À Charles Spon, le 10 avril 1654, note 8.
Note [8]

L’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, l’oncle du cardinal de Retz, était en effet mort le 21 mars, mais ce que disait ici Guy Patin des suites de l’événement était naïvement optimiste. Sans doute était-il trompé par la version des faits que la cour préféra alors faire circuler dans le public (Retz, Mémoires, page 1110) :

« Mon oncle mourut à quatre heures du matin ; à cinq, l’on prit possession de l’archevêché en mon nom avec une procuration de moi en très bonne forme ; et M. Le Tellier, qui vint à cinq et un quart dans l’église {a} pour s’y opposer de la part du roi, y eut la satisfaction d’entendre que l’on fulminait mes bulles dans le jubé. »


  1. Notre-Dame de Paris.

Retz avait prévu que, dès le décès connu, un délégué muni d’une procuration irait prendre possession en son nom de l’archevêché. La cour avait exigé de lui, avant toute prise de possession, un serment de fidélité, afin de pouvoir prétendre ensuite que son jurement n’était pas recevable puisqu’il était incarcéré pour refus de fidélité au roi. Elle se trouva prise de court. « On fulminait mes bulles dans le jubé » veut ici dire qu’on proclamait en chaire, malgré le roi et conformément au droit canonique, la prise de possession de l’archevêché par Retz (Bertière a). Après cette ironie, Retz poursuit (pages 1111‑1112) :

« Tout ce qui est surprenant émeut les peuples. Cette scène l’était au dernier point, n’y ayant rien de plus extraordinaire que l’assemblage de toutes les formalités nécessaires à une action de cette espèce, dans un temps où l’on ne croyait pas qu’il fût possible d’en observer une seule. Les curés {a} s’échauffèrent encore plus qu’à leur ordinaire ; mes amis soufflaient le feu ; les peuples ne voyaient plus leur archevêque ; le nonce, qui croyait avoir été doublement joué par la cour, parlait fort haut et menaçait de censures. Un petit livre fut mis au jour qui prouvait qu’il fallait fermer les églises. M. le cardinal eut peur et comme ses peurs allaient toujours à négocier, il négocia : il n’ignorait pas l’avantage que l’on trouve à négocier avec des gens qui ne sont point informés ; il croyait, la moitié des temps, que j’étais de ce nombre ; il le crut en celui-là, et il me fit jeter cent et cent vues de permutations, d’établissements, de gros clochers, de gouvernements, de retour dans les bonnes grâces du roi, de liaison solide avec le ministre. […]

L’on me donnait bien plus de liberté qu’à l’ordinaire ; l’on ne pouvait plus souffrir que je demeurasse dans ma chambre, pour peu qu’il fît un peu beau sur le donjon. {b} Je ne faisais pas semblant de faire {c} seulement réflexion sur ces changements, parce que je savais par mes amis le dessous des cartes. Ils me mandaient que je me tinsse couvert et que je ne m’ouvrisse en façon du monde {d} parce qu’ils étaient informés, à n’en pouvoir douter, que quand l’on viendrait à fondre la cloche, {e} l’on ne trouverait rien de solide, et que la cour ne songeait qu’à me faire expliquer sur la possibilité de ma démission, afin de refroidir et le clergé et le peuple. Je suivis ponctuellement l’instruction de mes amis, et au point que M. de Noailles, capitaine des gardes en quartier, m’étant venu trouver de la part du roi, et m’ayant fait un discours très éloigné de ses manières et de son inclination honnête et douce (car le Mazarin l’obligea de me parler en aga des janissaires beaucoup plus qu’en officier d’un roi chrétien), je le priai de trouver bon que je lui fisse ma réponse par écrit. Je ne me ressouviens pas des paroles, mais je sais bien qu’elle marquait un souverain mépris pour les menaces et pour les promesses, et une résolution inviolable de ne point quitter l’archevêché de Paris.

Je reçus dès le lendemain une lettre de mes amis, qui me marquaient l’effet admirable que ma réponse, qu’ils firent imprimer toute la nuit, avait fait dans les esprits, et qui me donnaient avis que M. le premier président de Bellièvre devait, le jour suivant, faire une seconde tentative. Il y vint effectivement et il m’offrit de la part du roi les abbayes de Saint-Lucien de Beauvais, de < Saint-Médard > de Soissons, de Saint-Germain d’Auxerre, de Barbeaux, de Saint-Martin de Pontoise, de Saint-Aubin d’Angers et d’Orkan, {f} “ pourvu, ajouta-t-il, que vous renonciez à l’archevêché de Paris et que… ” (il s’arrêta à ce mot, en me regardant et en me disant : “ jusqu’ici je vous ai parlé comme ambassadeur de bonne foi, je vais commencer à me moquer du Sicilien qui est assez sot pour m’employer à une proposition de cette sorte ”) ; “ et pourvu donc, continua-t-il, que vous me donniez douze de vos amis pour cautions que vous ratifierez votre démission dès le premier moment que vous serez en liberté. Ce n’est pas tout, ajouta-t-il, il faut que je sois de ces douze qui seront MM. de Retz, de Brissac, de Montrésor, de Caumartin, d’Hacqueville, etc. ” »


  1. Ceux de Paris, presque tous jansénistes et soutenant Retz qu’ils tenaient pour leur protecteur contre les jésuites influents de la cour.

