Livre I
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quoiqu’un tel os eût été préférable pour la stabilité et la protection de la moelle spinale, et qu’il n’eût pas été sujet aux luxations, aux déplacements et aux entorses s’il n’avait pas été constitué de parties articulées. Il est donc évident que si le Créateur des choses n’avait pensé qu’à la capacité de résistance et n’avait pas envisagé dans la fabrique du corps de but plus important ou plus noble, il aurait assurément fabriqué le rachis avec un os sans articulation et d’une seule pièce. En effet, quand quelqu’un façonne un animal en pierre ou en bois, il fabrique le dos d’un seul morceau ininterrompu. Mais pour un homme qui doit se pencher ou se tenir droit, il valait mieux que le rachis tout entier ne fût pas construit avec un os unique ; bien au contraire, puisque c’est grâce au dos que l’homme peut accomplir des mouvements nombreux et divers, il était préférable qu’il fût construit avec plusieurs os, même si, à ce titre, il est davantage exposé aux lésions.Pourquoi les os du rachis sont nombreux. La raison pour laquelle le rachis n’est pas façonné avec deux ou trois os, de longueur équivalente, comme l’humérus et l’ulna, avec le radius, dans le bras, ou le fémur et le tibia, avec la fibula, dans la jambe, mais avec vingt-quatre os articulés les uns avec les autres de différentes façons, je vais maintenant l’expliquer en commençant par l’élément principal de l’ensemble du rachis[248]. Il s’agit de la moelle spinalebb [Voyez] les trois figures placées au début du chapitre 11 du livre IV.  et nous essaierons de montrer que ses fonctions sont équivalentes à celles du cerveau pour les parties du corps situées plus bas que la tête, lorsque nous traiterons du réseau des nerfs au livre IV. Il fallait donc protéger la moelle spinale, comme le cerveau, par une gaine suffisamment résistante pour la mettre à l’abri des lésions ; pour cela, l’ensemble du rachis qui, comme une carène, soutient le corps humain, devait être entaillé [par un foramen] qui constituerait un passage en même temps qu’un rempart très sûr, en quelque sorte un canal sacré (comme disent les Grecs) pour la moelle. La nature de cette moelle ressemble à celle du cerveau, et les maladies qui affectent l’homme quand cette partie est touchée sont comparables à celles que nous voyons croître de jour en jour quand le cerveau souffre : les mouvements et les sensations de toutes les parties situées sous la vertèbre endommagée sont altérés[249].Livre 12 de l’Utilité des parties . L'exemple de Galien atteste que cela n’a échappé à personne. C’est aussi la raison pour laquelle le divin Hippocrate a écrit dans son livre sur Les Articulations que « si plusieurs vertèbres placées les unes à la suite des autres se déplacent ensemble, le cas est grave, mais que si une seule vertèbre sort de l’alignement de toutes les autres, le cas est funeste », mais tout le monde ne le sait pas. Hippocrate nous enseigne la cause de cet accident[250] : dans le cas où plusieurs vertèbres sont déplacées en même temps, de sorte que chacune d’elles bouge très peu et dévie à peine de son emplacement, alors la torsion de la moelle spinale sera courbe et par conséquent peu violente. « Au contraire, dit-il, si une seule vertèbre sort de l’alignement, alors la moelle spinale sera tordue sur un espace exigu, elle souffrira et sera comprimée par la vertèbre déplacée, s’il n’y a pas de rupture en réalité ». Donc, puisque la moelle spinale ne peut subir un mouvement de flexion angulaire, subit et aigu, si le rachis avait été composé de grands et larges os articulés ayant un grand déplacement, il n’aurait pu se mouvoir sans être endommagé. Il valait donc mieux qu’il fût formé par l’assemblage de nombreux petits os qui contribuent chacun au mouvement.La dimension des os du rachis est inégale et le calibre du canal pour la moelle n’est pas égal. Par ailleurs la dimension de ces os n’est pas la même pour tous, et le foramen qui livre passage à la moelle spinale n’a pas la même dimension dans tous les os. En effet, pour une bonne disposition, il vaut mieux que les plus petits os aient toujours une position plus élevée, pourvu qu’on admette que ce qui est porté soit plus petit que ce qui porte. En conséquence la Nature a fabriqué le sacrumcc G, H ou M avec Θ dans les planches intégrales. comme le plus grand os du rachis et l’a placé en guise de support aux vingt-quatre vertèbres, en l’unissant à deux autres très grands os qui l’aident à donner une assise très solide au corps. Si vous remontez à partir du sacrum, vous trouverez l’os qui vient en deuxième position pour la grandeurd:d F ou le chiffre 24. il s’agit de la vertèbre articulée avec le sacrum, c’est la vingt-quatrième vertèbre à partir de la première, et la cinquième dans l’ordre des vertèbres lombales. Et la taille de chacune des vertèbres suivantes diminue à mesure que la vertèbre est plus éloignée de celle située tout en bas. Cette diminution se poursuit jusqu’à la tête même, sauf qu’on trouve à cet endroit une vertèbre un peu plus grande que celle placée sous elle, ce qui importe en fait beaucoup par rapport à sa fonctione,e A ou 1. comme la description de la première vertèbre cervicale [atlas] vous le montrera ; elle enseignera que cette vertèbre est plus large que les autres vertèbres cervicales pour faciliter l’insertion du cinquièmeff I, H dans la 13eplanche des muscles.
