Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1, note 67.
Note [67]

« il était natif de Mantoue […] que les âmes disparaissent après la mort du corps, au jugement d’Aristote. Voyez Jove en ses éloges »

V. notes :

  • [10], lettre 20 pour Pomponace (1462-1525) et son livre sur l’immortalité de l’âme (1516), qui fut lourdement condamné par l’Église ;

  • [7], lettre 205 pour l’avis du R.P. Théophile Raynaud sur Pomponace et l’immortalité de l’âme ;

  • [7], lettre 205, pour Léon x (Jean de Médicis), pape de 1513 à 1521.

Gabriel Naudé abrégeait ici une affaire qui a été abondamment commentée. {a} pour son rôle dans la naissance du libertinage érudit. Naudé citait fidèlement les Elogia [Éloges] de Paul Jove, {b} pages 134‑135 :

Petrus Pomponatius Mantuanus, in philosophia præceptor meus, inter Peripateticos illustres primum suggestus locum et obtinuit. […] Exorto bello Veneto, post Achillini mortem, Bononiæ professus est ; ubi cucullatos sacerdotes contra se in caput, et nominis famam vehementissime concitavit ; edito scilicet volumine, quo animas post corporis mortem interituras ex sententia Aristotelis probare nitebatur ; secutus Aphrodisæi placita : cuius dogmate ad corrumpendam iuventutem, dissolvendamque Christianæ vitæ disciplinam, nihil pestilentius induci potuit. Scripsit etiam de Fato, et de incantationum occulta potestate. Sexagesimo autem tertio ætatis anno, stranguria oborta Bononiæ fato functus est : relatusque inde Mantuam, nobile sepulchrum Herculis Gonzagæ cardinalis, erga civem et magistrum liberali pietate promeruit.

[Pietro Pomponazzo, natif de Mantoue, qui fut mon maître en philosophie, a occupé le premier rang parmi les péripatéticiens illustres, et l’a conservé. (…) Il a professé à Bologne, après la mort d’Achillini, quand la guerre de Venise a éclaté. {c} Il y a très vivement excité les prêtres encapuchonnés {d} contre sa propre personne et la bonne renommée de son nom, en publiant un volume où il s’efforçait de montrer que les âmes disparaissent après la mort du corps, au jugement d’Aristote et en suivant les préceptes d’Aphrodisias : {e} nul dogme ne pouvait être plus pestilentiel que celui-là pour corrompre la jeunesse et désagréger la discipline de la vie chrétienne. Il a aussi écrit sur le destin et sur le pouvoir occulte des incantations. {f} Il est mort d’une rétention d’urine survenue à Bologne, en sa soixante-troisème année d’âge ; on a ramené sa dépouille à Mantoue où, par piété libérale {g} envers ce concitoyen et ce maître, il a mérité d’être inhumé dans le tombeau du cardinal Hercule de Gonzague]. {h}


  1. V. par exemple, ce qu’en a dit Bayle dans la note B de son article sur Pomponace.

  2. Paolo Giovio, édition illustrée de Bâle, 1577, v. note [27], lettre 925.

  3. Alessandro Achillini (1463-1512), médecin et philosophe, surnommé le second Aristote, a enseigné le péripatétisme à Bologne de 1487 à sa mort.

    La guerre de la Ligue de Cambrai a opposé la France aux États pontificaux et à la République de Venise de 1508 à 1516.

  4. Les moines, et particulièrement les inquisiteurs dominicains.

  5. Alexandre d’Aphrodisie, philosophe péripatéticien grec du iie s., lui aussi surnommé le second Aristote.

  6. De naturalium effectuum admirandorum causis, seu de Incantationibus Liber. Item de Fato : Libero arbitrio : Prædestinatione : Providentia Dei, Libri v. In quibus dificillima capita et quæstiones Theologicæ et Philosophicæ ex sana orthodoxæ fidei doctrina explicantur, et multis raris historiis passim illustrantur, per autorem, qui se in omnibus Canonicæ scripturæ sanctorumque doctorum iudicio submittit [Livre sur les causes des admirables merveilles de la nature, ou Incantations ; un autre sur le Destin ; un autre sur le Libre arbitre ; un autre sur la Prédestination ; et cinq livres sur la Providence divine. À partir de la saine doctrine de la foi orthodoxe, y sont expliqués les points capitaux les plus difficiles et les questions théologiques et philosophiques ; en se soumettant entièrement au jugement des saints et des docteurs de l’écriture canonique, l’auteur les a partout éclairés à l’aide de nombreuses et rares observations] (Bâle, Librairie Henricpetri, 1567, in‑8o de 1 015 pages).
  7. Il n’aurait pas été excessif de traduire ici liberali par « libertine (érudite) » car Pomponace peut être tenu pour l’un des fondateurs de ce courant de pensée.

