À Charles Spon, le 8 mai 1657, note 6.
Note [6]

« ou bien quelque tubercule cru dans le poumon, [v. note [10], lettre 725] c’est-à-dire dans les artères lisses du poumon [v. note [15], lettre 433]. »

Hormis cette supposition diagnostique (pouvant faire évoquer une embolie pulmonaire), Guy Patin ne disait rien de bien extraordinaire sur la mort de la duchesse de Montbazon (v. note [4], lettre 252). Elle a pourtant fait couler des flots d’encre car elle coïncida avec la retraite à la Trappe (à Soligny, dans le Perche) d’Armand-Jean Le Bouthillier, abbé de Rancé. D’abord il y eut un ouvrage de Daniel de La Roque, Les véritables Motifs de la conversion de l’abbé de la Trappe, avec quelques réflexions sur sa vie et sur ses écrits, ou les Entretiens de Timocrate et de Philandre sur un livre qui a pour titre : Les saints Devoirs de la Vie monastique (Cologne, Pierre Marteau, 1685, in‑12), où se lisent (pages 25‑28) ces macabres détails :

« Philandre. […] Je vous ai déjà dit que l’abbé de la Trappe était un homme galant et qui avait eu plusieurs commerces tendres. Le dernier qui ait éclaté fut avec une duchesse fameuse par sa beauté et qui, après avoir heureusement évité la mort au passage d’une rivière, la rencontra peu de mois après dans la petite vérole, dont elle fut attaquée l’an 1657. […]

L’abbé, qui allait de temps en temps à la campagne, y était lorsque cette mort imprévue arriva. Ses domestiques, qui n’ignoraient pas sa passion, prirent soin de lui cacher ce triste événement qu’il apprit à son retour d’une manière fort cruelle. Car montant tout droit à l’appartement de la duchesse, où il lui était permis d’entrer à toute heure, au lieu des douceurs dont il croyait aller jouir, il y vit pour premier objet un cercueil qu’il jugea être celui de sa maîtresse en remarquant sa tête toute sanglante qui était par hasard tombée de dessous le drap dont on l’avait couverte avec beaucoup de négligence, et qu’on avait détachée du reste du corps afin de gagner la longueur du col et éviter ainsi de faire un nouveau cercueil qui fût plus long que celui dont on se servait, et dont on avait si mal pris la mesure qu’il se trouvait trop court d’un demi-pied. »

Saint-Simon a refusé de croire une telle horreur (Mémoires, tome i, pages 521‑522) :

« La princesse de Guéméné morte duchesse de Montbazon en 1657, mère de M. de Soubise, était cette belle Mme de Montbazon dont on a fait ce conte, qui a trouvé croyance, que l’abbé de Rancé, depuis ce célèbre abbé de la Trappe, en était fort amoureux et bien traité ; qu’il la quitta à Paris se portant fort bien, pour aller faire un tour à la campagne ; que bientôt après, y ayant appris qu’elle était tombée malade, il était accouru et qu’étant arrivé brusquement dans son appartement, le premier objet qui y était tombé sous ses yeux avait été sa tête, que les chirurgiens, en l’ouvrant, avaient séparée ; qu’il n’avait appris sa mort que par là, et que la surprise et l’horreur de ce spectacle, joint à la douleur d’un homme passionné et heureux, l’avaient converti, jeté dans sa réforme. Il n’y a rien de vrai en cela, mais seulement des choses qui ont donné cours à cette fiction. […] Mme de Montbazon mourut de la rougeole en fort peu de jours. M. de Rancé était auprès d’elle, ne la quitta point, lui vit recevoir les sacrements et fut présent à sa mort. La vérité est que, déjà touché et tiraillé entre Dieu et le monde, méditant déjà depuis quelque temps une retraite, les réflexions que cette mort si prompte fit faire à son cœur et à son esprit achevèrent de le déterminer ; et peu après, il s’en alla en sa maison de Véretz, en Touraine, qui fut le commencement de sa séparation du monde ».

Romantique jusqu’à la moelle, François-René de Chateaubriand (Vie de Rancé, Paris, Garnier Frères, 1844, livre ii, pages 63-67) n’a pas suivi Saint-Simon :

« Tous les poètes ont adopté la version de La Roque, tous les religieux l’ont repoussée ; ils ont eu raison, puisqu’elle blessait la susceptibilité de leurs vertus, puisqu’ils ne pouvaient pas détruire le récit de La Roque par un démenti appuyé d’un document irrécusable. […]

On prétend qu’on montrait à la Trappe la tête de Mme de Montbazon dans la chambre des successeurs de Rancé, ce que les solitaires de la Trappe ressuscitée rejettent. […]

Dès le jour de la mort de Mme de Montbazon, Rancé prit la poste et se retira à Véretz : il croyait trouver dans la solitude des consolations qu’il ne trouvait dans aucune créature. La retraite ne fit qu’augmenter sa douleur ; une noire mélancolie prit la place de sa gaieté, les nuits lui étaient insupportables ; il passait les jours à courir dans les bois, le long des rivières, sur les bords des étangs, appelant par son nom celle qui ne lui pouvait répondre. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 mai 1657, note 6.

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(Consulté le 23/04/2024)

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