À Claude II Belin, le 19 juin 1643, note 8.
Note [8]

Léon Bouthillier, comte de Chavigny (v. note [5], lettre 46) était le fils de Claude Bouthillier (Paris 1581-Pont-sur-Seine 9 mars 1652). La carrière de Claude avait commencé par un heureux hasard : l’avocat François de La Porte, chez qui il était clerc, lui avait confié le soin de veiller aux intérêts des enfants de sa fille Suzanne, épouse de François du Plessis de Richelieu ; parmi ses protégés se trouvait Armand Jean qui se lia d’une solide amitié avec Bouthillier, de quatre ans plus âgé que lui.

Conseiller au Parlement de Paris en 1613, Claude avait dû à la protection de Richelieu de devenir en 1619 conseiller d’État et secrétaire des commandements de la reine mère, Marie de Médicis, auprès de qui il servit d’agent de renseignements à destination du cardinal. En 1628, il avait succédé à Potier d’Ocquerre comme secrétaire d’État, envoyé en Lorraine en 1629 pour négocier le retour de Gaston d’Orléans. En 1632, Claude Bouthillier avait été nommé surintendant des finances avec Claude de Bullion et fait pourvoir son fils Léon de sa charge de secrétaire d’État. De 1640 à 1643, il avait été le seul surintendant des finances.

Sa fidélité lui avait assuré la confiance du cardinal, qui le choisit comme exécuteur testamentaire, et celle du roi, qui le désigna, avec son fils Léon, comme membre du Conseil de régence qu’il voulait laisser après lui (déclaration du 20 avril 1643). Après la mort de Louis xiii, Claude Bouthillier fut très vite disgracié (août 1643). Voyant l’autorité royale anéantie après la mort du roi, il se retira dans son château de Pont-sur-Seine. Il avait épousé en 1606 Marie de Bragelogne, fille du doyen des conseillers de la Cour des aides et veuve d’un trésorier de France ; Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, pages 355) a prétendu qu’elle fut une maîtresse de Richelieu (R. et S. Pillorget et B. Barbiche, Dictionnaire du Grand Siècle).

Chéruel (Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet) s’est attardé sur l’inimitié qui, au fil des ans, opposa Chavigny à Mazarin (tome premier, chapitre iii, pages 36‑37) :

« Léon Le Bouthillier, comte de Chavigny, avait été un des principaux secrétaires d’État sous Richelieu. Le cardinal avait pour lui une bonté toute paternelle, qui excita plus d’une fois la verve satirique des courtisans. Chavigny avait été un des amis et des protecteurs de Mazarin, à l’époque où ce dernier s’introduisit à la cour de France, et il croyait avoir des droits à sa reconnaissance. Plus tard, il fut désigné par Louis  xiii pour être un des membres inamovibles du Conseil de régence ; mais, lorsque le Parlement eut cassé le testament de Louis  xiii, Mazarin, qui redoutait l’ambition de Chavigny, le rendit suspect à la reine et le tint dans une position secondaire. Chavigny n’avait alors que trente ans et n’était pas disposé à se contenter de ce rôle subalterne, après avoir eu, sous le ministère de Richelieu, le maniement des affaires les plus importantes et les plus délicates : ambitieux avec les apparences du désintéressement et de la modération philosophique, incapable d’occuper le premier rang, et trop orgueilleux pour se contenter du second, il perdit, en misérables intrigues, d’heureuses et brillantes qualités.

Cependant, comme il joignait la prudence à l’ambition, il dissimula quelque temps ses projets. Il crut le moment arrivé, en 1648 ; le Parlement était menaçant, la bourgeoisie murmurait contre les impôts, le clergé était agité par le coadjuteur et les grands aspiraient à une révolution, dans l’espérance de ressaisir le pouvoir que leur avait enlevé Richelieu. En présence de ces dangers et au premier bruit des mouvements populaires, Chavigny, affectant un zèle ardent pour l’autorité royale, poussa aux mesures extrêmes. Ce fut lui surtout qui conseilla l’arrestation de Broussel et de quelques autres membres du Parlement. Ce coup d’État provoqua l’émeute connue sous le nom de Journée des barricades, et la cour, passant de la colère à la peur, recula devant le Parlement et rendit les prisonniers. Quant à Chavigny, dont la politique perfide n’avait pas échappé à Mazarin, il fut arrêté dans le château de Vincennes, dont il était gouverneur (septembre 1648), puis transféré au Havre et enfin exilé dans une de ses terres loin de Paris. »

Plus loin (pages 41‑45), Chéruel a détaillé les dessous de l’affaire, à laquelle se mêla Claude de Rouvroy, duc de Saint-Simon (v. note [46], lettre 226), « autre ambitieux, également mécontent de la cour et impatient de son exil en Guyenne » :

