À Claude II Belin, le 28 octobre 1648, note 7.
Note [7]

Pierre Jarrige (Tulle 1604-ibid. 26 septembre 1670) était entré dans la Compagnie de Jésus en 1623, avait professé la grammaire, les humanités et la rhétorique au collège de Bordeaux ; mais, blessé que la Compagnie de Jésus n’eût pas assez reconnu et récompensé ses talents, il avait abjuré le catholicisme à La Rochelle pour se faire protestant en novembre 1647. Peu après, menacé par les jésuites, il s’était réfugié en Hollande où ses nouveaux coreligionnaires l’accueillirent froidement ; mais il obtint des États généraux une pension et la promesse d’un pastorat après quatre années d’épreuve. Les jésuites, après avoir vainement essayé de le ramener à eux par des promesses, l’avaient pourtant fait condamner le 17 juin 1648 « à faire amende honorable, tête et pieds nus, en chemise, la corde au col, devant la grand-porte et principale entrée de l’église de Saint-Barthélemy et de celle des pères jésuites de La Rochelle, et ensuite être mené et conduit en la place publique du château pour y être pendu et étranglé à une potence ». Jarrige répondait à cette sentence en publiant trois attaques :

  • Les Jésuites mis sur l’Échafaud, pour plusieurs crimes capitaux par eux commis dans la province de Guyenne. Avec la Réponse aux calomnies de Jacques Beaufés. {a} Par le sieur Pierre Jarrige, ci-devant Jésuite Profès du quatrième vœu, {b} et Prédicateur ; {c}

  • Déclaration du Sieur Pierre Jarrige, ci-devant Jésuite Profès du quatrième vœu et Prédicateur. Prononcée dans le Temple de l’Église française de Leyde, le 25e de mars 1648 ; {d}

  • La Réponse aux calomnies de Jacques Beaufès, par le Sieur Pierre Jarrige, ci-devant Jésuite Profès du quatrièe vœu, et Prédicateur. {e}


    1. Jacques Beaufès (Beaufez, Tulle vers 1597-Périgueux 1650), entré dans la Compagnie de Jésus en 1617, avait enseigné la philosophie pendant six, puis s’était voué à la prédication (Sommervogel). Contre Jarrige, il avait publié anonymement Les impiétés et sacrilèges de Pierre Jarrige, se disant jésuite, après avoir fait profession de Religion prétendue réformée. Avec les fausstés que le Sieur Vincent, ministre de La Rochelle a publiées sur ce sujet, réfutées par les lettres du même Jarrige, par un P. de la Compagnie de Jésus (La Rochelle, Toussaint de Govy, 1648, in‑8o).

    2. Outre les trois vœux monastiques ordinaires (pauvreté, chasteté, obéissance), les jésuites en prêtaient un quatrième, qui prescrivait une obéissance particulière au pape : Jarrige, les ayant tous quatre professés, était pleinement sociétaire de la Compagnie.

    3. Leyde, héritiers de Jean Nicolas à Dorp, 1648, in‑8o de 132 pages.

    4. Leyde, Jean du Pré, 1648, in‑8o de 87 pages.

    5. Sans nom ni lieu ni date, in‑8o de 147 pages.

Ces livres produisirent une sensation extraordinaire ; mais en dépit de cet acte d’éclatante rupture, les bons pères finirent par ramener Jarrige à eux par l’entremise du P. Ponthelier, jésuite, attaché à la personne de l’ambassadeur de France à La Haye qui quitta Leyde pour Anvers : P. Jarrige est apud nostros, écrivait le P. Othon Zylius au P. Masset, le 28 mai 1650, Antverpiæ, et Retractationem parat, omni caritate et humanitate exceptus [P. Jarrige est parmi nous, à Anvers, et il prépare sa Rétractation, nous l’hébergeons avec toute la charité et l’humanité possibles].

Après la Rétractation du P. Pierre Jarrige de la Compagnie de Jésus, retiré de sa double apostasie par la miséricorde de Dieu (Anvers, veuve de Jan Cnobbaert, 1650, in‑8o de 130 pages avec, à la fin, deux lettres du P. Jean Ponthelier), on laissa à Jarrige le choix de rentrer dans la Compagnie ou de rester dans le siècle. Il prit ce dernier parti et vécut à Tulle, donnant jusqu’à sa mort des répétitions de rhétorique et de philosophie (Sommervogel).