g L, K dans la même planche.
h Q dans la 13eplanche des muscles.
et du sixièmeg muscles moteurs de la tête, et l’origine du second muscle élévateur de la scapulah ; et vous y apprendrez aussi que c’est en vue de l’articulation que la deuxième vertèbre cervicale [axis] est plus solide et plus grande que la troisième. Puisque la Nature a creusé un canal sur la face postérieure des corps vertébraux dans le seul but d’offrir un passage à la moelle spinalei,i 1ère figure du chapitre 11 du livre IV. il fallait évidemment accorder le calibre du foramen à la dimension de la moelle spinale. Or, cette dernière n’est pas la même dans toutes les vertèbres ; elle est très grande dans les premières vertèbres (en effet la moelle est plus resserrée et plus mince au fur et à mesure que les nerfs sont produits[251]) ; c’est donc à juste titre que le foramen des vertèbres supérieures est plus spacieux que celui des vertèbres inférieures. Ensuite, comme les vertèbres supérieures devaient avoir un grand foramen, mais qu’elles s’appuient cependant sur les autres vertèbres, on comprend aisément qu’elles devaient avoir en même temps une structure plus légère.Des foramina ont été préparés pour la production de nerfs. Le foramen taillé pour le passage de la moelle spinale n’est pas le seul foramen dans les vertèbres, il y en a d’autres qui offrent un passage très sûrkk [Voyez] les trois figures placées au début du chapitre 11 du livre IV.
l Q, Q.
aux trente paires de nerfs qui, chez l’homme, s’échappent de la moelle spinalel et que je décrirai dans la série des nerfs ; il sera cependant fait mention de ces foramina dans la description de chaque vertèbre en particulier, pour la raison essentielle que leur aspect et leur nombre diffèrent selon les vertèbres.Les épines des vertèbres [processus épineux]. Donc, puisque la moelle spinale est considérée comme un second cerveau pour presque tous les organes situés plus bas que la tête, et puisque le rachis est construit pour lui offrir un passage et une protection sûre, le Créateur des choses

×Vésale suit Galien, De usu partium XII, 12, mais en se limitant à la description morphologique et sans analyse du mouvement qu’il réserve pour le livre suivant.
×Vésale note ici les conséquences neurologiques d’un traumatisme du système nerveux central.
×Ce qui est « accidentel » n’a pas la signification du nom français « symptôme ». Sur le sens de σύμπτωμα (accident) dans la sémiologie médicale antique, cf. J. Pigeaud,« La phrénitis dans l’oeuvre de Caelius Aurélien », in Maladie et maladies dans les textes latins antiques et médiévaux, C. Deroux(éd.), Bruxelles, Latomus, 1998, p. 331-341 (333-335).
×J. Guillemeau représente la terminaison d’une moelle spinale en « queue de cheval », Historia anatomica humani corporis, Parisiis, M. Orry, 1600, p. 239. Cf. P. Albou, « Présence des mammifères dans le langage médical », Histoire des sciences médicales, 47, 2013, p. 285-295.