Livre I
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elle se termine en angle aigu.La mandibule de l’homme est généralement constituée d’un seul os. Mais chez l’homme, la mandibule est formée d’un seul os, et à l’extrémité du menton, elle apparaît large et non pas pointue comme pour tous les autres animaux. C’est l’endroit où il est le plus difficile de la disjoindre. Je n’en ai pas encore vu une seule se désunir, ni après l’avoir fait bouillir[143], ni quand elle a été putréfiée dans la terre. Et pourtant, j’ai observé un grand nombre de mandibules (comme d’autres os) en différents lieux, surtout au cimetière des Innocents de Paris[144], mais je n’en ai jamais trouvé une en deux parties, alors que les mandibules de chiens, de bœufs et d’ânes peuvent être facilement séparées en deux, même sans les faire bouillir. Pourtant Galien[145], et la plupart des maîtres en Anatomie après Hippocrate[146], ont assuré que la mandibule n’est pas un os d’une seule pièce ; selon eux, quand on la fait bouillir, un espace apparaît à l’extrémité du menton, ce qui est un indice évident qu’il y a eu jointure. Bien que la chose soit possible, je n’ai encore jamais rencontré une seule mandibule humaine construite avec des os pairs (comme je le disais tout à l’heure). Et même s’il m’arrivait un jour, parmi tant de myriades d’hommes, d’observer une telle mandibule chez un être mi-homme, mi-chien[147], ou chez un nouveau-né, je n’affirmerais cependant pas même alors que la mandibule humaine est constituée par des os pairs. Au contraire, je me rallierai plutôt à Celse[148], ou à l’auteur grec dont Celse s’est inspiré pour tout ce qui concerne les os, car, ne partageant pas l’intérêt de Galien pour les chiens, il a enseigné que la mandibule est constituée d’un os impair. Et même si chez les enfants, elle est formée de deux os joints par union [symphyse], c’est à tort que nous dirions qu’elle est constituée d’os pairs, à moins d’admettre que l’os occipital, les vertèbres et les os joints à chaque côté du sacrum soient eux aussi composés de plusieurs os, puisque personne ne pourrait nier que chez les enfants ces autres os soient formés de plusieurs os joints par symphyse.La mandibule a deux processus sur chaque côté. La mandibule se termine de chaque côté par deux processus ; le premier [processus coronoïde]aa C dans les fig. 1, 2 et A, B dans la 6eplanche des muscles s’avance en pointe et assure une insertion très solide pour le tendon du muscle temporal qui l’enserre complètement. Le second [condyle ou tête de la mandibule]b,b A, B dans les fig. 1, 2 situé plus en arrière, se termine par une petite tête allongée en travers, articulée avec la dépression [cavité glénoïde]cc h dans la fig. 5 du chap. 6 qui lui répond, et qui a été taillée dans l’os temporal, à la racine de l’os zygoma et à la partie antérieure de l’organe de l’audition. Un cartilage recouvre comme une croûte cette dépression et la petite tête mandibulaire.Dessin du cartilage propre à l’articulation de la mandibule[149]. En plus de ce cartilage, que l’on trouve dans toutes les articulations, il en existe un autre, entre la dépression et la petite tête ; il est léger, fin, souple, et sa substance rappelle un peu la nature du ligament. Il n’est nulle part attaché aux os, mais seulement aux ligaments qui entourent l’articulation.

[Illustration]

