Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre II, note 69.
Note [69]

L’emplâtre contre la rupture servait au traitement des hernies (ou entérocèles, v. note [1], lettre latine 361) dues à la déhiscence ou rupture de la paroi abdominale profonde permettant à l’intestin de descendre dans le scrotum, dans la grande lèvre ou dans l’aine : Pierre Franco parle de l’emplastrum contra rupt. dans le chapitre xv, La cure de rupture, par voie de médecine (pages 26‑27), de son Traité des hernies (Lyon, 1561, v. note [61], lettre 183), mais sans en donner la composition exacte (que je n’ai pas trouvée ailleurs) ni y mentionner la présence de sang (humain ou autre).

J’en ai trouvé une description, aussi détaillée que curieuse, dans un ouvrage peu suspect d’orthodoxie dogmatique, la Myrothecium spagyricum ; sive Pharmacopœa chymica, occultis naturæ arcanis, ex Hermeticorum Medicorum scriniis depromptis abunde illustrata. Auctore Petro Ioanne Fabro Castrinovidarensi, Doctore Medico ac Philosopho Monspeliensi [Boîte à essences spagirique, ou Pharmacopée chimique très riche en secrets cachés de la nature, tirés des cassettes des médecins hermétiques. Par Pierre-Jean Fabre, natif de Castelnaudary, docteur en médecine et philosophie de Montpellier] (Vieille-Toulouse, Pierre Bosc, 1628, in‑8o), dont le chapitre ix du 8e livre est intitulé De emplastro contra rupturam [L’emplâtre contre la rupture] (pages 335‑336) :

Emplastra possunt et apud chymicos commodissime præparari et faciliori negotio quam apud vulgares pharmacopolas : nam quintæ essentiæ omnes et olea eorum ceræ aut pici consistentiam acquirunt, et fortiora multo sunt vulgaribus et communibus, diutiusque durant : emplastrum ergo ad herniam seu contra rupturam omnem et ossium dislocationem, sequenti methodo paravimus.  ceræ albæ succo granatorum aut aceto albo lotæ ℔ j. huic adde olei mastichini spagyrice præparati  iiij. aceti sulphuris per campanam facti  ij. tincturæ rosarum ʒ j. croci martis  j. terræ sigillatæ ʒ ij. terræ exanimatæ vitrioli, hoc est fecis vitrioli ex distillatione ejus, ab omni eius sale vindicati  ij. magisterii coralli rubei, et lapidis hepatis ana  ß. magisterii lapidis magnetis  j. olei herniariæ herbæ  ß. extracti ejusdem  j. olei consolidæ maioris  ß. extracti et tincturæ radicis eiusdem consolidæ maioris aceto stillatitio extractæ, aut succo limonum aut granatorum  ß. misce, reducantur in emplastri consistentiam, levissimo calore, et fiant magdalia usui reponenda.

Vires et usus emplastri contra rupturam.

  1. Hernias infantium et puerorum quam citissime curat, modo emplastrum superpositum optime ligatum assidue gestent.

  2. Ossa fracta ad callum tutissime ducit, et impedit, si sit vulnus, ne putrescat et ad suppurationem deveniat, sua adstringendi et desicandi facultate.

Usus eius est ut extendatur massa illius, super alutam novam, et parti affectæ calide imponatur, et stricte ligetur.

[Les emplâtres peuvent être préparés avec très grande commodité et plus de facilité chez les chimistes que chez les pharmaciens ordinaires ; ainsi, toutes leurs quintes essences {a} et leurs huiles acquièrent la consistance d’une cire ou d’une poix, et sont beaucoup plus robustes et durent plus longtemps que les onguents préparés de manière commune et ordinaire. Nous préparons donc l’emplâtre pour la hernie ou contre toute rupture et dislocation des os de la manière qui suit : prenez une livre de cire blanche lavée avec du jus de grenade ou du vinaigre blanc ; ajoutez-y 4 onces d’huile masticine {b} préparée à la manière spagirique, 2 onces de vinaigre sulfuré fait sous cloche, une drachme de teinture de roses, une once de crocus de mars, {c} 2 drachmes de terre sigillée, {d} 2 onces de terre éteinte de vitriol, c’est-à-dire le résidu de la distillation du vitriol, débarrassé de tout son sel, du magistère de corail rouge et de pierre de foie, {e} une demi-once de chaque, une once de magistère de pierre d’aimant, {f} une demi-once d’huile d’herniaria, {g} une once d’extrait de la même herbe, une demi-once d’huile de grande consoude, {h} une demi-once d’extrait et teinture de la racine de la même grande consoude, extraite au moyen de vinaigre distillé, ou de jus de citron ou de grenade ; mélangez et réduisez le tout, à feu très doux, jusqu’à la consistance d’un emplâtre, puis faites-en des magdaléons {i} à conserver pour en user.

Facultés et emplois de l’emplâtre contre la rupture.

  1. Il soigne avec grande promptitude les hernies des nourrissons et des enfants, pourvu qu’ils portent constamment l’emplâtre après qu’on l’a mis en place et parfaitement attaché. {j}

  2. Il induit très sûrement la formation d’un cal sur les os fracturés et, en cas de plaie associée, par sa faculté astringente et asséchante, il empêche qu’elle ne se gâte et n’aboutisse à la suppuration.

