Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-6, note 15.
Note [15]

Sanchoniathon (écorché en Sancroniaton dans le texte imprimé) serait un auteur phénicien du 2e millénaire avant l’ère chrétienne dont des fragments ont été rapportés par Philon de Byblos, écrivain grec du ier s. Sanchoniathon a embarrassé les historiens de la théologie chrétienne car, si on tenait ses écrits pour authentiques, ses dogmes remettraient en question la primauté du judaïsme et de Moïse dans la révélation monothéiste.

Cet article de L’Esprit de Guy Patin a puisé sa substance dans le chapitre v, Abrégé de la théologie des Phéniciens, ou Cananéens, tirée du fragment de Sanchoniathon (iiie partie, premier traité pages 430‑439) de l’Histoire critique des dogmes et des cultes, bons et mauvais, qui ont été dans l’Église depuis Adam jusqu’à Jésus-Christ, où l’on trouve l’origine de toutes les idolâtries de l’ancien paganisme expliquées par rapport à celles des juifs {a} du théologien calviniste français Pierre Jurieu (1637-1713), avec cette introduction :

« Toutes les divinités et superstitions, dont nous aurons à parler dans la suite, pour l’explication de ce que dit l’Écriture Sainte des cultes idolâtres auxquels le peuple de Dieu s’est laissé aller, sont tirées de la religion des Phéniciens ou Chananéens, {b} et de celle des Égyptiens, peuples au milieu desquels ils vivaient, ou avec lesquels ils avaient grand commerce. C’est pourquoi nous avons besoin de savoir un peu quelle a été la théologie et la religion de ces peuples. Nous donnerons un échantillon de la religion des Égyptiens dans le traité du Veau d’or. Présentement, nous ferons un abrégé de théologie des Phéniciens, selon que nous le trouvons dans Eusèbe, {c} tiré d’une version que Philo Biblius {d} avait faite de l’ouvrage d’un nommé Sanchoniathon, qui était syrien et phénicien de nation. » {e}


  1. Amsterdam, François L’Honoré, 1704, in‑4o de 809 pages.

  2. V. note [19], lettre 309.

  3. Eusèbe de Césarée (v. supra note [5]) : Préparation évangélique [Ευαγγελικης Αποδειξεως Προπαρασκευη], livre i, Théologie des Phéniciens (édition française de M. Séguier de Saint-Brisson, Paris, 1846, tome premier, pages 34‑44.

  4. Nom latin de Philon de Byblos.

  5. Comme L’Esprit de Guy Patin, Jurieu conclut sa longue analyse en disant que Sanchoniathon a plagié Moïse, et non l’inverse.

Cet autre passage, sur l’étymologie sacrée (pages 433‑434), jette un peu de lumière sur l’explication abrégée et tronquée (au point d’en devenir incompréhensible) du Faux Patiniana :

« Sanchoniathon continue ainsi :

“ Mais quand l’Esprit commença à devenir amoureux de ses propres principes, et qu’il commença à se mêler avec eux, cette union fut appelée désir. Et c’est là le principe ou la création de toute chose. Or l’Esprit ne connaissait point sa propre création, et de cette conjonction de l’Esprit se forma ιλυς, mot que quelques-uns disent être le limon, et les autres disent que c’est une certaine mixtion aqueuse, qui s’altère, se change, d’où viennent les semences de toutes les créatures et la génération de tous les corps. ”

Cet Esprit qui anime la matière est assurément tiré de ce que Moïse dit et Spiritus uncubabat : {a} le mot hébreu signifie que l’Esprit embrassait le Chaos, le couvait, l’échauffait comme une poule fait ses œufs pour les rendre féconds.

L’Esprit se mêla avec ses principes, c’est-à-dire que l’Esprit de Dieu pénétra cette matière de toutes parts, l’agita et la remua. Cette union de l’Esprit avec la matière fut appelée désir ou cupidité, c’est-à-dire que cette action que l’Esprit déploya dans la matière, pour la rendre féconde, y versa les premières dispositions, semblables à celles que l’amour, ou la cupidité, introduit dans la matière, d’où ensuite se fait la génération.

L’Esprit ne connaissait point la création ou sa créature, c’est-à-dire qu’il ne voyait rien encore de parfait, car son action n’avait encore produit que des dispositions dans la matière. De cette conjonction se forma Μωτ. Ce Môt ne vient pas du ניוט des Hébreux, qui signifie “ mouvement ”, comme l’a cru Grotius. J’aimerais mieux le dériver d’un mot égyptien, Ma, qui signifie “ des eaux ” : c’est-à-dire que la première disposition que l’Esprit imprima dans cette matière produisit un corps aqueux et limoneux. Cela est clair, car il {b} interprète Μωτ par ιλυς, qui signifie “ du limon ”. Il a tiré cela de Moïse, qui ayant donné au Chaos le nom de terre, et la terre était dans sa forme et vide, dit que l’Esprit se mouvait, couvait, incubabat, puis il appelle, après l’opération de l’Esprit, cette masse eaux, et l’Esprit se mouvait sur les eaux, de cette mixtion aqueuse qu’il appelle Môt, ou ιλυς, il dit que toutes choses ont été créées ou engendrées, parce que Moïse, incontinent après avoir appelé le Chaos des eaux, entre dans le détail de la création, et dit comment chacune des créatures fut tirée du Chaos, ou de cette matière aqueuse et limoneuse. {c} Il est certain que dans la théologie des Égyptiens, ιλυς est un grand principe de toutes choses. »


  1. « et l’Esprit couvait », variante (calviniste) du verset 1:2 de la Genèse (Vulgate) :

    Terra autem erat inanis et vacua, et tenebræ erant super faciem abyssi : et spiritus Dei ferebatur super aquas.

    [La terre était informe et vide ; les ténèbres couvraient l’abîme, et l’Esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux].

  2. Sanchoniathon.

  3. Les versets suivants du chapitre 1 de la Genèse disent que Dieu créa successivement la lumière et les ténèbres, le firmament, la terre et les eaux, les végétaux, le Soleil et la Lune, les animaux, et enfin l’homme.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-6, note 15.

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(Consulté le 19/05/2024)

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