À Charles Spon, le 12 décembre 1642, note 6.
Note [6]

La première de ces relations est anonyme (sans lieu, ni nom, ni date) : Particularité de tout ce qui s’est passé en la mort de Messieurs Henri Coiffier, marquis de Cinq-Mars, et de Thou, décapités le 12 septembre 1642.

La seconde est de François de Barancy (v. note [3], lettre 211) : Histoire véritable de tout ce qui s’est fait et passé dans la ville de Lyon en la mort de Messieurs de Cinq-Mars et de Thou, ensemble les interrogations qui leur ont été faites, et réponses à icelles (sans lieu ni nom, 1643, petit in‑fo de 28 pages). La narration quasi photographique des derniers instants des deux condamnés y fige encore le sang du lecteur (pages 22‑28) :

« L’exécuteur tira de son sac son couperet (qui était fait comme celui des bouchers, mais plus gros et carré). Enfin, ayant levé d’une grande résolution les yeux au ciel, il {a} dit : “ Allons, il faut mourir. Mon Dieu, ayez pitié de moi. ” Puis, d’une constance incroyable, sans être bandé, posa proprement son cou sur le poteau, tenant le visage droit tourné vers le devant de l’échafaud, et embrassa fortement de ses deux bras le poteau ; il ferma les yeux et la bouche, et attendit le coup que l’exécuteur lui vint donner assez lentement et pesamment, s’étant mis à sa gauche et tenant son couperet des deux mains ; en recevant le coup il poussa une voix forte comme Ah, qui fut étouffée dans son sang ; il leva les genoux de dessus le bloc comme pour se lever et retomba en la même assiette qu’il était. La tête n’étant pas entièrement séparée du corps par ce coup, l’exécuteur passa à la droite par derrière et prenant la tête par les cheveux de la main droite, de la gauche il scia avec son couperet une partie de la trachée-artère et la peau du cou qui n’était pas coupée ; après quoi il jeta la tête sur l’échafaud, qui de là bondit à terre, où l’on remarqua soigneusement qu’elle fit encore un demi-tour et palpita assez longtemps. Elle avait le visage tourné vers les religieuses de Saint-Pierre, {b} et le dessus de la tête vers l’échafaud, les yeux ouverts. Son corps demeura droit contre le poteau qu’il tenait toujours embrassé, tant que l’exécuteur le tira de là pour le dépouiller ; ce qu’il fit, et puis il le couvrit d’un drap et mit son manteau par-dessus. La tête ayant été rendue sur l’échafaud, elle fut mise auprès du corps sous le même drap. C’est une merveille incroyable qu’il ne témoigna jamais aucune peur ni trouble, ni aucune émotion, mais parut toujours gai, assuré, inébranlable et témoigna une si grande fermeté d’esprit que tous ceux qui le virent en sont encore dans l’étonnement. M. de Cinq-Mars étant mort, on leva la portière du carrosse, d’où M. de Thou sortit d’un visage riant, lequel ayant salué fort civilement ceux qui étaient là auprès, monta assez vite et généreusement {c} sur l’échafaud, tenant son manteau plié sur le bras droit […]. Après, il mit son cou sur le poteau (qu’un frère jésuite avait torché de son mouchoir parce qu’il était tout mouillé de sang) et demanda à ce frère s’il était bien, qui lui dit qu’il fallait qu’il avançât un peu davantage la tête sur le devant, ce qu’il fit. […] Et lors ses bras commencèrent à trembloter en attendant le coup, qui lui fut donné tout au haut du cou, trop près de la tête, duquel coup son cou n’étant coupé qu’à demi, le corps tomba au côté gauche du poteau, à la renverse, {d} le visage contre le ciel, remuant les jambes et les pieds et haussant faiblement les mains. Le bourreau le voulut renverser pour achever par où il avait commencé, mais effrayé des cris que l’on faisait contre lui, il lui donna trois ou quatre coups sur la gorge, et ainsi lui coupa la tête qui demeura sur l’échafaud. L’exécuteur l’ayant dépouillé porta son corps couvert d’un drap dans le carrosse qui les avait amenés, puis il y mit aussi celui de M. de Cinq-Mars, < avec > leurs têtes qui avaient encore toutes deux les yeux ouverts, particulièrement celle de M. de Thou, qui semblait être vivante. »


  1. Cinq-Mars.

  2. Actuel musée des beaux-Arts de Lyon (palais Saint-Pierre), sur le côté sud de la place des Terreaux.

  3. Bravement.

  4. Sur le dos.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 12 décembre 1642, note 6.

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(Consulté le 28/03/2024)

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