Livre I
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Chapitre XI. Les dents, qui sont également incluses dans le nombre des os.

[Illustration]

Index des caractères de la figure du onzième chapitre.

Cette figure représente les dents du maxillaire et de la mandibule sur un des côtés. Comme leur agencement est le même sur l’autre côté, il suffit d’avoir dessiné sur un seul côté les dents extraites des mâchoires. Si l’on désire voir les dents encore fixées aux mâchoires, les figures du chapitre précédent montrent la rangée inférieure, de même que la troisième et la cinquième figures du chapitre six montrent la rangée supérieure ; et la quatrième figure de ce chapitre montre clairement les alvéoles dans lesquelles les dents sont fixées. En effet, nous avons enlevé les dents du crâne que nous avons représenté sur cette [quatrième] figure pour étudier le maxillaire[152].

AALes huit dents du haut sur le côté droit.
BBLes huit dents du bas du côté droit.
1, 2Les deux incisives du côté droit.
3La canine droite.
4, 5, 6Les cinq molaires à droite. Le même nombre peut être attribué aux rangées [arcades dentaires] supérieure et inférieure. Quant aux noms des dents, ils seront recensés à la fin de ce livre, avec les différentes dénominations du reste des os, parce que j’ai considéré qu’il fallait regrouper à cet endroit-là toutes les appellations que j’ai rencontrées jusqu’à présent[153].
CLe C signale la base d’une molaire.
DLe tranchant [bord incisif] d’une incisive.
EOn a dessiné ici une moitié de molaire, pour montrer la cavité [cavité pulpaire] visible à l’intérieur des dents.

Les dents sont sensibles. Livre 5 de la Composition des médicaments en fonction des lieux affectés. De tous les os[154], seules les dents sont dotées de sensibilité : Galien l’atteste avec force, affirmant que lui-même a souffert de douleurs dentaires et qu’à cette occasion, il a soigneusement réfléchi pour savoir si ce sont réellement les dents elles-mêmes qui éprouvent la douleur[155] ; et il conclut que la dent manifestement souffre, mais qu’elle est aussi animée de pulsations, comme les chairs quand il y a inflammation. En effet, dans les racines des dents sont implantés de petits nerfs mousa,a S et XX dans la fig. 2 du chap. 2 du livre IV qui sont des ramifications de la troisième paire [V] de nerfs crâniens[156]; c’est à cause d’eux que nous croyons que, seules parmi tous les os, les dents sont dotées à l’évidence de la faculté de sentir. Mais d’autres, en désaccord avec Galien, concluent que la dent, étant un os, peut être affectée sans aller jusqu’à la douleur, comme cela apparaît quand nous sommes parfois obligés de limer des dents trop longues ou de les cautériser au fer rouge. Or, c’est précisément dans ce genre d’opérations chirurgicales que nous faisons souvent l’expérience que les dents sont en fait pourvues de sensibilité, et nous savons aussi qu’elles sont très affectées par le froid. Nous devons donc louer à juste titre le souverain Créateur des choses, qui, selon nous, a attribué aux dents seulement, parmi tous les os, cette remarquable faculté de sentir. Il savait en effet que les dents entrent fréquemment en contact avec des objets qui coupent, qui brisent, érodent, brûlent ou glacent, ou avec toute autre cause d’altération : les dents sont beaucoup plus exposées à tout cela que les autres os, parce qu’elles sont nues. C’est pourquoi, si les dents n’avaient aucune faculté de sentir, l’homme ne serait en aucune façon averti par la douleur, et il ne pourrait pas secourir la dent, en supprimant la cause de l’altération, avant que la dent affectée ne soit gâtée.Les dents diffèrent des autres os. À notre avis, les dents se différencient des autres os non seulement parce qu’elles sont sensibles et parce qu’elles sont nues[157], mais surtout parce qu’elles sont en permanence davantage nourries que les autres os et qu’elles continuent à pousser à tout moment de la vie ; et nous déduisons cela principalement du fait que des dents opposées à celles que nous avons enlevées poussent au-delà de l’alignement des autres dents, dans l’espace laissé par la dent enlevée, de toute évidence, parce qu’elles ne sont pas usées par les dents qui leur font face. En effet, toutes les autres dents ne grandissent qu’en proportion de leur usure due à l’action de broyer les aliments[158].Le nombre de dents. Les dents sont généralement au nombre de trente-deux dents, sur deux rangs de seize dents chacun, se faisant face exactement comme des choreutes[159].Les incisives. Les quatre premières dentsb,b   1, 2, D c'est-à-dire celles placées à l’avant, sont appelées incisives, parce qu’elles coupent ; elles sont larges et tranchantes, ce qui leur permet, en mordant, de couper et de morceler facilement les aliments qui se présentent à elles, à la manière d'un couteau.

×Les deux manipulations ont donc dû se succéder assez rapidement, ainsi que les dessins.
×Ceci explique l'emplacement des trois planches de squelettes à la fin du livre I de la Fabrica, en tant que résumés de la matière et synthèse de la nomenclature.
×Comme Galien et d’autres anatomistes tels Benedetti et Laguna, Vésale classe les dents parmi les os à défaut d’une catégorie anatomique spécifique. Cf. N. Palmieri, « Les dents sont-elles des os ? Théories dentaires dans le premier galénisme gréco-latin », in F. Collard et É. Samama (éd.), Dents, dentistes et art dentaire. Histoire, pratiques et représentations, Paris, L’Harmattan, 2012, p 61-74 ; D. Jacquart, « Les dents sont-elles des os ? Théories dentaires de la fin du Moyen Âge », ibid. p. 75-88 ; M. Ruel-Kellermann, « Douleurs des dents : du vécu au commentaire. De Vésale à Fauchard », ibid., p. 251-264.
×Paraphrase de Galien, De compositione medicamentorum secundum locos V (trad. Guinter d'Andernach), Paris, S. de Colines, 1535, p. 148 (sentiebamque manifesto dentem non modo dolere sed etiam pulsare carnibus inflammatione obsessis similiter). Cf. le commentaire de Bartholomée Eustache sur les douleurs pulsatives des dents dans le Libellus de dentibus, Venise, V. Luchino, 1563, p. 42 ; et M. Ruel-Kellermann, « Douleurs des dents : du vécu au commentaire. De Vésale à Fauchard », in F. Collard et É.Samama (éd.), Dents, op. cit., Paris, 2012, p. 251-264 [260-261].
×Il s’agit de la racine mandibulaire (V3) du nerf trijumeau (V).
×L’adjectif qualifie la partie apparente de la dent [couronne dentaire] qui fait saillie hors du bord alvéolaire.
×Le commentaire de Jacques Despars au livre III d’Avicenne mentionnait déjà ces observations qui ont accrédité l’idée de la croissance continue des dents, voir D. Jacquart, « Les dents sont-elles des os ? Théories dentaires de la fin du Moyen Âge », in F. Collard et É. Samama (éd.), Dents, op. cit., Paris, 2012, p. 75-88, en particulier p. 85.
×Dans un passage très polémique du De usu partium (XI, 8) contre les atomistes, Galien admire la mutuelle correspondance des deux arcades dentaires, malgré la dissemblance morphologique des mâchoires, et attribue ce phénomène à la providence divine. Vésale reprend moins l’argumentation générale du passage que l’image des choreutes des tragédies antiques.