À André Falconet, le 9 mars 1661, note 8.
Note [8]

Lors de sa conception en 1661 par Mazarin, {a} le Collège dit des Quatre-Nations était destiné à assurer l’instruction gratuite de 60 gentilshommes originaires des quatre territoires rattachés à la Couronne de France par les traités de Westphalie et des Pyrénées, en Flandre, Alsace, Italie et Catalogne (v. infra seconde notule {h}).

Cette dénomination peut engendrer une certaine confusion anachronique : comme Guy Patin le dit plus loin dans sa lettre, ces nouvelles nations étaient homonymes mais tout à fait distinctes des quatre « provinces » primitives ou traditionnelles nations de l’Université de Paris (Universitas Parisiensis), créée au tout début du xiiie s. Ladite institution accueillit rapidement un si grand nombre d’étudiants qu’il fallut multiplier ses collèges et y établir des divisions (Maurice Raynaud, pages 8‑9) :

« On les partagea d’après leur origine en quatre nations : la Nation de France (honoranda Gallorum Natio), {b} la Nation de Picardie (fidelissima Picardorum Natio), {c} la Nation de Normandie (veneranda Normanorum Natio), {d} et la Nation d’Angleterre qui, plus tard, prit le nom de Nation d’Allemagne (constantissima Germanorum Natio). {e} Les Quatre-Nations, qui dans l’origine comprenaient la totalité des étudiants, composèrent dans la suite et exclusivement la Faculté des arts, qui conserva toujours le privilège de fournir le recteur de l’Université. {f} […]

Le partage plus méthodique de l’Université en facultés distinctes date de la fin du xiie s. Ces facultés, établies d’après le genre d’études auquel elles se livraient, formèrent des compagnies indépendantes, mais rattachées, comme les branches au tronc, à l’Université, leur mère commune. La Faculté des arts (avec ses quatre nations) et la Faculté de théologie {g} furent les premières constituées. Plus tard, se formèrent celles de droit et de médecine. » {h}


  1. V. note [1], lettre 480, pour la déclaration fondatrice de son Collège.

  2. « l’honorable Nation de France ».

  3. « la très fidèle Nation de Picardie ».

  4. « la vénérable Nation de Normandie ».

  5. « la très constante Nation d’Allemagne ».

  6. V. note [3], lettre 595. La plupart des assemblées de l’Université se tenaient dans le Collège où régentait et résidait le recteur. Les doyens des trois facultés et les procureurs des quatre nations s’y réunissaient sous sa présidence.

    Primitivement, c’est-à-dire dans les premières années du xiiie s., l’Université de Paris se limitait à ce qui devint quelques décennies plus tard la Faculté des arts, et se consacrait à l’enseignement des sept arts libéraux : grammaire, rhétorique, dialectique, arithmétique, astrologie, géométrie et musique. L’art de soigner s’y est, semble-t-il, ajouté en 1213, sous le nom de physica, puis de medicina.

  7. Sacra Theologiæ Facultas, ou Sorbonne proprement dite (v. note [5], lettre 19).

  8. Wickersheimer (introduction pages xii‑xiii) date du milieu du xiiie s. l’individualisation quasi simultanée des quatre facultés composant l’Université de Paris : théologie, droit canon, médecine et arts. Toutes respectaient initialement le découpage en nations ; mais au xviie s., il ne subsistait que dans la Faculté des arts.

    La Faculté de médecine a été fondée vers 1250 sous le nom de Saluberrima Medicorum Facultas [très salubre Faculté des médecins].

    L’enseignement structuré du droit civil (laïque) à Paris (Consultissima Facultas Decretorum [très avisée Faculté de décret]) avait débuté dans certains collèges au moins deux siècles avant la fondation de l’Université ; mais le pape Honorius iii y avait aussitôt interdit l’étude du droit romain ; celle du droit canon y demeura seule autorisée, assurée par la Sorbonne, dont le principal enseignement était la théologie.


Avant la création des Quatre-Nations, la Faculté des arts comptait déjà une cinquantaine de collèges parisiens diversement appelés (nom de la ville de province ou du pays qui l’avait créé, ou de son fondateur). On y enseignait les disciplines élémentaires (v. supra notule {e}). Elle ne délivrait pas de doctorat : son cursus de deux ans était couronné par la maîtrise ès arts qui permettait l’inscription dans l’une des trois autres facultés parisiennes dites supérieures (théologie, droit canon et médecine), qui existaient au temps de Patin.