  8. Ercole Gonzaga (1505-1563), nommé cardinal en 1527, est réputé avoir eu cinq enfants naturels.

Le récit de Naudé est approximatif sur deux points qui peuvent égarer un lecteur soucieux des détails.

  1. Pietro Bembo (Petrus Bembus, Venise 1470-Rome 1547), chevalier de Malte et historiographe de la sérénissime République, avait étudié la philosophie à Padoue sous Pomponace. Il mena longtemps, à Rome et à Florence, la vie d’un érudit mondain et débauché. Il a défendu Pomponace lors de son procès devant l’Inquisition (v. la dernière notule {a} infra), mais il ne fut nommé cardinal qu’en 1538 (soit 22 ans après la querelle autour du livre sur l’immortalité de l’âme), et ce à la demande du doge de Venise ; il se fit prêtre l’année suivante et mena dès lors une vie exemplaire jusqu’à sa mort.

  2. Giovanni Crisostomo Javelli (Johannes Chrysostomus Javellus, Casal vers 1470-Bologne vers 1538), dont le nom est imprimé Ganellus dans le Naudæana, a certes été un savant théologien dominicain (sa bibliographie compte une vingtaine d’ouvrages publiés entre 1519 et 1598), mais ne fut pas vraiment « l’ennemi capital » de Pomponace, comme le montre la compilation bibliographique qui suit.

Pomponace dut d’abord défendre son fameux livre contre l’attaque publiée dès 1517 par Gasparo Contarini (Venise 1483-Bologne 1542, cardinal en 1535) en faisant paraître une Apologia (sans lieu ni nom, épître dédicatoire datée du 11 novembre 1517, in‑4o).

Le philosophe scolastique Agostino Nifo (v. note [7], lettre 108), écrivit ensuite une seconde fois contre Pomponace, qui répondit par un ouvrage intitulé Defensorium Petri Pomponatii Mantuani [Défense de Pietro Pomponazzo, natif de Mantoue] (Bologne, Justinianus De Ruberia, 18 mars 1519, in‑4o) qui se terminait par deux lettres fort courtoises.

  • La première, non datée, est brève (un tiers de page) et intitulée Reverendo in Christo patri Chrysostomo Casalensi, ordinis prædicatorum in conventu Divi Dominici Bononiæ, sacræ Theologiæ regenti, Petrus Pomponatius Mantuanus Salutem [Pietro Pomponazzo, natif de Mantoue, adresse ses salutations au Révérend Père Crisostomo (Javelli), natif de Casal, de l’Ordre des prêcheurs dans le couvent dominicain de Bologne, régent de théologie sacrée]. Elle commence ainsi :

    Reverenda P. T. Animadvertens pro sua prudentia ex iis quæ scripsimus in libro de immortalitate animi non solum multos in posterum in errorem induci posse, Sed etiam nonnullos magnopere a veritatis via aberrasse, Quippe qui me mortalem esse animum sentire arbitrati fuerint pro summa in me charitate et veteri benevolentia Sæpius cohortata est et admonuit ut ad ea argumenta quæ in eo libro quocumque Christianæ fidei lumini officerent, eiusdem orthodoxæ fidei veris et firmis rationibus responderem, Quam ergo cohortationem : et admonitionem : quod a sincero, et benevolo animo perficisci facile intellexi.

    [Mon révérend père, {a} vous blâmez, en vertu de votre sagesse, ce que nous avons écrit dans le livre sur l’immortalité de l’esprit car cela pourra non seulement induire bien des gens en erreur, mais en a aussi déjà égaré certains loin du sentier de la vérité, qui, par profonde affection et ancienne bienveillance à mon égard, auraient cru que je tiens l’esprit pour mortel. Très souvent, vous m’avez exhorté et enjoint à répondre des arguments qui, partout dans ce livre, font obstacle à la lumière de la foi chrétienne, et aux authentiques et solides raisons de son orthodoxie. J’ai donc aisément compris l’exhortation et l’injonction, parce que vous les avez accomplies {b} avec bienveillance].