« Arrivé à la cour, qui résidait alors à Compiègne (août 1649), le duc de Saint-Simon y trouva une ample matière pour exercer l’activité de son esprit. Le prince de Condé, qui venait de réduire Paris révolté, se plaignait de l’ingratitude de la reine et du cardinal. De son côté, Mazarin, las de la hauteur et des prétentions du prince, se rapprochait de la Maison de Vendôme, cherchait à gagner le duc de Beaufort, un des membres les plus influents de cette famille, comblait de faveurs les duchesses de Montbazon et de Chevreuse, et négociait le mariage d’une de ses nièces, Laura Mancini, avec le duc de Mercœur, frère aîné du duc de Beaufort. Saint-Simon ne tarda pas à être au courant de ces intrigues de cour, et il en rendait compte à Chavigny dans une lettre du 14 août 1649 :

“ J’ai différé, lui disait-il, à vous écrire de ce monde-ci, à cause que les choses m’y paraissent assez incertaines et obscures pour embarrasser un gazetier qui veut être fidèle et assuré. La résolution est prise, il y a déjà quelques jours, de ramener le roi à Paris. Ce n’a pas été sans peine que l’on y a fait consentir les plus intéressés, M. le Prince ayant employé toute sa force pour le persuader. C’est mercredi ou jeudi sans faute le jour du départ par le chemin de Senlis. {a} L’on travaille encore pour faire venir M. de Beaufort ; Mesdames de Montbazon et de Chevreuse y font les derniers efforts. Je tiens qu’ils ne seront pas inutiles et qu’il se laissera vaincre à la fin par les dames. La première a obtenu l’abbaye de Vendôme pour son fils, de six mille écus de rente. L’autre a été très bien reçue et caressée de toute la cour jusqu’au point que l’on croit dessein d’’alliance de sa fille avec le sieur de Mancini ; mais l’âge est fort disproportionné, et la fille y témoigne grande aversion. Madame la princesse est arrivée depuis deux jours, fort caressée en toutes manières. Le roi et la reine furent au-devant d’elles. La famille de Condé se réunit fort et par le mouvement du chef. ”

Ce fut sur cette famille et sur son chef que Saint-Simon fonda ses principales espérances pour la ruine de Mazarin et l’avènement de Chavigny au pouvoir. Il y travailla avec une ardeur qui ne se démentit pas jusqu’à la catastrophe. En moins d’un mois, il avait fait de grands progrès, si l’on en croit la lettre suivante, qu’il adressait à Chavigny à la date du 6 septembre :

“ Vous êtes à souhait dans la famille de M. le Prince, et, si ses désirs étaient suivis, vous seriez où vous méritez, dans la place où je vous souhaite toujours. Cela peut importuner un philosophe ; mais je n’ai pu m’en retenir. La plus grande nouvelle est le mariage de M. de Mercœur, conclu et arrêté avec la nièce aînée de M. le cardinal. Ce n’est pas une bagatelle, et vous l’avez toujours jugée chose importante. Aussi est-elle ressentie par M. le Prince ; il en est très piqué, ayant fait entendre, il y a quelque temps, nettement son aversion à cette affaire. Le cardinal Mazarin est découvert pour le moindre des hommes, avec ses mauvaises qualités manifestes à un chacun, et il est méprisé au dernier degré. Les plus sages sont persuadés de sa perte par diverses raisons ; cela va au moins ou au plus de temps. Les tireurs d’horoscopes sont fort de cet avis. ” {b}

Chavigny, provoqué par les instances du duc de Saint-Simon, sortit enfin de cette indifférence philosophique, où il affectait de s’enfermer. Il écrivit un manifeste, où il résumait avec habileté et vigueur les principales accusations contre la politique intérieure et extérieure du cardinal. Destiné à être communiqué à des hommes graves, ce document n’a nullement le ton grossier des pamphlets connus sous le nom de mazarinades ; c’est une véritable accusation politique. Comme on voulait gagner des hommes sincèrement religieux, qui, sans rien entendre au gouvernement des États, n’avaient cessé de combattre Richelieu et Mazarin, Chavigny enveloppa son attaque de formules dévotes. Il y montrait partout la main de la Providence, châtiant la France, et faisait de Mazarin un fléau de Dieu. On ne doit pas, d’ailleurs, oublier que Chavigny affectait une grande dévotion et était lié avec le parti janséniste. Je citerai quelques passages de ce manifeste, qui me paraît la plus sérieuse attaque qu’un contemporain ait dirigée contre le cardinal Mazarin. Il commence ainsi :