Contrairement à ses trois « sœurs », la Faculté des arts n’avait pas de doyen : elle était régie par les procureurs (procuratores) de chacune des quatre nations (v. note [27] des Décrets et assemblées de la Faculté de médecine en 1650‑1651 pour la distinction existant entre leurs fonctions et celles du procureur fiscal de l’Université).

Comme sa plus ancienne composante, la Faculté des arts dirigeait l’Université, et les trois autres, bien que qualifiées de « majeures », lui étaient subordonnées. La Partie des pièces et actes qui concernent l’état présent et ancien de l’Université de Paris… (Paris, 1653, v. note [3] du Procès opposant Jean Chartier à Guy Patin) contient une pièce de 84 pages dont le titre résume à lui seul le gouvernement de l’Université (Gallica) :

« Actes de plusieurs processions de l’Université de Paris, par lesquels il se voit qu’en ses assemblées générales, tant ordinaires qu’extraordinaires, aussi bien qu’en celles qui se font par députés, Monsieur le recteur, qui en est le chef, préside, et Messieurs les trois doyens des facultés de théologie, droit canon et médecine, et les quatre procureurs des nations de France, Picardie, Normandie et Allemagne délibèrent, et ont droit de suffrages au nom des dites trois facultés et quatre nations ; lesquelles quatre nations ont composé seules ladite Université jusqu’à ce que les docteurs de théologie, droit canon et médecine aient formé des corps considérables, qui ont été ajoutés par succession de temps à ces quatre nations et ont augmenté le nombre des suffrages aux assemblées de ladite Université, comme plusieurs des actes concernant la fondation des dites Université et facultés, et plusieurs droits et prérogatives de la Faculté des arts et des dites quatre nations démontrent évidemment. »

César Egasse Du Boulay a conclu son Factum de 1668 sur l’Université de Paris par cette éloquente envolée (Du Boulay a, page 167) :

« Il est maintenant aisé d’inférer de tout ce discours que la Faculté des arts, composée des quatre nations, est à bon droit appelée la Bonne Mère, Alma Mater, comme autre fois la déesse Cérès, {a} Alma Parens, parce qu’elle a toujours fait subsister l’Université, et qu’elle s’est pour ainsi dire dépouillée de son propre pour en revêtir le public. »


  1. V. note [18], lettre 539), pour Cérès, déesse romaine de l’agriculture nourricière (alma en latin).

Pour en revenir au propos de Patin et en m’autorisant un bond en avant de quinze ans dans le temps, les Res gestæ in Academia Parisiensi [Affaires de l’Université de Paris] pour l’année 1674-1675, écrites par le doyen Antoine-Jean Morand {a} dans les Comment. F.M.P. (tome xv, pages 804‑806), contiennent l’acte d’ouverture du nouveau Collège des Quatre-Nations : {b}

Die mercurii 21. novembris hora ipsa post meridiem prima extraordinariis in comitiis deliberatum est, utrum Collegium Mazarinæum in Societatem Academicam suscipiendum esset et quibus conditionibus, tum quibus armis eiiciendi essent Magistelli seu fuci qui omnes agri Parisini regiones suis examinibus occuparunt. Lectus est hic libellus supplex Academiæ porrectus a Procuratoribus mandatorum supremorum Cardinalis Mazarini. {c}

« À Messieurs les recteur, doyens procureurs et suppôts de l’Université de Paris,

