Livre I
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Les os sont donc assemblés par les différentes formes de jointures suivantes.Arthron. Articulation. Mouvements évidents. La première des structures naturelles en vue du mouvement volontaire, que les Grecs appellent arthrosis et arthron, est nommée chez nous « articulation » et « article ». Mais l’explication du mouvement n’est pas la même pour toutes les articulations. Certains mouvements sont évidents et n’échappent à personne. En effet, personne n’ignore que la tête bouge sur le cou, que le fémur s’articule avec l’os coxal, la main sur l’avant-bras, en plus d’innombrables articulations, incluant les phalanges mêmes.Diarthrose. Livre des articulations où est enseignée la luxation de l’os zygoma. Ce genre d’articulation montrant un mouvement évident est appelé diarthrose, c'est-à-dire « articulation lâche » ; Hippocrate l’a appelée également aparthrose, c'est-à-dire « articulation libre ».Mouvements obscurs [indistincts]. Dans d’autres articulations, le mouvement n'est ni vigoureux ni manifeste, mais il est obscur, difficile à voir et si dissimulé qu’on ne peut presque pas distinguer la présence de l’articulation. Par exemple, le mouvement de l’articulation des os du métacarpe avec ceux du carpe ne se voit pas ; pourtant si on étend les doigts sur une surface plane, puis si on croise l’index sous le majeur et le petit doigt sous l’annulaire pour former deux X, en essayant de faire avec les premières phalanges des doigts une sorte de demi-cercle, les os du métacarpe n’auront plus l’air d’être immobiles. C’est la même chose dans les articulations des os du carpe entre eux, dans celle du calcaneum avec le talus, du talus avec l’os naviculaire, dans l’articulation de ce dernier avec trois os du tarse, du calcaneum avec l’os cuboïde, et dans celle des os du tarse avec ceux du métatarse. À moins d’y prêter une grande attention, on ne remarquera même pas le mouvement très obscur de ces articulations.Synarthrose. On appelle cette forme d’articulation synarthrose, c'est-à-dire « co-articulation », différant de la diarthrose uniquement par la quantité de mouvement. Par ailleurs, la Nature n’a pas formé ces deux espèces d’articulations d’une seule façon, puisque le même mouvement n’a pas été donné à toutes les articulations.Toutes les articulations n’ont pas les mêmes mouvements. Certaines articulations ont des mouvements de flexion et d’extension, d’adduction et d’abduction d’un côté ou de l’autre, et même enfin de rotation. La cuisse et le bras par exemple montrent ces mouvements. On amène le bras sur la poitrine et on l’amène en arrière dans le dos, on le lève vers la tête et ensuite on l’abaisse vers la hanche, et enfin, on lui fait faire un mouvement circulaire, quand, le pouce étant fixé sur la table, on déplace les autres doigts en cercle, le plus loin possible. De même on bouge la cuisse vers l’avant et vers l’arrière, on la rapproche de l’autre cuisse puis on l’écarte, et on lui donne un mouvement de rotation, quand on fait bouger les orteils latéralement, d’un côté et de l’autre, le talon étant bien en appui sur le sol. C’est de cette façon qu’il faut comprendre le mouvement de rotation, différent des mouvements successifs faits en bougeant le bras en arrière, puis en avant, puis en haut, puis en bas, en formant pour ainsi dire un cercle. Nous développerons ce point plus longuement en expliquant les fonctions des muscles. D’autres articulations peuvent seulement fléchir, s’étendre, se mouvoir latéralement, mais sont incapables de tout mouvement de rotation, comme les premières phalanges des doigts et l’endroit où le poignet se joint à l’avant-bras. D’autres fléchissent, s’étendent et ont un mouvement de rotation en même temps, mais ne peuvent accomplir aucun mouvement latéral ; ainsi, le radius fléchit et s’étend en même temps que l’ulna sur l’humérus, et il fait même un mouvement de rotation sur l’humérus, dans les mouvements de pronation et de supination. D’autres fléchissent