À André Falconet, le 18 mars 1661, note 6.
Note [6]

Loret s’en est obséquieusement réjoui (Muse historique, livre xii, lettre xi, du samedi 20 mars 1661, page 334, vers 157‑168) :

« Jeudi, cet homme si capable,
Cet esprit si considérable,
Prudent, laborieux, expert,
C’est-à-dire Monsieur Colbert,
Digne des plus belles séances,
Ainsi qu’intendant des finances,
Entra pour la première fois
Au Conseil du meilleur des rois,
Où on l’a jugé nécessaire,
D’autant qu’en toute grande affaire
Il agit, ordinairement,
Avec très-bien du jugement. »

Jusque-là tout dévoué à Mazarin, Jean-Baptiste Colbert prenait séance au Conseil le 18 mars en qualité d’intendant des finances. Le roi nommait trois ministres pour son Conseil étroit : Michel Le Tellier, à la guerre, avec en sus la marine du Levant ; Hugues de Lionne aux affaires étrangères ; le surintendant Nicolas Fouquet aux finances. Il leur adjoignait pour son Conseil d’en haut trois secrétaires d’État : Henri-Auguste de Loménie de Brienne, aux affaires étrangères, avec la marine du Ponant ; Louis Phélypeaux de La Vrillière, aux affaires de la Religion prétendue réformée ; Henri de Guénégaud à la Maison du roi. Le duc Nicolas de Villeroy, ancien gouverneur du roi, était chef du Conseil royal des finances et Séguier, chancelier, gardait les sceaux. Tout le monde restait donc en fonction, à l’exception de Colbert qui bénéficiait d’une promotion : le roi l’introduisait dans le gouvernement, alors que l’étoile de Fouquet commençait à pâlir. Louis xiv a, plus tard (Mémoires, pages 46‑49), lui-même commenté la composition de son Conseil :

« Mais dans les intérêts les plus importants de l’État et les affaires secrètes, où le petit nombre de têtes est à désirer autant qu’autre chose et qui seules demandaient plus de temps et plus d’application que toutes les autres ensemble, ne voulant pas les confier à un seul ministre, les trois que je crus y pouvoir servir furent Le Tellier, Fouquet, et Lionne […].

Pour Fouquet, on pourra trouver étrange que j’aie voulu me servir de lui quand on saura que, dès ce temps-là, ses voleries m’étaient connues ; mais je savais qu’il avait de l’esprit et une grande connaissance du dedans de l’État, ce qui me faisait imaginer que, pourvu qu’il avouât ses fautes passées et qu’il promît de se corriger, il pourrait me rendre de bons services. Cependant, pour prendre avec lui mes sûretés, je lui donnai dans les finances Colbert pour contrôleur, sous le titre d’intendant, homme en qui je prenais toute la confiance possible parce que je savais qu’il avait beaucoup d’application, d’intelligence et de probité, et je le commis dès lors à tenir ce registre des fonds dont je vous ai parlé. […]

J’ai su depuis que le choix de ces trois ministres avait été considéré diversement dans le monde, suivant les divers intérêts dont le monde est partagé. Mais pour connaître si je pouvais faire mieux, il n’y a qu’à considérer les autres sujets à qui j’aurais pu donner la même place. […]

J’aurais pu sans doute jeter les yeux sur des gens de plus haute considération, mais non pas qui eussent eu plus de capacité que ces trois ; et ce petit nombre, comme je vous l’ai déjà dit, me paraissait meilleur qu’un plus grand. Pour vous découvrir même toute ma pensée, il n’était pas de mon intérêt de prendre des sujets d’une qualité plus éminente. Il fallait, avant toutes choses, établir ma propre réputation et faire connaître au public, par le rang même d’où je les prenais, que mon intention n’était pas de partager mon autorité avec eux. Il m’importait qu’ils ne conçussent pas eux-mêmes de plus hautes espérances que celles qu’il me plairait de leur donner, ce qui est difficile aux gens d’une grande naissance ; et ces précautions m’étaient tellement nécessaires qu’avec cela même le monde fut assez longtemps à me bien connaître. Plusieurs se persuadaient que dans peu quelqu’un de ceux qui m’approchaient s’emparerait de mon esprit et de mes affaires. La plupart regardaient l’assiduité de mon travail comme une chaleur qui devait bientôt se ralentir ; et ceux qui voulaient en juger plus favorablement attendaient à se déterminer par les suites. Le temps a fait voir ce qu’il en fallait croire. »

Dans tout cela, le fait essentiel était que l’entourage immédiat du roi ne comptait plus ni grand noble de sang royal (tels qu’eussent été Anne d’Autriche, Monsieur ou le prince de Condé) ni premier et principal ministre. Comme l’écrivait plus loin Guy Patin, avec insistance et jubilation, le roi voulait désormais gouverner lui-même.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 18 mars 1661, note 6.

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(Consulté le 28/03/2024)

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