Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1, note 9.
Note [9]

Les deux attaques de Gerardus Johannes Vossius se lisent dans le Benigno Lectori Salutem [Salut au bienveillant lecteur], de Leyde, le 2 juin 1627) de ses de Historicis Latinis libri iii [Trois livres sur les historiens latins] (Leyde, 1651, v. note [6], lettre 162).

  1. Contre la méchanceté de Joseph Scaliger à l’égard de François Du Jon (pages **2 ro‑vo) :

    Sane ingenium viri, et diffusissimam eruditionem multi facilius carpent, quam æmulabuntur. Et quibusdam obstrigillantibus, non deerunt toto orbe viri docti, et clari, qui debito eum præconio ornent. Qualem mox ab excessu suo habuit etiam maximum virum, vereque literarum principem, Iosephum Scaligerum : qui versibus hisce defuncto parentavit :

    Iuni, quem modo literis potentem,
    Pleni Gymnasii frequente cœtu,
    Cingebat docilis corona pubis
    Docto pendula disserentis ore :
    At nunc, ô series iniqua rerum,
    Tactus sidere pestilentis auræ
    Sol pallentibus occidis tenebris !
    Te mœrens schola fiet suum magistrum,
    Orba Ecclesia te suum parentem,
    Doctorem gemit orbis universus.
    Flent, flent ; non uti vulgus imperitus,
    Quem morbus docet ipse, quid valere est.
    Quanti est filius, orbitate discit,
    Qui nec denique quid potitus olim est,
    Sed quid perdiderit, solet putare.
    In te longe alia est vicissitudo :
    Nec quantus fueris, carendo discit,
    Qui vivi meritum æstimavit olim.
    Et nunc conscia publicæ querelæ
    Postquam tristia te tulere fata,
    Et clarum jubar abstulere mundo,
    Nos quid perdidimus, quid et dolendum est,
    Non scimus magis, at magis dolemus.

    Hæc Scaliger de defuncto, quo tempore nec gratiæ aucupium stimularet, ut nimis efferret Iunium : nec æmulatio, vel ullus in studiis dissensus, in caussa esse poterat ut detractum ei quicquam vellet. Hæc idem, ut versiculis suis ipse subscripsit, in lectulo duabus post mediam noctem horis : quando mens humana, si unquam, sua esse solet, nec affectibus abripitur. Hæc ille, cum pestilentia in Academia Lugdunensi intra mensem unum summos duos viros, Iunium, ac Trelcatium, abstulisset : ac porro strages tantas tota faceret Batavia : quæ mortalitatis cogitatio non patiebatur Scaligero tum quicquam nisi sincerum, ex ore, vel calamo exire. Quid quod scimus apud liberos defuncti, atque alios, longe etiam majoribus elogiis extulisse omnigenam illam Iunii, ac imprimis rerum sacrarum scientiam ?

    [Quantité de gens trouveront vraiment plus facile de déchirer son génie et sa très vaste érudition que de les égaler ; mais face à ceux qui le blâment, il ne manquera pas, en ce monde, d’hommes doctes et brillants qui l’honoreront de la louange qui lui est due. Ainsi, peu après sa mort, s’est-il même trouvé un très grand personnage, Joseph Scaliger, vraiment le prince des lettres, pour saluer la mémoire du défunt par ces vers :

    « Ô Du Jon, quand tu exerçais ton pouvoir sur les lettres, tu étais entouré d’une couronne de dociles jeunes gens, réunis en foule dans le collège, buvant tes doctes paroles ; mais maintenant, ô injuste enchaînement des choses, frappé par le souffle de la funeste étoile, ton soleil a sombré dans les blêmes ténèbres ! Endeuillée, la Faculté fera de toi son maître ; orpheline, l’Église fera de toi son père ; le monde entier déplore la mort du savant. Qu’ils pleurent, qu’ils pleurent donc ! Le peuple ignorant n’a que faire d’un homme à qui la maladie enseigne ce que c’est d’être en bonne santé ; qui apprend ce que c’est d’être orphelin à tout garçon qu’il voit ; qui, enfin, ne médite pas d’ordinaire sur ce qu’il a jadis gagné, mais sur ce qu’il va perdre. Pour toi, l’alternative est tout autre : qui a jamais prisé l’avantage de vivre t’enseigne de ne pas te soucier de ce que tu vas devenir. Après qu’un triste sort t’a emporté, complice de la plainte partagée par tout le monde, et que ta brillante lumière s’est éteinte, qu’avons-nous donc perdu et pourquoi nous chagriner ? Nous n’en sommes pas plus savants, mais nous avons cessé de geindre. » {a}

