À André Falconet, le 14 février 1662, note 8.
Note [8]

« et quelque défectuosité dans la substance du poumon, qui n’est rien d’autre que cette putréfaction remarquable et si fameuse, qui provoque l’oppression mortelle et que Fernel a parfaitement décrite, comme peu l’ont fait après lui, et comme nul ne l’avait fait avant lui. »

Chapitre xii (Les Maux de cœur) du livre v (Des Maladies et symptômes de chaque partie ; pages 389‑390) de la Pathologie de Jean Fernel (v. note [1], lettre 36) :

« La palpitation du cœur {a} est une concussion immodérée, qui se rend fâcheuse par la véhémence du diastolé et systolé. {b} La violence en est telle que souvent on l’a vue rompre les côtes voisines du thorax ; et même quelquefois sortir de leur place celles qui sont au-dessus de la mamelle ; quelquefois aussi dilater l’artère en dehors et en faire un anévrisme {c} aussi gros que le poing, où le battement paraissait au doigt et à l’œil. Et de fait, le cœur étant affecté de la sorte, toutes les artères battent plus fort et souvent se dilatent, principalement celles qui sont sur la gorge. Ce symptôme se relâche quelquefois, et surtout quand on est en repos ; mais il s’irrite grandement par l’exercice immodéré, par le chaud, par les bains, par les actions vénériennes, par la crapule, {d} par l’usage du vin trop fort et par la fâcherie. Les Anciens en ont rapporté la cause ou à l’abondance du sang, ou à une humeur fort copieuse enclose sous le péricarde. Au reste, en ceux que j’ai tantôt cités pour exemples, la palpitation vint d’une bile brûlée, laquelle ayant autrefois accoutumé d’être évacuée, se répandit dans les artères. Nous la remarquâmes en deux qui moururent subitement, après avoir beaucoup joué à la paume, coagulée comme un tophe {e} noir. Et en tous les autres nous avons reconnu que cette cause était une bile grandement brûlée, quelquefois amassée dans les entrailles, et le plus souvent dans la rate. C’est pourquoi ceux qui sont travaillés de mélancolie hypocondriaque et ceux qui ont la rate enflée par une abondance de bile noire sont fort sujets à ce symptôme. »


  1. V. note [5] de l’observation viii.

  2. De la diastole et de la systole : relâchement et contraction alternantes du cœur, transmis aux artères (pouls).

  3. V. note [4], lettre 423.

  4. L’ivrognerie.

  5. Petite concrétion calcaire.

Ce que Fernel décrivait correspondait sans doute aux anévrismes de l’aorte thoracique ascendante (de cause syphilitique, ou autre) ; mais dans le cas que commentait ici Guy Patin, on peut évoquer deux autres diagnostics modernes, selon la manière dont on interprète « les vaisseaux du cœur » : s’il s’agissait des artères coronaires (qui irriguent le cœur), on pense à une thrombose coronaire avec infarctus myocardique massif et insuffisance aiguë du ventricule gauche, responsable d’œdème pulmonaire ; s’il s’agissait, comme c’est plus probable (v. infra note [10]), des artères pulmonaires (qui émanent du ventricule droit), on évoque une embolie pulmonaire avec infarctus du poumon.

Ayant jadis été spécialisé dans l’étude des maladies vasculaires, dont l’expression la plus commune aujourd’hui est la maladie coronaire (obstruction des artères du cœur par l’athérosclérose), j’ai recherché avec la plus grande attention les évocations que j’ai pu en trouver dans la correspondance de Patin et dans les nombreux ouvrages médicaux auxquels elle se réfère. En décembre 2021, grâce aux remarquables Observationes de Johann Jakob Wepfer (1658 et 1727), je me suis convaincu qu’elle n’intéressait guère les médecins du xviie s., mais qu’elle existait bel et bien car elle a été très expressivement décrite et illustrée en 1695 (v. note [7], lettre 610). Avant que ne fût admise la circulation du sang, au milieu du xviie s., les médecins n’ont pas prêté attention aux artères et à leurs maladies car ils n’en avaient pas compris la fonction vitale.

William Harvey a logiquement été le premier à décrire fidèlement les symptômes et les conséquences de la maladie coronaire, dans son second Exercitatio Anatomica de Circulatione sanguinis ad Ioannem Riolanum [Essai anatomique sur la circulation du sang, adressé à Jean ii Riolan] : {a}

Vir nobilis Eques Auratus Dominus Robertus Darcy, progener doctissimi viri, et mihi amicissimi Medici celeberrimi Doctoris Argent : cum erat consistente ætate, sæpe de dolore quodam pectoris oppressivo, conquestus est ; præcipue nocturno tempore, ita ut quandoque lipothymiam, quandoque suffocationem a paroxysmo metuens, vitam inquietam et anxiam degebat, multa incassum tentavit, omnium medicorum consiliis usus, tandem ingravescente morbo, cachecticus et hydropicus sit, et ultimo, in uno parxysmo vehementer oppressus, obiit. In hujus cadavere, (præsente D. Doctore Argent, qui tunc temporis præsidens Collegii medicorum erat, et D.D. Gorge, Theologo et prædicatore egregio, qui illius parochii pastor fuit,) ex impedito transitu sanguinis, de sinistro ventriculo in arterias, paries ipsius vetriculi sinistri cordis (qui satis crassus et robustus cernitur) disruptus et perforatus amplo hiatu sanguinem effundebat ; erat enim foramen tantæ magnitudinis, ut facile aliquem ex meis digitis reciperet.