et s’étendent seulement, comme l’articulation de l’ulna sur l’humérus, du tibia sur le fémur, des deuxième et troisième phalanges des quatre doigts, et de la troisième phalange du pouce[32]. D’autres n’ont qu’un mouvement de rotation : la première vertèbre cervicale tourne sur la deuxième comme autour d’un axe lorsque la tête tourne, et le radius n’a un mouvement de rotation sur l’ulna que dans des mouvements de supination et de pronation.Il existe trois formes d’articulations. Donc, puisque toutes les articulations ne servent pas au même mouvement, il ne faut pas s’étonner de la variété dans l’aspect de leur agencement[33]. Il y a trois aspects ou trois formes d’articulation ; les anciens Grecs, qui enseignaient à leurs fils l’art de l’anatomie, leur ont donné trois noms : énarthrose, arthrodie et gynglyme, bien que ces noms aient pu être confondus ensuite par Dioclès[34] et par ceux qui, les premiers, ont transmis la méthode de dissection par des commentaires.Énarthrose. Le nom d’enarthrosis désignait une forme d’articulation, dans laquelle la cavité de l’os récepteur est profondément creusée et façonnée en forme de « vestibule » (acétabule). La tête qui entre dans cette cavité est proéminente[35]. Ajoutez à cela que dans ce type d’articulation, la cavité comme la tête sont simples, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’une seule cavité et une seule têtea,a Dessinez ici un A inséré entre e, g, f dans les fig. 1 et 2 du chap. 30, et dans la fig. 2 du chap. 29 [36] comme nous le constatons dans l’articulation du fémur avec l’os coxal, dans celle de l’humérus avec la scapula, et dans les articulations du métacarpebb C, D dans la fig. 1 du chap. 27 et du métatarse avec les premières phalanges des doigts et des orteils. Souvenez-vous aussi que ces articulations sont dotées de mouvements visibles et nombreux. En effet la cuisse et le bras, dont nous appelons l’os « humérus », ont des mouvements de flexion, d’extension, de rotation, et se meuvent latéralement. Au contraire, les premières phalanges des doigts et des orteils n’ont pas de mouvement de rotation, à cause de la construction de l’articulation et à cause de l’agencement des muscles et des os sésamoïdes, comme vous l’apprendrez par la suite. C’est par une articulation du même type que le carpe est joint au radius, qu’il fléchit, s’étend, et a un mouvement latéral. Le radius est aussi joint à l’humérus par une énarthrose, c’est pourquoi il est doté de plusieurs mouvements : il fléchit, s’étend en même temps que l’ulna, et il a aussi un mouvement de rotation. Ainsi, il est évident que la Nature a forgé une énarthrose dans des articulations [mobiles] simples, qui sont revêtues d’une croûte cartilagineuse continue et pour ainsi dire ininterrompue, toutes les fois qu’elle voulait donner plusieurs mouvements à un seul os, en préférant utiliser une articulation

×Sur l’anatomie du pouce, voir Fabrica, chap. 27.
×Exemple de la méthode déductive de Vésale : la conclusion est amenée par une série d’observations concrètes. Les trois formes d’articulation mentionnées sont des formes de diarthrose chez Galien.
×Dioclès fut un médecin grec du IVe siècle av. J.-C., né à Caryste (Eubée) qui vécut à Athènes. Il passe pour être le premier à avoir écrit sur les procédures anatomiques, est cité par Galien (De anatomicis administrationibus II, 1), mais aucun de ces ouvrages n’a été conservé. Cf. Ph. J. van der Eijk, Diocles of Carystus, vol. I, Leiden-Boston-Köln: Brill, 2000.
×La définition empruntée à Galien (De ossibus Ia 736, éd. I. Garofalo et A. Debru, Paris, 2005, p. 41) est précisée et illustrée par une série d’exemples.
×Le verbe latin fingere a le sens de « dessiner » et d’« imaginer ». Il est peu probable que Vésale demande à l’étudiant d’imaginer un index. La note marginale s’adresse donc ici au graveur ou à l’imprimeur. Au contraire, les indications données par les verbes iungere (« joindre ») et conferre (« comparer ») dans les notes suivantes s’adressent au lecteur.