    Quand il a écrit cela, Scaliger n’a rien épargné de son talent à chicaner pour ensevelir profondément Du Jon. Aucune rivalité ni aucun désaccord dans leurs travaux ne pouvait pourtant justifier que Scaliger voulût le dépouiller de quoi que ce fût. Dans la souscription de son poème, il dit l’avoir écrit dans son lit, deux heures après minuit : c’est le moment où l’esprit est aimable, si le sien l’a jamais été, et ne s’emporte point dans les passions. C’était au moment où, dans le même mois, la peste qui sévissait avait emporté deux éminents hommes de l’Université de Leyde, Du Jon et Trelcatius, {b} et où des monceaux de cadavres s’empilaient par toute la Hollande. Scaliger n’était donc pas tourmenté par la pensée de la mort, puisque ses paroles et ses écrits n’exprimaient jamais rien qui ne fût sincère. Alors, comment se fait-il que nous, les enfants du défunt, sachions, comme bien d’autres, que la science universelle de Du Jon, tout particulièrement dans les matières sacrées, lui a si longtemps valu les plus grands éloges ?]


    1. Poème xiv, In obitum V.C. Francisci Iunii Biturigis [Pour la mort du très distingué François Du Jon, natif de Bourges] des Funebria [Obsèques] de Joseph Scaliger (Poemata omnia… [Poèmes complets…], Leyde, 1615, v. note [6], lettre 261), première partie, page 105, avec cette souscription :

      Lugd. Bat. Duabus horis post mediam noctem in lectulo. Anno 1602.

      [À Leyde, dans mon lit, deux heures après minuit, l’an 1602].

    2. Lucas Trelcatius (Arras 1542-Leyde 1602), professeur de théologie à Leyde.

  2. Plus haut, contre la méprise de Jacques-Auguste i de Thou au sujet de Du Jon (pages *2 vo‑*3 ro) :

    Multa enim multorum exempla, quorum opera posthuma habemus, cautiorem me reddunt. Commemorare plurima cum possim, exemplum unius afferre contentus ero : de quo agendi graves sane habeo caussas. Nec alienum plane ab instituto erit hoc nostro, cum de historicis agam, et ille, de quo loquar, inter hujus temporis historicos principem mereatur locum. Est is Jacobus Augustus Thuanus ο μακαριτης, vir genere, doctrina, dignitate maximus, et cui aliquid humanitus patienti plane debeat ignosci, partim ob graves occupationes, quæ singula adamussim expendere non patiebantur ; partim etiam ob merita præclara erga Gallias suas, ac Remp. literariam. Maximus ille vir, quem dixi, (si opere posthumo stare licet) ad annum mdcii prodit ea de viro, et genere nobili, et eruditione clariori et pietate modestiaque longe maximo, Francisco Iunio Biturige ; ex quibus vix guttam veri exprimi posse, nemo scio eorum, qui vivunt, negare sustineat. Eo enim, quo dixi, loco hæc de Iunio legas : Lugduno Batavorum, ubi diu professus est, ob rerum novarum suspicionem ab Ordinibus Belgii exactus, sicuti suo loco diximus, et Altorfii ubi defecit, a Norimbergensi Rep. honorifico stipendio invitatus. Nempe, memoria deceptus, in errorem Tartessia muræna grandiorem incidit vir summus : quod ita esse, ex ipsius verbis liquido constat. Ait enim, Sicuti suo loco diximus. At nihil uspiam tale retulerat de Iunio ; verum de Hugone Donello, dissuasore quidem, attamen conscio consiliorum, quæ conjurati cœperant Lugduni anno mdlxxxvii. Qua de re ita ad annum hunc ipse prodidit Thuanus : Hugo Donellus juris scientia clarus, eamque diu Avarici Biturigum professus, qui ob religionem Lugdunum concesserat, quod consilio participasse credetur, a Senatu monitus, ut alio migraret, Altorfinum se contulit, ubi Norimbergensis Reip. stipendiis ad mortem usque docuit. De Donello id, uti videmus, pronuntiarat ipse : de Iunio se dixisse arbitrabatur. {d}