On le serre avec une ceinture de cuir neuf pour qu’il s’étale bien et qu’il adhère fermement à la partie affectée.


  1. Matière complexe et occulte, la quinte essence ou quintessence, « en termes de chimie, est ce qu’il y a de plus exquis, de plus subtil et de plus pur dans les corps naturels, extrait par l’art de chimie. Quinta essentia. Les charlatans vendent des liqueurs qu’ils appellent des essences et quintes essences, faisant accroire qu’elles guérissent de tous maux. Les Anciens, qui ne connaissaient rien de réel qui ne fût un corps, voulaient néanmoins que l’âme de l’homme fût d’un cinquième élément, ou d’une espèce de quinte essence sans nom, inconnue ici-bas, indivisible et immuable, toute céleste et toute divine.
    Quintessence, dans la philosophie hermétique, est un terme mystérieux : cinquième essence ou cinquième être d’une chose mixte. C’est comme l’âme très subtile tirée de son corps, et de la crasse et superfluité des quatre éléments [air, eau, feu et terre], par une très subtile et très parfaite distillation ; et par ce moyen la chose est spiritualisée, c’est-à-dire rendue très spirituelle, très subtile et très pure, et comme incorruptible » (Trévoux).

  2. Extraite du mastic (v. notule {b}, note [73], lettre latine 351).

  3. Rouille de fer, mais c’était aussi un autre nom du safran des métaux (crocus metallorum ou foie d’antimoine, v. note [52], lettre 211).

  4. Ou terre de Lemnos (v. notule {a}, note [6] de l’observation vii).

  5. Magistère : « préparation d’un corps mixte par art de chimie, par laquelle toutes ses parties homogènes sont exaltées en un degré de qualité ou de substance plus noble qu’auparavant, en rejetant seulement ses impuretés externes, sans faire aucune extraction. Le magistère diffère de l’extrait en ce que dans le magistère toutes les parties du mixte y demeurent, quoiqu’elles soient changées en des qualités ou consistances plus exquises ; et dans l’extrait on ne prend que la plus noble partie de la substance, qui est tout à fait séparée d’avec la plus grossière et élémentaire » (Furetière).

    V. notes [11], lettre 393, pour le corail rouge, et [19], lettre 352, pour sa teinture (ou âme).

    La pierre de foie (ou hépatique) était un mélange de vitriol, de calcaire et d’argile, qui exhalait une odeur de foie de soufre ou de poudre à canon.

  6. Nicolas Lemery (Traité universel des drogues simples…, seconde édition, Paris, Laurent d’Houry, 1714, in‑4o, page 513) :

    « On demande de la pierre d’aimant dans les descriptions d’emplâtres destinés pour les plaies qui ont été faites par des armes et où l’on croit qu’il est demeuré quelque morceau de fer ; car l’on s’imagine que l’aimant qui est entré dans l’emplâtre attirera et fera sortir le fer de la plaie ; mais quelque bon que fût l’aimant, il ne pourrait jamais produire cet effet car, premièrement, étant pulvérisé subtilement, comme il est nécessaire qu’il soit pour être mêlé dans un emplâtre, il a perdu toute sa qualité propre pour attirer le fer, en ce qu’elle ne consistait que dans une disposition ou arrangement de pores qui ont été détruits. En second lieu, quand il serait demeuré à cette pierre pulvérisée quelque vertu d’attirer le fer, elle ne pourrait point agir étant mélangée dans un emplâtre, à cause des matières visqueuses, gommeuses et résineuses qui le composent. Je ne reconnais donc en l’aimant qu’on a fait entrer dans les emplâtres qu’une vertu détersive et astringente ; ainsi, j’estime qu’il n’est pas besoin de s’embarrasser beaucoup pour choisir cette pierre dans toute sa force quand on voudra l’employer en médecine ; il suffit de prendre celle que les droguistes vendent communément et qu’ils font venir d’Auvergne et de plusieurs autres lieux. Mais, de peur qu’on n’y soit trompé et qu’ils ne vendent une autre pierre à la place de celle d’aimant, il faut lui présenter de la limaille de fer, car elle doit l’attirer ».

  7. Herniaria ou herniole : « petite plante à fleurs verdâtres, qu’on appelle aussi turquette », dont le nom vient précisément du cataplasme qu’on en faisait pour traiter les hernies.

  8. Plante ainsi nommée (symphyton dans l’étymologie grecque) pour sa vertu à souder les plaies.

  9. Mot dérivé de magdalia, pâte pétrie : « C’est ainsi qu’on appelle un rouleau ou petit cylindre de soufre, d’emplâtre, etc., tels qu’on les vend chez les épiciers et apothicaires » (Trévoux). Ambroise Paré donnait aux emplâtres le nom de céroüennes.

    Le sang n’entrait donc pas dans la composition de l’emplâtre des spagiriques.

  10. Avec l’emplâtre contre la rupture, on espérait réunir la déhiscence herniaire récente et fraîche des enfants ; mais le traitement était tenu pour inefficace chez les adultes et les vieillards dont les berges de l’orifice s’étaient sclérosées.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre II, note 69.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8169&cln=69

(Consulté le 18/04/2024)

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