À Claude II Belin, mars-avril 1641, note 7.
Note [7]

Dans son livre Des Maladies internes (v. note [3], lettre 31), Hippocrate dit à deux reprises : « on purgera la tête avec le tetragonum [το τετραγονο] » (paragraphes 45, page 279, et 49, page 291, de Littré Hip, volume 7).

Littré est lui aussi demeuré perplexe et a, comme Guy Patin, refusé le point de vue de plusieurs interprètes d’Hippocrate (dont Galien) qui voulaient faire de tetragonum un synonyme de το στιμμι (l’antimoine, v. infra, note [8]). Dans son Œconomia Hippocratis…, page 616, v. note [23], lettre 7), Anuce Foës dit que Galien :

iniit qosdam per tetragonum intelligere crustas quæ circa stibium reperiuntur, quosdam etiam ipsum stibium.

[a engagé certains à tenir le tetragonum pour les croûtes qui s’observent autour de l’antimoine, et certains même pour l’antimoine tout court].

En fouillant le Corpus hippocratique, on trouve un autre vocable, τετραγωνα, qui renvoie à une « plante [le fusain, ou arbre à fruits carrés (Bailly)] dont a parlé Théophraste et dont les fruits, à la dose de trois ou quatre, évacuent par le bas et même par le haut » (Étienne Mack, éditeur des œuvres complètes d’Hippocrate, Vienne, 1743-1749, in‑fo) ; quadrangula spicula, sagittas quatuor habentes cuspides [des épines quadrangulaires, des flèches ayant quatre pointes] (Foës).

Ce détail de vocabulaire hippocratique a pesé très lourd dans les disputes sur l’antimoine puisqu’il touchait à un point capital de doctrine médicale : si les maîtres de l’Antiquité avaient connu et exploité les vertus curatives de ce métal, alors il n’y aurait aucune raison de contester son inscription dans le Codex et son emploi dans la thérapeutique ordinaire.

Dans sa première Défense de la Faculté de médecine de Paris… (1666, v. note [5], lettre 873), Jacques Thévart a résolument soutenu ce point de vue (page 8) :

« Hippocrate, qui vivait il y a environ deux mille ans, s’est servi de l’antimoine sous le nom de Tetragonum pour la guérison du miséréré, {a} comme l’a remarqué le sieur Martin {b} dans le commentaire qu’il a fait sur le livre d’Hippocrate Des Maladies internes, qui parle en ces termes : “ Manifestement, Hippocrate a ici reconnu la force purgative de l’antimoine, et nous ne pouvons que conjecturer la raison pour laquelle il le nommait tetragonum : on a fait des pastilles d’antimoine, et peut-être parce qu’elles étaient rectangulaires, Pline les appelait tetragoni. {c} Galien dans son explication du vocabulaire d’Hippocrate interprète tetragonum comme voulant qualifier soit les croûtes trouvées dans l’antimoine, soit l’antimoine lui-même, et si Hippocrate a voulu qu’on n’en donne que dans le miséréré, c’est sans doute qu’il provoquait un flux de ventre tout à fait salutaire dans cette maladie, parce qu’il purgeait et dégageait. Dioscoride façonne des pilules purgatives avec deux parts de sel, une d’élatérium {d} et une d’antimoine ”. {e}

[…] Galien qui vivait sous l’empereur Antonin s’en est aussi servi, et dit que l’antimoine a une faculté dessicative et astringente, et qu’il est bon pour les ulcères des yeux ; {f} et Dioscoride, Paul Æginète, Ætius et tous les auteurs grecs sont de même sentiment que Galien, et même Avicenne et les Arabes disent qu’il empêche le flux de sang par les narines, déterge les ulcères et les consolide, et conserve les yeux qui sont les parties les plus sensibles et délicates de tout le corps. »


  1. V. note [5], lettre de Charles Spon, datée du 6 avril 1657.

  2. Jean Martin.

  3. V. note [5], lettre 64.

  4. Suc de concombre.

  5. Citation entre guillemets traduite du latin.

  6. V. note [11], lettre latine 38.

En 1651, parmi d’autres antimoniaux, Jean Chartier (v. notes [13], lettre 271, et [2], lettre latine 31) avait émis la même opinion que Thévart.

Le plus vraisemblable pourtant est que les médecins de l’Antiquité ont connu l’antimoine, mais ne l’ont appliqué qu’au traitement externe des maladies (collyres, onguents, pommades). Telle était du moins l’opinion des orthodoxes de la Faculté (v. note [2], lettre 276), c’est-à-dire des ennemis résolus de l’ingestion d’antimoine, dont Patin était un ardent zélateur. Un de leurs arguments essentiels était que la prise d’antimoine ne pouvait pas être bonne puisque les Anciens ne l’avaient pas recommandée. Charles Guillemeau (et Guy Patin), Question cardinale…, 1648 (v. note [2], lettre 158), Observation ii, De l’antimoine (v. sa note [3]).

Dans l’épître dédicatoire de son Rabat-joie de l’Antimoine triomphant… (1654, v. note [3], lettre 380), Jacques Perreau dit le « Tétragone doué de quatre titres merveilleux pour la cure des maladies, étant vulnéraire, vomitif, déjectif et sudorifique ».

V. notule {al}, note [55], lettre 348, pour une autre allusion au tétragone d’Hippocrate dans L’antimoine justifié… d’Eusèbe Renaudot (Paris, 1653).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, mars-avril 1641, note 7.

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(Consulté le 19/04/2024)

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