    1. Reverenda Paternitas Tua, littéralement « Votre révérende paternité ».

    2. J’ai interprété perficisci comme une forme archaïque (attestée par d’autres écrits) de perfecisti.

  • La seconde lettre, bien plus longue (plus de huit pages), a pour suscription Excellentissimo Famosissimoque huius ætatis nostræ philosopho Domino Petro Pompo. Mantuano Frater Chrysostomus Casalensis ordinis prædicatorum Theologorum minimus [Le frère Crisostomo, natif de Casal, de l’Ordre des prêcheurs, le plus petit des théologiens, {a} au plus éminent et célèbre philosophe de notre temps, Maître Pietro Pomponazzo, natif de Mantoue]. Elle contient une argumentation en 43 points, et se conclut par les sentences identiques des deux juges ecclésiastiques de Bologne : celle, datée du 3 mars 1518, d’Alexander de Peracinis, docteur en droit civil et canon, et vicaire général du cardinal-évêque de Bologne {b} pour les affaires spirituelles et temporelles ; et celle, confirmative et datée du 4 mars 1519, du dominicain Johannes de Torsannis, tenant lieu de vicaire inquisiteur de Bologne. Cet extrait de la première en résume la teneur :

    Approbamus solutiones Rationum pro philosopho Aristote deductarum ad probandum animæ mortalitatem. Datas per Reverendum patrem Regentem S. Dominici magistrum Chrysostomum or. Prædic. ut Catholicas et enervantes astutias philosophorum ad illuminationem fidei. Quibus stantibus et acceptatis a Magistro Petro Pompo, contenti sumus : ut Liber ipse imprimatus : et vendatus sit cum prædictis solutionibus et non aliter.

    [Nous approuvons les réfutations des arguments tirés du philosophe Aristote pour prouver la mortalité de l’âme. Dom Crisostomo, révérend père régent dominicain, les a montrés n’être qu’artifices universels mais éculés des philosophes contre l’illumination de la foi. Ayant jugé ses motifs valables et les ayant acceptés, nous admettons que son livre soit imprimé et mis en vente avec lesdites réfutations, et non autrement].


    1. Theologorum minimus, « le plus petit des théologiens », peut ici sembler ironique, mais c’était l’humble formule que les dominicains (et d’autres moines) utilisaient ordinairement alors pour signaler leur compétence en théologie. Certains y ajoutaient même et minimus minimorum [le plus petit des plus petits].

    2. Achille Grassi (Bologne 1546-Rome 1523), nommé cardinal-évêque de Bologne en 1511.

En 1525, Pomponace a publié une nouvelle édition de son livre, dans une compilation intitulée Tractatus acutissimi utillimi et mere peripatetici. De intensione et remissione formarum ac de parvitate et magnitudine. De reactione. De modo agendi primarum qualitatum. De immortalitate anime. Apologiæ libri tres. Contradictoris tractatus doctissimus. Defensorium autoris. Approbationes rationum defensorij per fratrem Chrysostomum theologum Ordinis predicatorij diuinum. De nutritione et augumentatione [Traités très pointus et utiles, et purement péripatétiques : La tension et le relâchement des formes, et la petitesse et la grandeur (fos 2 ro‑20 ro) ; La réaction (fos 21 ro‑37 vo) ; La manière d’agir des qualités premières (fos 38 ro‑40 vo) ; L’immortalité de l’âme (fos 41 ro‑75 vo) ; Trois livres d’apologie (fos 75 vo‑51 vo) ; {a} Très docte traité du contradicteur (fos 52 ro‑80 vo) ; Défense de l’auteur (fos 81 ro‑108 ro) ; Approbations des arguments du défenseur par frère Crisostomo, divin théologien de l’Ordre des prêcheurs (fos 108 vo‑112 ro). {b} La nutrition et la croissance (fos 112 vo‑139 vo)]. {c}


  1. Venise, Octavianus Scotus, 1525, in‑fo de 278 pages, avec épître dédicatoire à Pietro Bembo contenant ce passage :

    Nunc vero ad re me converto Bembe cultissime : qui inter cetera veri amoris indicia : in accusatores nostros exarsisti : tonasti : fulgurasti : qui me perperam hæreseos insimulabant.