“ Les maux qui sont à présent dans la France et la ruine épouvantable dans laquelle ils la vont plonger, selon toutes les apparences, ne me permettent pas de me taire, et je me sens obligé de rompre le silence que j’avais résolu de garder toute ma vie, parce qu’il me semble qu’il serait criminel, et que je trahirais ma patrie, si je ne l’avertissais du misérable état auquel elle est et si je ne lui découvrais tout ce que je connais de la grandeur de son mal. Après que la reine eut violé le serment qu’elle avait fait sur les saints Évangiles, en présence du Parlement, des princes du sang et de tous les grands du royaume, d’observer exactement la volonté du défunt roi son mari portée par sa déclaration, et que le Parlement même eut autorisé une si manifeste infidélité, que l’interprétation de quelques hypocrites ne peut jamais excuser devant Dieu ni devant les hommes qui ont tant soit peu d’honneur et d’intelligence, Dieu ne fit pas éclater la colère qu’un éclat si étrange lui devait avoir fait naître. Il réserva la punition qu’il en devait faire dans le temps, et elle n’interrompit point le cours de sa miséricorde, dont la France ressentait les effets depuis longues années. Il se servit de M. le Prince, encore jeune et sans expérience, pour nous faire gagner la bataille de Rocroi, dont on le doit nommer véritablement le Dieu, parce que, s’il n’eût aveuglé les Espagnols, ils ne la pouvaient pas vraisemblablement perdre ; il nous fit prendre Thionville presque en même temps, et, jusqu’en 1648, il nous a donné quantité d’autres avantages, sous la conduite de M. le Prince et de M. le duc d’Orléans, dont la cause apparemment doit être référée à la piété du roi Louis xiii, à qui Dieu continuait ses récompenses, ou à quelque autre cause qu’il ne nous est pas permis de pénétrer. ” »


  1. Le 17 août, le roi, la reine et Monsieur quittent Compiègne et vont coucher à Senlis, où ils sont reçus par le duc de Saint-Simon, gouverneur du lieu (Levantal).

  2. Note de Chéruel :

    « Le ton de cette lettre […] donne un démenti éclatant au duc [Louis] de Saint-Simon, l’auteur des Mémoires si connus sur le règne de Louis xiv. Il prétend qu’à la mort de Louis xiii, en 1643, Chavigny enleva, par une fraude indigne, la charge de grand écuyer [v. note [29] des Deux Vies latines de Jean Héroard] à son père, Claude de Saint-Simon, pour la donner au comte d’Harcourt. “ À cette nouvelle, ajoute-t-il, on peut juger de l’indignation de mon père ; la reine lui était trop respectable, et Chavigny trop vil ; il envoya appeler le comte d’Harcourt. ” Si l’on ajoutait foi à ces assertions, il faudrait admettre que le duc Claude de Saint-Simon rompit, dès 1643, toute espèce de relations avec un homme qu’il jugeait trop vil pour assouvir sur lui sa vengeance. Loin de là, nous le verrons, dans des lettres autographes écrites en 1649, traiter Chavigny de frère, et déclarer qu’il est à lui avec passion. Je n’insisterai pas davantage sur cette erreur manifeste du duc de Saint-Simon, l’auteur des Mémoires. »

Le manifeste de Chavigny se poursuivait par d’autres rudes critiques de Mazarin : ses fourberies dans la discussion de la paix de Westphalie, qui desservirent finalement les intérêts de la France en ne mettant pas fin à sa guerre avec l’Espagne ; sa conduite à l’égard de Condé et son désir de le faire périr dans la guerre de Catalogne (échec du siège de Lerida en 1647, v. note [9], lettre 137).

Chéruel conclut son chapitre sur l’arrestation de Condé et sur le rôle que Chavigny joua dans ses suites (pages 56‑57) 

« Les gentilshommes dévoués à ce prince se réunissaient en foule à Paris, et tout annonçait une lutte formidable. Mazarin prévint le coup : le 18 janvier 1650, il fit arrêter au Louvre le prince de Condé, son frère le prince de Conti et son beau-frère le duc de Longueville. Cet acte de vigueur dispersa la faction des princes ; leurs partisans les plus dévoués se retirèrent dans les provinces et y renouvelèrent la guerre civile. Quant à Chavigny, gardant toujours son rôle de philosophe, il se retira dans ses terres et attendit que la délivrance des princes (1651) lui fournît une occasion de renouer ses intrigues. Le duc de Saint-Simon, qui voyait toutes ses prévisions démenties, se hâta de regagner son gouvernement de Blaye et écrivit à Mazarin pour lui offrir son épée. Le ministre ne fut pas dupe de ces démonstrations tardives, et l’on voit assez par la lettre qu’il répondit au duc de Saint-Simon, le 26 février 1650, que la fuite précipitée de ce personnage avait inspiré au ministre de justes soupçons :

“ Vous pouviez, lui écrivait Mazarin, changer la forme de ce départ et particulièrement dans la conjoncture présente, où il a donné matière au peuple de faire diverses spéculations et de craindre de mauvaises suites de la sortie de la cour d’une personne de votre qualité, sans avoir pris congé de Leurs Majestés. ”

Telle fut l’issue de l’intrigue ourdie en 1649 par Saint-Simon et Chavigny. Le premier s’était promptement rallié, comme on vient de le voir, au parti le plus fort. Le second ne tarda pas à reparaître sur la scène, où nous le retrouvons dirigeant la politique du parti des princes et considéré avec raison comme l’âme de leurs conseils. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 19 juin 1643, note 8.

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(Consulté le 29/03/2024)

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