À Charles Spon, le 7 mars 1651, note 6.
Note [6]

Journal de la Fronde (volume i, fo 376 ro et vo) :

« Le même jour, Messieurs les princes vinrent coucher à Magny {a} où quantité de personnes leur allèrent au-devant. Son Altesse Royale {b} ayant su qu’ils devaient venir descendre chez elle pour la prier de les aller présenter à la reine, résolut aussi de leur aller au-devant pour les mener droit au Palais-Royal. Pour cet effet, elle fut les recevoir à deux portées de mousquet de Saint-Denis {c} accompagnée de 2 000 chevaux et de plus de cent carrosses, et d’une foule de peuple. Messieurs les princes ayant aperçu le carrosse de Son Altesse Royale, mirent pied à terre, et elle aussi dès qu’on l’en eut avertie. Ils la saluèrent fort profondément, elle les embrassa tous ; et leur ayant d’abord témoigné la joie qu’elle avait de leur liberté, ils lui répondirent qu’ils ne la tenaient que d’elle, qui leur ajouta ces mots : “ Messieurs, jusqu’ici l’on nous a fourbés tous, {d} mais à l’avenir il faudra prendre garde à qui nous nous fierons. ” Ils se mirent dans son carrosse et entrant par la porte Saint-Denis, le peuple les accompagna de “ Vive le roi, et point de Mazarin ! ” jusqu’au Palais-Royal où ils furent remercier Leurs Majestés de leur liberté. La réception que la reine leur fit fut médiocre, mais le roi les embrassa et caressa fort. Ils n’y furent pas demi quart-d’heure. »

Le soir il y eut un grand banquet au palais d’Orléans :

« et parce que M. le Prince fut assez sérieux pendant tout le souper, la compagnie demeura aussi dans la retenue, jusqu’à ce qu’après avoir célébré plusieurs santés, M. de Beaufort commença à boire “ À la santé du roi, foutre de Mazarin ! ” Plusieurs le suivirent des mêmes et d’autres se contentèrent de dire “ À la santé du roi, et point de Mazarin ! ” Après souper, Son Altesse Royale convia M. le Prince de prendre le divertissement du bal, dont il s’excusa à cause du deuil qu’il porte de feu Mme la Princesse sa mère, et ayant mieux aimé se divertir au jeu une heure, après laquelle il se retira. […]

Ce matin, {e} Messieurs les princes sont allés joindre M. le duc d’Orléans et sont allés ensemble au Parlement, où Son Altesse Royale a dit que Messieurs ses cousins étaient venus pour remercier la Compagnie des soins qu’elle avait pris pour procurer leur liberté ; sur quoi M. le Prince ayant pris la parole, a dit qu’ils avaient obligation à Son Altesse Royale et à la Compagnie des empressements qu’elles avaient faits pour l’obtenir de la reine, et qu’il leur en témoignerait toujours sa gratitude. M. le prince de Conti a dit à peu près la même chose après que M. le Prince a dit que M. de Longueville l’avait chargé de faire le même compliment pour lui, n’ayant pu s’y trouver à cause qu’il était indisposé ; mais le premier président a dit que ce que la Compagnie avait fait en cette affaire n’était qu’un devoir envers les princes du sang royal dont les grands services rendus à l’État méritaient bien qu’on y travaillât avec affection, mais qu’ils en avaient toute l’obligation à la bonté de la reine et aux soins de Son Altesse Royale ; après quoi M. Le Boults {f} a dit qu’il était à propos de faire sortir hors du royaume le cardinal Mazarin puisqu’il se cantonnait au Havre. Le premier président a dit qu’il fallait laisser couler le temps qu’on lui avait donné pour sortir, et l’on s’est levé là-dessus. »


  1. Une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Chartres ; le 15 février 1651.

  2. Gaston d’Orléans.

  3. V. note [27], lettre 166.

  4. Trompés tous.

  5. 16 février.

  6. V. note [3], lettre 310.

La Rochefoucauld (Mémoires, pages 187‑189) a donné une interprétation politique de ces bouleversements :

« La prison de M. le Prince avait ajouté un nouveau lustre à sa gloire et il arrivait à Paris avec tout l’éclat qu’une liberté si avantageusement obtenue lui pouvait donner. M. le duc d’Orléans et le Parlement l’avaient arraché des mains de la reine ; le cardinal était à peine échappé de celles du peuple, et sortait du royaume chargé de mépris et de haine ; enfin, ce même peuple qui un an auparavant, avait fait des feux de joie de la prison de M. le Prince, venait de tenir la cour assiégée dans le Palais-Royal pour procurer sa liberté. Sa disgrâce semblait avoir changé en compassion la haine qu’on avait eue pour son humeur et pour sa conduite, et tous espéraient également que son retour rétablirait l’ordre et la tranquillité publique. Tel était l’état des choses lorsque M. le Prince arriva à Paris avec M. le prince de Conti et le duc de Longueville.

[…] Le roi, la reine et M. le duc d’Anjou étaient demeurés au Palais-Royal avec les seuls officiers de cette Maison, et M. le Prince y fut reçu comme un homme qui était plus en état de faire grâce que de la demander. Plusieurs ont cru que M. le duc d’Orléans et lui firent une faute très considérable de laisser jouir la reine plus longtemps de son autorité. Il était facile de la lui ôter, on pouvait faire passer la régence à M. le duc d’Orléans par un arrêt du Parlement et remettre non seulement entre ses mains la conduite de l’État, mais aussi la personne du roi, qui manquait seule pour rendre le parti des princes aussi légitime en apparence qu’il était puissant en effet. Tous les partis y eussent consenti, personne ne se trouvant en état ni même en volonté de s’y opposer tant l’abattement et la fuite du cardinal avaient laissé de consternation à ses amis. Ce chemin si court et si aisé aurait sans doute empêché pour toujours le retour de ce ministre et ôté à la reine l’espérance de le rétablir ; mais M. le Prince, qui revenait comme en triomphe, était encore trop ébloui de l’éclat de sa liberté pour voir distinctement tout ce qu’il pouvait entreprendre. Peut-être aussi que la grandeur de l’entreprise l’empêcha d’en connaître la facilité. On peut croire même que, la connaissant, il ne put se résoudre de laisser passer toute la puissance à M. le duc d’Orléans qui était entre les mains des frondeurs, dont M. le Prince ne voulait pas dépendre. D’autres ont cru plus vraisemblablement qu’ils espéraient, l’un et l’autre, que quelques négociations commencées et la faiblesse du gouvernement établiraient leur autorité par des voies plus douces et plus légitimes. Enfin, ils laissèrent à la reine son titre et son pouvoir sans rien faire de solide pour leurs avantages. Ceux qui considéraient leur conduite et en jugeaient alors selon les vues ordinaires remarquaient qu’il leur était arrivé ce qui arrive souvent en de semblables rencontres, même aux plus grands hommes qui ont fait la guerre à leur souverain, qui est de n’avoir pas su se prévaloir de certains moments favorables et décisifs. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 7 mars 1651, note 6.

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(Consulté le 25/04/2024)

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