  2. De Vincennes.

  3. Je faisais semblant de ne pas faire.

  4. En aucune façon.

  5. Terminer l’affaire.

  6. Ourscamp, v. notule {b}, note [8], lettre 249.

Le rapport des abbayes offertes par Mazarin à Retz représentait un total de 120 000 livres, soit presque le double de l’archevêché de Paris. Retz signa le 28 mars un acte de démission de l’archevêché de Paris, qui fut envoyé à Rome pour y être ratifié par le pape : « je dis à M. le premier président que l’expédient ne valait rien parce que le pape ne l’accepterait pas » (ibid. page 1115).

Retz fut transféré de Vincennes au château de Nantes le lundi 30 mars (lundi saint) « pour être remis en liberté aussitôt qu’il aurait plu à Sa Sainteté d’accepter ma démission ». Le maréchal de La Meilleraye et le premier président de Bellièvre (ibid. pages 1117-1119) :

« me vinrent prendre à Vincennes et ils me menèrent ensemble dans un carrosse du roi jusqu’au Port-à-l’Anglais. {a}

Comme le maréchal était tout estropié de la goutte, il ne put monter jusqu’à ma chambre, ce qui donna le temps à M. de Bellièvre, qui m’y vint prendre, de me dire en descendant les degrés, que je me gardasse bien de donner une parole que l’on m’allait demander. Le maréchal, que je trouvai au bas de l’escalier, me la demanda effectivement : de ne point me sauver. Je lui répondis que les prisonniers de guerre donnaient des paroles, mais que je n’avais jamais ouï dire que l’on en exigeât des prisonniers d’État. Le maréchal se mit en colère et il me dit nettement qu’il ne se chargerait donc pas de ma personne. M. de Bellièvre, qui n’avait pas pu, devant mon exempt, devant Pradelle {b} et devant mes gardes, s’expliquer avec moi du détail, prit la parole et il dit : “ Vous ne vous entendez pas ; M. le cardinal ne refuse pas de vous donner sa parole, si vous voulez vous y fier absolument et ne lui donner auprès de lui aucune garde ; mais si vous le gardez, Monsieur, à quoi vous servirait cette parole ? car tout homme que l’on garde est en quitte. ” {c}

Le premier président jouait à jeu sûr, car il savait que la reine avait fait promettre au maréchal qu’il me ferait toujours garder à vue. Il regarda M. de Bellièvre, et il lui dit : “ Vous savez si je puis faire ce que vous me proposez ; allons, continua-t-il en se tournant vers moi, il faut donc que je vous garde, mais ce sera d’une manière de laquelle vous ne vous plaindrez jamais. ”

Nous sortîmes ainsi, escortés des gendarmes, des chevau-légers et des mousquetaires du roi ; et les gardes de M. le cardinal Mazarin, qui, à mon opinion, n’eussent pas dû être de ce cortège, y parurent avec éclat.

Nous quittâmes le premier président au Port-à-l’Anglais et nous continuâmes notre route jusqu’à Beaugency où nous nous embarquâmes {d} après avoir changé d’escorte. La cavalerie retourna à Paris et Pradelle, qui avait pour enseigne Morel, […] se mit dans notre bateau, avec une compagnie du régiment des gardes qui suivait dans un autre. L’exempt, les gardes du corps, la compagnie du régiment me quittèrent le lendemain que je fus arrivé à Nantes, et je demeurai purement à la garde de M. le maréchal de La Meilleraye qui me tint parole, car l’on ne pouvait rien ajouter à la civilité avec laquelle il me garda. Tout le monde me voyait ; l’on me cherchait même tous les divertissements possibles ; j’avais presque tous les soirs la comédie. Toutes les dames de la ville s’y trouvaient, elles y soupaient souvent. »


  1. V. note [38], lettre 288.

  2. V. note [9], lettre 909.

  3. Retz, prisonnier, n’était donc pas lié par les engagements qu’il prenait. Il l’eût été si, en échange de sa parole, La Meilleraye avait renoncé à le faire garder ; dans le cas contraire, il en était quitte.

  4. Sur la Loire (v. note [7] du Borboniana 6 manuscrit).

Dans son transfert bien escorté, Retz passa par Chilly (aujourd’hui Chilly-Mazarin, dans l’Essonne, à 14 kilomètres au sud de Paris, à cause du duc Mazarin, Armand-Charles de La Meilleraye, qui y avait un château, hérité de sa mère). Tout ce manège pouvait difficilement passer pour une mise en liberté… La réponse du pape fut, comme prévu, un refus. Retz s’évada de sa prison de Nantes le 8 août suivant.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 avril 1654, note 8.

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(Consulté le 19/04/2024)

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