À Charles Spon, le 21 novembre 1651, note 9.
Note [9]

Ce passage se trouve aux pages 475‑479 de La royale Couronne des rois d’Arles… (Avignon, 1641, v. note [4], lettre 268) :

« Les juifs se voyant grandement haïs en France et que le roi Louis xi les avait chassés de son royaume avant qu’il fût comte de Provence [1481], et qu’ils étaient menacés du même exil, écrivirent une lettre aux juifs de Constantinople, leur demandant conseil de ce qu’ils avaient à faire. La copie de cette lettre a été fidèlement tirée sur une vieille copie d’archives d’une des plus fameuses abbayes de Provence, laquelle j’ai trouvé à propos d’insérer dans ce discours à cause de la curiosité.

Lettre des juifs d’Arles envoyée au juifs de Constantinople.

“ Honorables Iuzious, salut et graci. Devez saber que lou rey de Franzo que a de nouveau agut lou païs de la Provenzo à fach cri public de nos mettre crestians vo de quita ses terrous : et los d’Arlé, d’Aix, et de Marzeillo vuolon prendré nostras bens, nos menazon de la vida, arrouynon nostras Sinagogas, et nos san pron de troublez, so qué nos ten confus de zo que deven fairé per la ley de Mozen : quez la cauzo que vos pregan de voulé lagiamen noz manda zo que deven fairé. {a} Chamorre, rabbin des juzious d’Arlé lou 13e de Sabath 1489. ”

Ceux de Constantinople firent tôt réponse, mais ce ne fut pas en langue hébraïque ni provençale, mais en espagnol, car ce langage était fort bien entendu en ce temps, vu que le roi René et ses devanciers étaient comtes de Barcelone, voisins des Espagnols ; laquelle trouvée ensuite de l’autre j’ai insérée à son langage naturel. […] J’ai trouvé à propos de traduire cette réponse à notre langage français pour mieux donner à connaître la malice de cette nation.

Réponse [des juifs de Constantinople à ceux d’Arles et de Provence].

“ Bien-aimés frères en Moïse, nous avons reçu votre lettre par laquelle vous nous signifiez les traverses et infortunes que pâtissez (le ressentiment desquelles nous a autant touchés qu’à vous autres), mais l’avis des plus grands rabbins et satrapes de notre loi est tel que s’ensuit.

Vous dites que le roi de France veut que vous soyez chrétiens : faites-le puisqu’autrement ne pouvez faire, mais gardez toujours la souvenance de Moïse dans le cœur.

Vous dites qu’on veut prendre vos biens : faites vos enfants marchands et par le moyen du trafic, vous aurez peu à peu tout le leur.

Vous vous plaignez qu’ils tentent contre vos vies : faites vos enfants médecins et apothicaires, qui leur feront perdre la leur sans crainte de punition.

À ce que dites qu’ils détruisent vos synagogues : tâchez que vos enfants viennent chanoines et clercs pour ce qu’ils ruineront leur Église.

Et à ce que dites que supportez des grandes vexations : faites vos enfants avocats, notaires et gens qui soient d’ordinaire occupés aux affaires publiques ; et par ce moyen, vous dominerez les chrétiens, gagnerez leurs terres et vous vengerez d’eux. Ne vous écartez point de l’ordre que nous vous donnons car vous verrez par expérience que d’abaissés que vous êtes, vous serez grandement élevés.

V.S.S.V.S.F.F. prince des juifs de Constantinople, le 21e décembre 1489. ”

Non sans cause, les juifs furent bannis de la France et de partie des Allemagnes car en l’année 1474, ils furent convaincus d’avoir crucifié un petit enfant chrétien de l’âge de 26 mois, en dérision de la Passion de Jésus-Christ, dans la ville de Trente, et un autre à Venise l’an 1477 ; de quoi plusieurs furent exécutés et le pape Sixte iv mit cet enfant qui s’appelait Simon au nombre des saints martyrs. »


  1. « Salut et grâces à vous, honorables juifs. Vous devez savoir que le roi de France, qui est de nouveau maître du pays de Provence, a fait cri public de nous faire chrétiens ou de quitter ses terres ; et ceux d’Arles, d’Aix et de Marseille veulent prendre nos biens, menacent nos vies, ruinent nos synagogues et nous causent beaucoup de vexations ; ce qui nous rend incertains sur ce que nous devons faire selon la loi de Moïse. Voilà pourquoi nous vous prions de vouloir sagement nous mander ce que nous devons faire. »

Les deux lettres que Jean-Baptiste Bovis a transcrites ont servi d’argument principal à Emmanuel Chabauty, chanoine honoraire d’Angoulême et de Poitiers, théoricien du complot judéo-maçonnique, pour son pamphlet antisémite intitulé Les Juifs, nos maîtres ! Documents et développements nouveaux sur la question juive (Paris, Société générale de librairie catholique, 1882).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 novembre 1651, note 9.

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(Consulté le 20/04/2024)

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