    [Maints exemples de nombreux auteurs dont nous avons les ouvrages posthumes me rendent fort méfiant. Je puis m’en remémorer beaucoup, mais je me contenterai d’en citer un seul en exemple, avec de sérieuses raisons d’y réagir. Il ne figurera pas ailleurs dans cet ouvrage, bien que j’y traite des historiens et que celui dont je vais parler eût mérité le premier rang parmi ceux de ce siècle. Il s’agit de feu Jacques-Auguste de Thou, immense pour sa naissance, sa science et son mérite, et à qui, étant mort, tout devrait être pardonné, en partie à cause de ses lourdes occupations, dont aucune ne souffrait de n’être pas diligemment accomplie, et en partie aussi à cause de ce que lui doivent sa chère France et la république des lettres. En l’année 1602 de son récit, ce très grand personnage que j’ai nommé (s’il est permis de s’en tenir à son œuvre posthume), avance des choses, dont il est à peine possible de tirer une goutte de vérité, et je sais que nul des témoins qui sont encore en vie ne soutiendra le contraire : elles concernent François Du Jon, natif de Bourges, cet homme qui s’est brillamment distingué, tant par sa noble ascendance, que par sa très éminente érudition, et par l’immensité de sa piété et de sa modestie. À l’endroit que j’ai dit, vous lirez en effet ceci à son propos : « Les ordres de Hollande l’ont chassé de Leyde, où il a longtemps professé, car on le soupçonnait d’idées séditieuses, comme nous dirons en lieu opportun ; il mourut à Altdorf, où la République de Nuremberg l’avait invité à jouir d’une pension honorable. » {a} Voilà bien notre excellent auteur tombé dans une erreur plus énorme que la murène de Tartessos : {b} ses propres mots le prouvent clairement quand il dit « comme nous dirons en lieu opportun » ; mais où que ce soit, il n’a dit rien de plus sur Junius ; mais ce qu’il a dit concernait Hugues Donneau qui, lui, fut un opposant, mais qui connaissait bien le droit, que les conjurés ont capturé à Lyon en 1587. Voici ce que de Thou à écrit de cette affaire cette année-là : « Hugues Donneau brillait dans la science du droit, qu’il a enseignée à Bourges. Pour raison de religion, il s’était retiré à Leyde ; là, croyant qu’il avait participé à un complot, le Conseil lui avait ordonné de s’en aller ailleurs ; il se rendit à Altdorf, où il a enseigné aux frais de la République de Nuremberg jusqu’à sa mort. » {c} Comme nous voyons bien, c’est de Donneau qu’il disait cela ; mais il a cru avoir parlé de Du Jon]. {d}


    1. V. note [32], lettre 155, pour l’Université de Nuremberg, établie à Altdorf.

      Transcription fidèle de la fin du livre cxxxii des Jac. Augusti Thuani Historiarum sui temporis [Histoires de son temps de Jacques-Auguste i de Thou] dans l’édition parue à Genève en 1620. Sa bévue a été corrigée dans l’édition de 1630, avec cette remarque de Pierre Dupuy :

      « Il y a faute à cet éloge de Junius, car il est faux qu’il soit mort à Altdorf ; je voudrais lire : mense proximo Fr. Junius in Biturigibus Cubis apud nos natus, itidem obiit Lugduni Batavorum ubi diu professus est, cum tantum annum lvii attigisset ; vir desultorio ingenio, qui multa conatus, an adsecutus sit quod moliebatur, doctorum erit judicium. »

      C’est à quelques détails près ce qu’on lit dans Thou fr ( volume 14, page 59), où la méprise se transforme en offense :

      « François Dujon, natif de Bourges, mourut le mois suivant de la peste à Leyde, âgé de cinquante-sept ans. C’était un esprit qui n’avait point de but arrêté. Il a entrepris bien des choses : savoir s’il en a fini quelqu’une, j’en laisse le jugement aux savants. »

      Plus loin dans sa préface, Vossius n’a pas manqué de s’enrager contre cette insultante altération tardive du texte.

    2. Dans les Grenouilles d’Aristophane (vers 475), l’esclave Éaque menace Dionysos, qui veut se faire passer pour Hercule, de lui faire manger les poumons par la « murène tartésienne » (Tartêsia muraïna). Tartessios est le nom grec d’une ancienne cité située en Andalousie, à l’embouchure du Guadalquivir ; Platon y a situé le mythe de son Atlantide engloutie. La combinaison de ces deux allusions pourrait figurer l’énormité du mensonge que Vossius reprochait à de Thou.

    3. Dans Thou fr, c’est à l’année 1591 (et non 1587) qu’il est question de Hugues Donneau (livre c, volume 11, page 318) :

      « Je ne puis oublier un savant jurisconsulte français, Hugues Donneau de Chalon-sur-Saône. Il enseigna fort longtemps à Bourges, mais les troubles de Paris l’obligèrent de quitter la France, et il alla s’établir pour quelque temps à Leyde. Y étant devenu suspect au sujet de la religion, la célèbre Université fondée à Altdorf par la République de Nuremberg fut l’asile où il se réfugia dans sa vieillesse. Il mourut le quatorzième de mai, dans la même année que Cujas ; mais avec d’autant moins de réputation que, toute sa vie, il se fit un jeu d’écrire et de parler contre ce grand homme. »

    4. La suite du texte de Vosssius fustige de Thou pour sa méprise en comparant les biographies et les mérites respectifs de Donneau et de Du Jon, au net avantage de son beau-père.

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Grotiana 1, note 9.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8200&cln=9

(Consulté le 28/03/2024)

Licence Creative Commons