Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-6, note 59.
Note [59]

Trois mots de cet article n’appartiennent pas au vocabulaire de Guy Patin, mais procurent de savantes informations sur les aspects techniques de la bibliomanie, ou bibliophilie, quand elle privilégie la forme sur le contenu des livres.

  • Bouquiner vient de bouquin : « un vieux bouc. {a} On appelle figurément un vieux bouquin, un homme puant et lascif qui a passé sa vie dans la débauche. On appelle aussi de vieux livres fripés et peu connus, de vieux bouquins. » Pour la suite de sa définition, Antoine Furetière a emprunté aux Origines de la langue française {b} de Gilles Ménage (réédition de Paris, 1750, page 225) :

    « Gabriel Naudé dans son Dialogue de Mascurat, page 171 : {c}

    “ J’ai autrefois observé, étant à Bâle, que les Allemands appellent un livre buc<h>, ou bouc, comme quelques-uns prononcent ; et d’autant que les plus anciens livres imprimés nous sont venus d’Allemagne, où l’impression fut trouvée il y a environ cent quatre-vingt-dix ans, puisque Jean Fust nous donna en 1459 le Durandus de Ritibus Ecclesiæ, et Pierre Schoeffer la Bible en 1462, qui sont les premiers livres imprimés que l’on ait jamais vus en l’Europe. {d} Cela a été cause que les Français voulant parler d’un vieux livre, ont dit que c’était un buc, ou bouquin, comme qui dirait un de ces vieux livres d’Allemagne qui ne sont plus bons qu’à faire des fusées, et à empêcher Ne toga cordylis, ne pænula desit olivis. {e} En un mot, les Français ont voulu emprunter cette parole des Allemands, comme ils ont fait celle de rosse, non pour signifier toute sorte de chevaux, comme elle fait en Allemagne, mais ceux particulièrement qui sont recrus et qui iam ilia ducunt, {f} en les appelant rosses, ou vieilles rosses ; comme ils disent aussi quelquefois vieux bouquin. ”

    Il est vrai que bouquin est un diminutif de l’allemand buch. Mais ce mot bouquin était en usage parmi nous avant l’invention de l’imprimerie : ce que j’avais remarqué dans la première édition de ces Origines, et ce qui a été remarqué depuis par le Père Labbe, dans la seconde partie de ses Étymologies françaises au mot bouquin. Le Père Labbe, au reste, y a fort bien repris Gabriel Naudé, pour avoir dit que le Durandus de Ritibus Ecclesiæ et la Bible avaient été les premiers livres qu’on eût vu imprimés dans l’Europe ; mais il s’est trompé, en disant que le mot allemand buch, dans la signification de “ livre ”, vient de buch, autre mot allemand qui signifie “ un bouc ”, et que de là on a appelé “ bouquins ” de vieux livres manuscrits couverts de peau de bouc, ou puants de vieillesse, et puants comme des boucs. {g} J’avais encore remarqué dans la première édition de ces Origines, que l’allemand buch, ou bok, si on en croyait Lipse dans la lettre 44 de la troisième centurie de ses lettres ad Belgas, venait du Latin buxus. Voici les termes de Lipse : “ Boeck etiam, unde Librum dicimus, nisi quia e ligno et fago, acere, buxo olim pugillares ? Prudentius : Buxa crepant cerata. ” {h} Cette étymologie de Lipse n’a pas plu au Père Labbe, mais comme elle n’est pas de moi, je n’ai point intérêt de la défendre. »


    1. V. note [48] du Traité de la Conservation de santé, chapitre ii.

    2. Première édition à Paris, 1650, v. note [a], lettre 1019.

    3. Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin…, 1650 (v. note [127], lettre 166), page 172.

    4. Johann Fust et Peter Schoeffer furent partenaires financiers et techniques de Johann Gutenberg dans l’invention de l’imprimerie à Mayence (v. note [13], lettre latine 7), mais ils finirent par lui en dérober la primauté.

      Le Durandus « sur les Rites de l’Église » est un titre modifié du Rationale divinorum officiorum [Rituel des offices divins] de Guillaume Durand, évêque de Mende mort en 1296.

    5. « Afin que les jeunes thons ne manquent de toge, ni les olives, de pochon » (Martial, v. note [8], lettre 86). Le papier de rebut pouvait aussi servir à envelopper les fusées de feux d’artifice.

    6. « et qui déjà se vident de leurs entrailles ».