Ce cartilage absorbe le choc entre les deux os durs de la présente articulation et empêche ces os de se briser par leur frottement mutuel au cours des grands mouvements continuels de la mandibule, ce à quoi contribue aussi le cartilage qui forme une croûte autour de la dépression et de la petite tête [mandibulaire].Les foramina de la mandibule. En outre, la mandibule a de chaque côté deux foramina ; le premier [foramen mandibulaire]dd F dans la fig. 2 est visible sur la face interne [postérieure], non loin des processus mentionnés ci-dessus, le second [foramen mentonnier]ee G dans la fig. 1 sur la face externe [antérieure], à la racine et sur le côté de la lèvre inférieure. Celui situé sur la face interne [face postérieure de la mandibule], qui est aussi le plus grand, est irrégulier, c'est-à-dire rugueux, et fournit un passageff T dans la 2efigure parmi celles qui précèdent le chap. 2 du livre IV à une petite branche de la troisième paire de nerfs crâniens qui se ramifie vers les racines des dents, en même temps qu'une petite veine et une artère passent par ce foramen, pour nourrir les dents et la mandibule. Au contraire, le foramen sur la face externe [antérieure] qui permet à une ramification de ce nerfgg V dans la figure susdite et G dans la planche des muscles notée h [V] de s’avancer de la mandibule à la lèvre inférieure, est beaucoup plus petit. Si vous introduisez une soie de porc dans le foramen [mandibulaire] d’une mandibule sèche, vous constaterez que vous pouvez facilement la pousser depuis son orifice jusqu’à l’autre foramen [foramen mentonnier] ; et si vous brisez la mandibule, vous observerez qu’un passage continu semblable à un canal [canal mandibulaire] est ciselé dans l’os, reliant un foramen à l’autre[150].Les alvéoles des dents. Vous ne trouverez pas d’autres foramina que les précédents sur la face externe de la mandibule, sauf s’il vous plaît de compter en plus les alvéoles et les « petits compartiments »[151] dans lesquels les dents sont fixées à la façon de clous, comme nous l’enseignerons bientôt. Que la mandibule soit un os plus épais à cause de ces alvéoles et de ces cavités, se déduit surtout à partir de personnes âgées dont les dents sont tombées et chez qui les cavités dentaires se sont agrandies, rendant la mandibule beaucoup plus fine et plus petite.L’étendue de la face postérieure de la mandibule, ses surfaces fines, déprimées et irrégulières. À l’endroit où il n’y a pas de dents, c'est-à-dire dans la partie où sont produits les processus mentionnés précédemment, la mandibule est très large, mais si vous regardez les côtés [branches montantes], elle est très fine, et elle présente sur la face internehh D dans la fig. 2
i E dans les fig. 1, 2
et externei une espèce de cavité, grande mais superficielle, qui facilite l’insertion des autres muscles élévateurs de la mandibule, avec le muscle temporal, et qui empêche le musclekk D dans la 6eplanche des muscles dissimulé dans la bouche de gêner par son épaisseur et sa masse l’étroite entrée de la gorge ; voilà pourquoi la face postérieure de la mandibule est plus concave que la face antérieure. La partie la plus large de la mandibule a aussi pour caractéristique d’être irrégulière et rugueuse, surtout près de sa surfacell E dans les fig. 1, 2 inférieure et postérieure. Le Créateur des choses l’a ainsi fabriquée pour l’insertion des muscles, lui qui n’ignore pas qu’une chose s’attache et adhère plus facilement à une surface rugueuse et irrégulière qu’à une surface plane et lisse. C’est aussi pour cette raison que la face postérieure de la mandibule au mentonmm H dans la fig. 2 est bombée par de petites proéminences irrégulières de telle sorte que les musclesnn H, I dans la 5eplanche des muscles qui lui permettent de s’abaisser s’y insèrent plus solidement, ainsi que quelques musclesoo H dans les fig. 1, 2 du chap. 19 du livre II spécifiques à la langue. Par ailleurs, quelque chose de semblable par la fonction se présente sur la face antérieure de la mandibule, dans la région à la pointe du mentonp,p N dans la 4eplanche des muscles de sorte à faciliter l’insertion des muscles de la lèvre inférieure.

×Voir Fabrica I, chap. 39 (préparation du squelette à des fins d’examen).
×Vésale reviendra sur cet épisode à la fin du livre I de la Fabrica, chap. 39, p. 159.
×Galien, De ossibus (éd. Balamius, Paris, 1535, p. 24 ; éd. I. Garofalo et A. Debru, Paris, 2005, p. 59-60).
×Hippocrate, De articulis 34, 1.
×Création lexicale qui rappelle la tradition des loups-garous ou lycanthropes.
×Celse, De medicina VIII, 7 (Maxilla vero est molle os; eaque una est).
×Voir schéma dans la marge.
×Exemples de manipulations qui préparent l’expérimentation. Le maître d’oeuvre reste Vésale.
×Steven Blankaart traduira encore ces termes grecs par cellula et alveus, dans Lexicon novum medicum græco-latinum, Lugduni Batavorum, apud Cornelium Boutesteyn, Jordaanum Luchtmans, 1690, p. 513.