Alium virum cordatum novi, qui præ ira et indignatione ob acceptam injuriam a potentiori et illatam contumeliam, adeo æstuans exardescebat, ut auctis ira et odio in dies (ob inhibitam vindictam) et animi passione vehementi, quo maxime exulceratus erat, nemini patefacto, tandem in mirum genus morbi incidit, summaque oppressione et dolore cordis et pectoris misere conflictabatur, ut nullis adhibitis experimentissimorum Medicorum auxiliis proficientibus, in scorbuticam tandem post aliquot annos cachexiam incidens, contabuerit et mortuus fuerit.

Huic tantummodo aliquid solaminis accidit, quoties et quamdiu, tota pectoris regio, a fortissimo viro comprimeretur et (sicut pistor panem subigit) depsaretur et tunderetur. Amici ipsum veneficio, a maleficia affectum putabant, aut cacodemone obsessum.

[Le noble seigneur Robert Darcy, chevalier de l’éperon d’or, {b} était marié à une petite-fille de mon grand ami, le très savant M. Argent, fort célèbre docteur en médecine. {c} Étant à la fleur de l’âge, il devint souvent sujet à une douleur oppressante de la poitrine, {d} survenant principalement la nuit ; {e} tant et si bien que, craignant tantôt une lipothymie, {f} tantôt une suffocation {g} lors d’une crise, il menait une vie anxieuse et inquiète. Il recourut en vain aux avis de tous les médecins, mais le mal s’aggravant, il devint cachectique et hydropique, {h} et mourut finalement, étouffé par un violent accès. À l’ouverture du cadavre (en présence de M. Argent, docteur, qui présidait alors le Collège des médecins, {i} et de M. Gorge, éminent théologien et prédicateur, qui était pasteur de la paroisse du défunt), on trouva que, du fait que le passage du sang depuis le ventricule gauche dans les artères était contrarié, la paroi même du dit ventricule (qui se distingue par son épaisseur et sa robustesse) s’était perforée et rompue, et que le sang s’était répandu par cet orifice, dont la taille était telle qu’elle admettait facilement l’un de mes doigts. {j}

J’ai connu un autre homme qui, pourtant avisé, écumait de colère et d’indignation, depuis un insultant affront qu’un plus puissant que lui avait commis à son encontre. Sa rage et sa haine s’accroissaient de jour en jour (car il était dans l’incapacité de se venger), et la véhémente passion de son esprit l’ulcérait d’autant plus profondément qu’il ne pouvait s’en ouvrir à personne. Elles devinrent telles qu’il finit par tomber dans une étonnante maladie : le malheureux était assailli d’une oppression extrêmement douloureuse de la poitrine et du cœur ; les secours que lui procurèrent les médecins les plus aguerris n’ayant aucun effet, il sombra enfin, après quelques années, dans une cachexie scorbutique, {k} dont il dépérit et mourut.

Il trouvait seulement quelque soulagement temporaire chaque fois qu’un homme très vigoureux lui comprimait, malaxait (à la manière d’un boulanger qui pétrit sa pâte) et écrasait toute la région de la poitrine. Ses amis le croyaient empoisonné par un maléfice ou assailli par un mauvais démon]. {l}


  1. Rotterdam, 1649 (v. note [1], lettre latine 45), pages 98‑101.

  2. V. notule {c}, note [14], lettre 587.

  3. John Argent (mort en 1643) avait été reçu docteur en médecine de l’Université de Cambridge en 1597.

  4. Harvey décrivait exactement ce qu’on appelle aujourd’hui une angine de poitrine, angina pecoris ou « angor » : le verbe latin angere, « serrer », est en partie synonyme d’opprimere, « oppresser ».

  5. Angor dit de décubitus, survenant au repos (et non uniquement à l’effort), qui marque un stade avancé ou immédiatement grave (syndrome dit de menace) de la maladie coronaire.

  6. Évanouissement (v. note [10] de la Consultation 13), voire une syncope (v. note [14], lettre 554).

  7. Par œdème pulmonaire (orthopnée, v. note [35], lettre 216).

  8. Cachexie (phtisie, v. note [3], lettre 66) et hydropisie (v. note [12], lettre 8) caractérisent l’insuffisance cardiaque très avancée (terminale).

  9. Le Royal College of Physicians (RCP) a été fondé à Londres en 1518 ; William Harvey en avait été nommé membre (fellow) en 1607 ; Argent l’a présidé en 1625-1627 et 1629-1633. Ces dates permettent de supposer que Robert Darcy, époux d’une petite-fille de Dargent, dut mourir avant d’avoir atteint la quarantaine.

  10. En imaginant un obstacle à l’éjection du ventricule gauche, Harvey n’a pas poussé son admirable génie jusqu’à invoquer la nécrose du myocarde, provoquée par une interruption subite de son irrigation sanguine (ischémie). Un infarctus cardiaque massif est en effet la cause quasi exclusive de la rupture spontanée (non traumatique) du ventricule gauche : elle entraîne un décès instantané par hémopéricarde aigu ; la notule {a} de la note [15], lettre 554, en procure un exemple observé en 1619 par Nicolas-Abraham de La Framboisière.

  11. La référence au scorbut (v. note [4], lettre 427) n’est pas spécifique, mais veut seulement marquer la gravité de la cachexie (dont l’origine était manifestement cardiaque).

  12. À l’autopsie de ce malade, Harvey lui trouva un cœur si dilaté qu’il avait la taille de celui d’un bœuf. On déplore que, dans les deux cas, il n’ait apparemment pas eu la curiosité de disséquer les artères coronaires.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 14 février 1662, note 8.

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(Consulté le 25/04/2024)

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