    [Très honoré Bembo, j’en viens maintenant au procès, vous qui, entre autres témoignages de véritable affection, vous êtes enflammé, avez tonné et lancé des éclairs contre nos accusateurs, qui me taxaient faussement d’hérésie].
  2. Solutiones rationum animi mortalitatem probantium quæ in Defensorio contra Niphum excellentissimi Domini Petri Pomponatii formantur [Réfutations des arguments prouvant la mortalité de l’âme que le très éminent Maître Pietro Pomponazzio a présentées dans sa Défense contre Nifo], contenant, comme prescrit par l’Inquisition, les deux lettres échangées avec Giovanni Crisostomo Javelli et son argumentaire en 43 points, et la sentence des juges ecclésiastiques.

  3. Avec dédicace au cardinal vénitien Domenico Grimani (1461-1523), datée de Bologne le 10 août 1521.


Additions et remarques du P. de Vitry
(1702-1703, v. note [12] des Préfaces), pages 161‑163 :

« Petrus Pomponatius. M. Gaffarel, étant à Venise en 1633, écrivit à M. Bourdelot qu’il lui envoyait universam Petri Pomponatii Philosophiam manuscriptam prægrandiores sex distinctam in Tomos. {a} Sans doute, parmi le grand nombre de traités qui devaient composer ce gros recueil, il y en avait plusieurs qui n’avaient point encore vu le jour ; mais jusqu’à présent, le public n’a tiré aucun fruit de cette découverte. Au reste, Moréri et ses réviseurs disent que Pomponace mourut en 1512 ; {b} ce philosophe avait pris néanmoins toutes les précautions nécessaires pour empêcher que la postérité se trompât au temps dans lequel il a vécu ; il a eu soin d’ajouter à tous ses ouvrages l’année et le jour auquel il avait achevé d’y mettre la dernière main. Il serait trop long de rapporter ici tous ces différents passages pour prouver qu’il vivait encore après 1520 ; nous nous contenterons d’en produire un qui se trouve à la fin du traité de Nutritione et augmentatione, que je crois être le dernier de ses ouvrages : Ad laudem Dei Patris, Filii, et Spiritus Sancti, et gloriosissimæ matris Domini Jesus Salvatoris nostri, nec non salutiferæ crucis, in cjus vigilia ego Petrus, filius Nicolai Pomponatii Mantuani, finem imposui huic negotio die 3. Septemb. 1521. anno Pontificatus nono Divi Leonis xmi. anno vero primo Ducatus Venetorum Antonii Grimani, in almo Gymnasio Bononiensi, in capella Sancti Barbatiani Confessoris. » {c}


  1. « la philosophie complète manuscrite de Petrus Pomponatius, divisée en cinq très grands tomes. »

    « In epist. præfixa Indici Operis Campanellæ de reformat. scientiar. [Dans la lettre placée en tête de l’Index de l’ouvrage de Campanella sur la réformation des sciences] » (note de Vitry) : ce passage est à la fin de la lettre de Jacques Gaffarel (v. note [1], lettre 707) à Jean Bourdelot (v. note [13], lettre 41), datée de Venise le 6 mai 1633, et placée en tête du Clarissimi ac reverend. Viri P.F. Thomæ Campanellæ, Phylosophorum [sic] ævi nostri facile Principis, de Reformatione Scinetiarum Index [Index sur la réformation des sciences, de Tommaso Campanella (v. supra note [9]), très brillant et révérend frère prêcheur (dominicain), et sans peine le premier des philosophes de notre temps] (Venise, Andrea Baba, 1633, in‑8o de 13 pages).

  2. Grand Dictionnaire de Moréri sur Pomponace : 1692, tome 4, page 193.

  3. « À la louange de Dieu, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et de la très glorieuse mère du Seigneur Jésus, notre Sauveur, ainsi que de la croix qui procure le salut, pour la sauvegarde duquel, moi, Petrus, fils de Nicolaus Pomponatius natif de Mantoue, j’ai achevé ce travail, en la fameuse Université de Bologne, dans la chapelle de saint Barbatien le Confesseur, le 3e jour de septembre 1521, neuvième année du divin pontificat de Léon x, et première année du gouvernement d’Antonius Grimanus, doge de Venise. »

    Vitry entendait ainsi prouver, incidemment mais avec éclat, la pure foi catholique de Pomponace ; v. précédente notule {c} pour son traité de « sur la nutrition et la croissance ».

    V. note [2] du Naudæana 4, pour une autre remarque de Vitry sur la piété de Pomponace.


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Naudæana 1, note 67.

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(Consulté le 28/03/2024)

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