Les Jésuites mis sur l’échafaud est un extravagant brûlot antiloyolite. L’Épître dédicatoire « À très hauts et très puissants seigneurs, messeigneurs les États généraux des Provinces-Unies » mord d’emblée :

« Messeigneurs, L’intérêt que je prends à la conservation d’un État qui tient immédiatement sa souveraineté du Dieu des souverains et des exploits miraculeux de vos épées victorieuses, m’oblige d’amener aux pieds de vos très illustres Seigneuries des dangereux inconnus, pour les faire connaître, et des traîtres travestis en saints, pour les dépouiller en votre présence du manteau de leur hypocrisie. Vous connaîtrez à leur mine qu’ils sont vos ennemis puisqu’ils sont jésuites et jugerez par la relation de leur crime qu’ils ne doivent être non plus tolérés dans vos Provinces que les tyrans et les empoisonneurs. »

Le livre (96 pages) est composé de 13 chapitres :

  1. La coutume des jésuites est d’attaquer toujours ceux desquels ils peuvent avoir une juste appréhension qu’ils révèlent leurs crimes ;

  2. Crimes de lèse-majesté commis par les jésuites ;

  3. Usurpations et antidates commises par les jésuites ;

  4. Meurtres des petits enfants trouvés, commis par les jésuites ;

  5. Les impudicités des jésuites dans leurs classes (« Mon encre rougit écrivant ces saletés », page 43, v. note [9] des Affaires de l’Université en 1651‑1652 dans les Commentaires de la Faculté de médecine) ;

  6. Impudicités des jésuites en leurs visites ;

  7. Vilenies commises par les jésuites dans leurs églises ;

  8. Impudicités commises par les jésuites dans leurs maisons ;

  9. Impudicités des jésuites en leurs voyages, et aux maisons des champs ;

  10. Impudicités des jésuites dans les couvents des nonains (religieuses) ;

  11. Des vengeances et ingratitudes des jésuites ;

  12. Fausse monnaie faite par les jésuites ;

  13. Réflexions sur les douze discours précédents.

L’Épître dédicatoire de la Réponse, « À Messieurs les pasteurs et anciens des Églises de la langue française, recueillies ès Provinces-Unies du Pays-Bas », n’est guère plus mesurée que la précédente :

« Les jésuites voudraient bien faire passer les flétrissures qu’ils prétendent imprimer sur mon front pour des marques d’ignominie ; mais s’il vous plaît, Messieurs, de considérer leur intention, examiner mon procès et ses causes, et demander leur jugement à nos pasteurs et à nos frères de La Rochelle qui sont sur les lieux où toutes choses se sont passées, vous jugerez mon opprobre glorieux et les prétentions de mes ennemis criminelles. Déjà l’un des plus religieux et des plus éloquents ministres du Saint Évangile m’a défendu avec autant de vigueur d’esprit que de vérité ; et sa réponse a eu grande approbation par la défaite de mes adversaires. J’eusse pardonné à Beaufés les contumélies {a} qu’il a vomies contre mon honneur par une obstinée délibération de me taire, mais ceux qui font état de ma conversion pour la gloire de Dieu jugent que je suis obligé de parler. Je me défends donc contre un religieux prétendu qui choque de dessein formé les maximes fondamentales de la doctrine de Jésus-Christ et foule aux pieds les lois de charité dont toutes les Écritures sont pleines. Les canons romains déclarent un clerc irrégulier pour avoir assisté à l’exécution d’un criminel, et Beaufés, se disant prêtre et clerc de la Compagnie de Jésus, s’établit juge de ma vie dans son livret, prononce et signe des arrêts de mort contre moi, et se rend ingénieux à inventer des nouveaux tourments pour me faire cruellement mourir. Son accusation est que j’ai célébré leur messe dans le dessein de me convertir et ne me suis pas abstenu de prêcher dans leurs chaires, étant même en traité avec Messieurs les ministres pour trouver le moyen de professer publiquement la foi que j’avais dans le cœur. La fougue l’emporte là-dessus avec tant de rage qu’il fait profusion de toutes les figures injurieuses et de tous les termes scandaleux que l’imagination lui fournit. À chaque feuillet il s’arme de nouveaux aiguillons pour me piquer. Je suis à son avis un Judas {b} entre les apôtres et un démon dans la Maison de Dieu. Les mots d’exécrable, de détestable, d’abominable lui paraissent trop mols pour faire des larges plaies, il emploie la malice de son esprit et fait suer toute sa rhétorique pour en trouver de plus piquants et de plus venimeux. Non content d’en insérer un ou deux dans chaque période, il en étale treize et quatorze tout de rang comme lorsqu’il dit en la page 25, “ Cet homme était vain, superbe, envieux, rebelle, hypocrite, sacrilège, perfide, désespéré, fourbe, imposteur, charnel, traître, mondain, etc. ”. En un mot, il ne tient pas à lui que je ne devienne l’objet d’une persécution universelle et que la passion particulière des jésuites ne passe dans tout le monde chrétien pour la cause publique. »


  1. Calomnies.

  2. V. note [2] de l’Introduction au Borboniana manuscrit.

V. note [10], lettre 179, pour l’avis destructeur de Gabriel Naudé sur Les Jésuites mis sur l’échafaud.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 28 octobre 1648, note 7.

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(Consulté le 28/03/2024)

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