    4. Mais de.

    5. Contrairement aux cheveux plantés dans la peau épaisse (cuir) qui couvre les os du crâne, les sourcils le sont dans la peau plus fine du front, et les cils, dans celle de la paupière, dont l’armature est formée par le cartilage tarse.

      Galien n’envisage pas la croissance des sourcils (« en broussaille ») chez beaucoup d’hommes âgés.

    6. Galien ne se prononce pas clairement sur les échanges qui ont pu exister entre les penseurs hébreux et grecs de l’Antiquité. Géographiquement, ils me semblent hautement probables, mais je n’ai encore rien lu de très solide sur le sujet. V. note [6] du Borboniana 8 manuscrit (première citation de Bayle) pour Jean Daurat « qui s’amusait à chercher toute la Bible dans Homère ».

    7. Croit.

    8. Quand bien même de la cendre il voudrait.

    9. Affirmons que rien ne peut être fait.

    10. Parce.

    11. Poteaux.

    12. Tout cela paraît aujourd’hui plus curieux que convaincant, tant sur la pousse des cils et des sourcils, que sur les idées religieuses de Galien (ou de ceux qui ont écrit sous son nom).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 56.

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(Consulté le 29/03/2024)

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