Messire Guillaume de Lamoignon, chevalier seigneur de Baville et autres lieux, conseiller du roi en ses conseils et premier président en sa Cour du Parlement de Paris, {d} Messire Michel le Tellier, {e} chevalier seigneur de Chaville conseiller du roi en tous ses conseils, secrétaire d’État et des commandements de Sa Majesté, et Maître Jean-Baptiste Colbert chevalier marquis de Seignelay conseiller du roi en tous ses conseils, commandeur et grand trésorier de ses ordres, secrétaire d’État et des commandements de Sa Majesté, {f} tous exécuteurs de la fondation du collège, église et bibliothèque de feu Monsieur le cardinal Mazarin, vous remontrent {g} que ledit seigneur cardinal ayant fait dessein d’employer une somme considérable en des œuvres de piété et charité, il se serait enfin déterminé, sous le bon plaisir du roi, à fonder un collège en cette ville de Paris, où seraient instruits un certain nombre d’enfants de gentilshommes ou des principaux bourgeois natifs de Pignerol et vallées circonvoisines, de l’État ecclésiastique en Italie, des provinces d’Alsace et autres pays d’Allemagne contigus, de Flandre, d’Artois et Hainaut, du Luxembourg, de Roussillon, de Conflent, de Cerdagne ; {h} afin d’affermir et lier au service de Sa Majesté lesdites provinces, ou nouvellement réunies ou retrournées sous Sa puissance, et apprendre aux enfants originaires d’icelles les véritables sentiments du christianisme, la pureté de la religion, la conduite des mœurs et les règles de la discipline, pour, après avoir pris leur éducation en France, s’en retourner en leur pays et, par leur exemple, en exciter d’autres à venir successivement recevoir les mêmes instructions et les mêmes sentiments ; et ainsi faire devenir toutes les provinces françaises par leur propre inclination, aussi bien qu’elles le sont maintenant par la domination de Sa Majesté ; et parce qu’il {i} était persuadé que l’Université de Paris est la mère de toutes les autres, et la source de toute piété et érudition, il aurait souhaité que ledit Collège fût un de ses membres et jouît des mêmes privilèges et avantages en commun, outre ceux qu’il plairait à Sa Majesté lui attribuer en particulier. Sur quoi Sa Majesté lui aurait accordé ses lettres patentes pour être enregistées ès Cour de Parlement et Chambre des comptes. Et comme ledit Collège est maintenant en tel état qu’on y peut faire l’ouverture des classes et commencer l’exercice des lettres auquel il est destiné, ils {j} requièrent qu’il vous plaise, Messieurs, l’incorporer à la manière accoutumée, et le mettre sous votre direction et discipline pour le faire jouir des mêmes privilèges, droits et avantages dont jouissent les autres collèges. Signé Mariage. »

Libello supplice diligenter lecto et perspecto statutum est aggregandum esse illud collegium iis conditionibus nempe ut 1o illi unicus præfectus imperaret, 2o ab eo gladiatores, tibicines, saltatores et histriones exularent, 3o huius collegii statuta Academiæ daretur examinanda, 4o illius neque Præfecti neque Professores tabellariorum vectigalis participes essent, 5o  Præfecti et Professores eligerentur ex omnibus ordinibus non vero tantum ex sorbonicis baccalaureis, 6o Theatini aut quilibet alii monachi ab huius collegii numeribus arcerentur, 7o  in eo collegio gratis minime doceretur. Quas conditiones typis mandari et unicuique ordini examinandas exhiberi antequam super ea re quisquam definiretur decretum ut omnibus perpensis deliberationibus consideratis consilium caperetur. Iisdem in comitiis constitutum est totis viribus enitendum esse ut pædagogi numerosi qui repente tanquam fungi ex omnibus urbis regionibus erumpunt eiicerentur. {k}


  1. Reçu docteur régent en 1658, fils d’Antoine Morand (v. note [11], lettre 748).

  2. Toutes les pièce ici exhumées évitent cette appellation, pour ne parler que du « Collège mazarin » : il convenait d’éviter toute confusion avec les « quatre nations » (France, Picardie, Normandie, Angleterre puis Allemagne) qui étaient le nom coutumier de l’Université de Paris ; mais la suite de l’histoire en a décidé autrement.

  3. « L’assemblée extraordinaire du mercredi 21e de novembre, {i} à une heure de l’après-midi, a délibéré sur l’admission du Collège mazarin dans la Société académique {ii} et sur ses conditions, puis sur les moyens à employer pour chasser du territoire de Paris les petits maîtres ou guêpes {iii} dont les essaims l’ont partout envahi. A été lue cette requête que les exécuteurs des dernières volontés du cardinal Mazarin ont présentée à l’Université. »

    1. 1674.

    2. L’Université de Paris.

    3. Guêpe (Académie) : « grosse mouche presque semblable à une abeille, qui a un aiguillon et qui fait de mauvais miel. »
  4. V. note [43], lettre 488.

  5. Secrétaire d’État à la Guerre, v. note [89], lettre 166.

  6. Secrétaire d’État à la Marine et à la Maison du roi, v. note [26], lettre 544.

  7. Remontrer se dit « d’un supérieur à un inferieur, quand il l’avertit doucement de son devoir » (Furetière) ; soit une élégante manière de rappeler à l’Université que son indépendance ne l’exemptait pas de l’obéissance au roi.

  8. Conflent et Cerdagne étaient deux vigueries (juridictions) catalanes que le traité des Pyrénées avait rattachées à la France. Les autres régions mentionnées étaient des conquêtes ou alliées récentes de la Couronne.