    7. Les Étymologies de plusieurs mots français, contre les abus de la secte des hellénistes du Port-Royal. Sixième partie des Racines le la langue grecque du R.P. Philippe Labbe, {i}, de la Compagnie de Jésus {ii} (seconde partie, pages 16‑19) :

      « Buch en allemand signifie “ un bouc ”, caper […] : et de là, “ bouquin ”, sentir le bouquin,  “ bouquiner ” < pour > lire de vieux livres manuscrits couverts de peau de bouc, {iii} ou puants de vieillesse comme ces animaux. […] Ceux-là se trompent, qui avance<nt> que les premiers livres imprimés que l’on ait jamais vus en Europe ont été les Durandus de Ritibus Ecclesiæ, que Jean Fust donna l’an 1461, et la Bible de Pierre Schoeffer en 1462 : s’ils avaient dit que ce sont les premiers livres marqués de l’année de leur impression, avec le Catholicon Ianuensis, {iv} qui est aux Pères feuillants de cette ville, imprimé l’an 1460, ils auraient eu raison ; mais depuis l’an 1440 jusques en 1460, plusieurs furent imprimés, quoique sans expression d’année. »

      1. V. note [11], lettre 133.

      2. Paris, Guillaume et Simon Benard, 1661, in‑12 en deux parties de 535 et 192 pages, incluant un bref Catalogue curieux de quelques expressions des sons et des voix, consacré aux mots fondés sur des onomatopées.

      3. L’Esprit de Guy Patin étendait le sens de bouquiner à celui de « chercher de vieux livres » avec assiduité.

      4. Dans son Mascurat (v. supra notule {c}), Naudé a compté (même page 172) ce « Catholicon de Gênes » du franciscain Jean de Gênes (Giovanni Balbi, mort en 1298), « qui était le Calepin [v. note [17], lettre 193] de ce temps-là » parmi les tout premiers livres imprimés (en 1460).
    8. Iusti Lipsii Epistolarum selectarum Chilias, {i} Centuria tertia ad Belgas [Troisième centurie, à des Flamands], longue lettre xliv (page 792) sur l’étymologie, écrite à Henricus Schottius, syndic de la ville d’Anvers, datée d’Anvers le 17 décembre 1599 :

      « Si nous disons aussi Boeck pour “ livre ”, n’est-ce pas parce que les tablettes étaient jadis faites de bois, de hêtre, d’érable ou de buis ? Prudence : Buxa crepant cerata. » {ii}

      1. Avignon, 1609, v. note [12], lettre 271.

      2. « Les tablettes de buis ciré craquent » : Prudence, hymne ix des Περιστεφανων [Couronnés], vers 49, parlant des écrits qu’on détruit.

        Les bois cités par Lipse servaient à fabriquer de fines planchettes qu’on couvrait de cire, pour y écrire à l’aide d’un stylet.


  • V. note [66] de La maison de Guy Patin pour le cuir de maroquin. En imprimerie, la réglure est l’art de disposer le texte (centrage, justification, interligne) sur la page ; une page était dite réglée quand son texte était encadré par un filet.

    Le tranchefil, ou tranchefile est un « petit morceau de papier ou de parchemin, entouré de soie ou de fil, et qui se met au haut et au bas du dos d’un livre qu’on relie, afin de tenir les cahiers assemblés et de résister à l’effort de la main qui tire un livre d’entre d’autres livres rangés sur un rayon de bibliothèque » (Littré DLF).

  • La première définition du mot brocanteurs a paru dans la « nouvelle édition revue et augmentée par l’auteur » du Dictionnaire étymologique de Gilles Ménage (mort en 1692), Paris, Jean Anisson, 1694, in‑fo (page 134) :

    « On appelle ainsi à Paris ceux qui font métier d’acheter pour revendre. Quand ils achètent une pièce de tapisserie, ou autre chose, ils la prennent à condition que si dans 24 heures elle ne leur agrée, ils la rendront à celui duquel ils la prennent. »

    Les mots nouveaux peuvent certes circuler un certain temps avant de faire leur entrée dans les dictionnaires, mais Patin était mort depuis plus de vingt ans quand « brocanteur » a reçu cette onction imprimée.

  • V. note [6], lettre 197, pour le mot défroque, que Patin a employé une seule fois dans toute sa correspondance.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-6, note 59.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8219&cln=59

(Consulté le 29/03/2024)

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