  9. Mazarin.

  10. Les trois éminents personnages nommés au début de la requête.

  11. « Après lecture et soigneux examen de la requête, il a été décidé d’agréger ce Collège aux conditions suivantes : 1. qu’il soit dirigé par un unique principal ; 2. qu’en soient bannis bretteurs, musiciens, danseurs et comédiens ; 3. que les statuts de ce Collège soient soumis à l’examen de la Faculté ; 4. que ses régents et professeurs soient exemptés des taxes notariales ; 5. que régents et professeurs en soient choisis dans toutes les facultés, et pas seulement parmi les bacheliers de Sorbonne ; {i} 6. que théatins et toute autre sorte de moines soient tenus à l’écart du Collège ; {ii} 7. qu’à tout le moins, on y enseigne gratuitement. Ces conditions seront imprimées et soumises à l’examen de chaque Faculté avant qu’aucun décret ne soit prononcé en cette matière, afin que la décision en soit prise une fois que toutes leurs délibérations mûrement réfléchies auront été prises en compte. {iii} Au cours de la même assemblée, il a été arrêté que tous les maîtres unissent leurs efforts pour que soient chassés les très nombreux pédagogues qui jaillissent soudainement comme des champignons dans tous les quartiers de la capitale. » {iv}

    1. Clause visant à préserver les intérêts de la Faculté des arts.

    2. En 1644, Mazarin avait installé les théatins à Paris, dans un couvent proche du futur Collège des Quatre-Nations (v. note [19], lettre 282). L’Université était très imprégnée de gallicanisme (richérisme, v. note [27], lettre 337) et voulait éviter que le clergé soumis à l’autorité directement soumis à l’autorité du pape (moines et jésuites) prît part à ses enseignements.

    3. La Faculté de médecine a délibéré sur le sujet lors de son assemblée du mardi 27 novembre 1674 (ibid. page 771) :

      Censuit saluberrima Facultas in sinum eius hoc esse suscipiendum, si modo ad Academiæ normam eius leges prius conderetur, nec in eo Theologia, Jurisprudentia nec Medicina docerentur, Theatini aut eiusmodi semper ab eius numeribus arcerentur, id quater in anno more solito lustraretur et non secus ac cætera collegia regeretur, omni denique diligentia caveretur ne Academiæ statuta et instituta violarentur et sic cum eâ conlusit A.J. Morand Decanus.

      [La très salubre Faculté a décidé que ce Collège soit admis dans le sein de l’Université aux conditions, d’abord, que son règlement se conforme à celui de l’Université ; que ni la théologie, ni le droit, ni la médecine n’y soient enseignées ; que les théatins et leurs semblables soient exclus de ses bancs ; que tout cela soit examiné quatre fois l’an, selon la coutume ; qu’elle ne soit pas dirigée autrement que les autres collèges ; et enfin, qu’elle soit diligemment mise en garde de ne pas violer les statuts et réglements de l’Université. Ainsi le doyen, A.J. Morand, en a-t-il conclu sur ce sujet].

      L’Université a définitivement statué en janvier 1675 après quelques atermoiements (ibid. page 806) :

      Die 23. Januarii indicta fuerant comitia hora 10. matutina ad silligandum instrumentum cooptationis collegii Mazarinæi sed quod instrumento deesset aliquid, hac die obsignari non potuit nec die 27. eiusdem mensis quo in hunc finem habitus est extrarordinarius conventus cum illud prorsus descriptum non esset. Die tandem 28. Januarii 1675. in comitis quæ propterea inducta sunt, mane consociationis collegii Mazarinæi res iis conditionibus quæ ab unoquoque ordine constitutæ fuerant tandem confecta est.

      [Est passée sous silence l’assemblée du 23e de janvier, à 10 heures du matin, qui était destinée à sceller le brevet de la cooptation du Collège mazarin, mais parce qu’il manquait quelque chose à ce document, il n’a pas été possible de le signer ce jour-là ; non plus qu’à la réunion extraordinaire qui s’est tenue à cette fin le 27e du même mois, qui n’a donc pas été plus amplement décrite. Enfin, lors de l’assemblée réunie le matin du 28e de janvier, a été consacrée l’association du Collège mazarin à l’Université, aux conditions qui avaient été établies par chacune des facultés].

    4. Liée à la précédente, cette décision montre que l’Université veillait soigneusement à préserver la compétence et la qualité des maîtres qui enseignaient dans tous ses collèges.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 9 mars 1661, note 8.

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(Consulté le 28/03/2024)

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