Livre I
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Aussi, puisque les poumons sont contenus dans le thorax, et que la trachée (qui devait se terminer dans la bouche) s’élève des poumons, la distance assez longue entre la région supérieure du thorax et la gorge convient pour cette artère[262]. Puisque que le thorax et la bouche sont séparés l’un de l’autre, l’espace entre eux fournit une voie aussi bien aux organes qui procèdent du haut vers le bas (comme la moelle spinale et l’œsophage) qu’à ceux qui s’avancent des régions inférieures vers le haut (comme la trachée et beaucoup de petites veines et artères). Donc l’homme est pourvu d’un cou en vue de la trachée, et de la trachée en vue de la voix et de la respiration. C’est pourquoi la longueur du cou est proportionnée aux fonctions susdites de la trachée. Mais les parties contiguës aux scapulae, c’est-à-dire le bras, l’avant-bras et la main, ainsi que le diaphragme, devaient également recevoir des nerfsbb π, ρ, ς, τ, φ, *, γ et η dans les figures 2, 3 du chapitre 11 [du livre IV.] de la moelle spinale qui traverse le cou : et pour leurs ramifications il était nécessaire que l’espace entre la tête et le thorax contînt des vertèbres, avec lesquelles le cou pouvait être bâti.Les sept vertèbres cervicales. En fait, il y a sept vertèbres dans le cou de l’hommec,c A, B dans la figure du chapitre 14 ; de I à K dans les trois figures intégrales. dont je vais expliquer la nature et la fonction, en commençant mon exposé par les mouvements de la tête et du cou. Car je ne me suis pas donné pour but ici de recenser les usages du cou chez les oiseaux et les quadrupèdes aux longues jambes : tout le monde peut comprendre que la Nature a prévu de les doter d’un cou et d’un bec très allongés afin qu’ils puissent prendre leur nourriture, puisqu’ils n’ont pas de main, et que pour cette raison, elle a bâti leur cou avec un grand nombre de vertèbres.Opinion de Galien sur les mouvements de la tête. Aussi, en exposant la construction [du corps], Galien, cette rare merveille de la Nature et le plus excellent interprète de sa propre œuvre, ne requiert pour aucune partie un auditeur aussi érudit, expert et habile que lorsqu’il décrit les mouvements de la tête et ses articulations avec les deux vertèbres supérieures. Pourquoi en dire davantage ? Il prétend qu’il y en a si peu qui suivront ce qu’il dit au livre XII de l’Utilité des parties au sujet des mouvements de la tête, comme s’il voulait ainsi détourner le lecteur en l’effrayant par la difficulté de la chose, que personne ne devrait trouver étonnant, que moi, qui n’ai pu bénéficier de l’aide d’aucun professeur dans cette partie, j’aie lu toutes ces observations en y appliquant mon esprit, et avec la même attention que j’avais portée à l’apprentissage de l’anatomie depuis mon enfance, et en superposant soigneusement les choses elles-mêmes au discours de Galien, afin de comprendre le sens de celui-ci[263]. Ai-je tenté cet effort en vain? Vous le saurez lorsque vous aurez appris que non seulement j’ai parfaitement saisi ce que Galien a essayé d’enseigner, mais que j’ai finalement aussi compris qu’il avait transmis de manière incorrecte l’art de la Nature dans les articulations et les mouvements de la tête.Livre 12 de l’ Utilité des parties , livre 4 des Procédures anatomiques . Chapitre 8 du livre Des os. En effet, Galien assigne deux mouvements à la tête en enseignant que l’un se fait de haut en bas et de bas en haut, et l’autre en inclinant la tête sur les côtés ; par le premier, il comprend le mouvement par lequel nous fléchissons la tête vers l’avant, nous l’inclinons et nous opinons, et ensuite le mouvement par lequel nous la relevons et l’inclinons en arrière, ce qui semble signifier le refus chez les Thraces et la plupart des Crétois même à notre époque. Ces derniers en effet disent « non » en rejetant la tête droit en arrière, c’est à dire en la relevant, et non pas comme nous qui refusons en tournant la tête ou en lui donnant un mouvement semi circulaire. Le deuxième mouvement, que Galien considère comme un mouvement sur les côtés, désigne celui avec lequel nous inclinons la tête latéralement, comme si nous l’approchions de l’épaule ou de la scapula. Mais ce que Galien pense du mouvement latéral, et plus encore du mouvement de haut en bas, vous l’apprendrez dans le quatrième livre des Procédures anatomiques, du moins si vous prêtez bien attention à l’endroit où sont situées, selon Galien, les petites têtes [condyles] de l’os occipitald,d B dans la figure1.
e N dans la figure 2.
articulées avec la première vertèbree, et là où il dit qu’elles s’élèvent et s’abaissent selon que la tête est mue sur un côté et sur l’autre, et quand, selon les leçons de Galien, nous l’inclinons en arrière ou en avant[264]. Voici assurément ce qu’il a enseigné au sujet des mouvements de la tête : il affirme que le premier mouvement, c’est -à-dire la flexion en avant et en arrière, se fait à l’aide de la deuxième vertèbre cervicale ou sur elle ; le deuxième mouvement, par lequel la tête est portée latéralement se fait, dit-il, sur la première vertèbre cervicale ; il est très facile de comprendre cela d’après plusieurs passages de Galien, et en particulier d’après le quatrième livre des Procédures anatomiques. Comme il a écrit ces livres parmi les derniers, il y a ainsi expliqué son opinion plus brièvement et plus clairement que dans ses autres livres[265].Opinions différentes de celles de Galien concernant les mouvements de la tête. Mais recherchez maintenant avec moi si cette leçon est conforme à la vérité et (en laissant de côté tout sentiment) définissez les mouvements de la tête autrement que Galien. Tout d’abord, nous bougeons la tête ou bien dans un mouvement primaire en laissant le cou au repos, ou bien dans un mouvement secondaire[266], quand la tête suit un mouvement du cou, même si vous essayez de lui donner un mouvement dans une autre direction que celle où la tête est mue. Il y a deux mouvements spécifiques de la tête. Dans le premier, nous la fléchissons vers l’avant, et nous l’inclinons en arrière, c’est -à-dire que nous faisons un mouvement d’extension : ce mouvement se fait avec le cou raide et immobile, ou en bougeant en même temps le cou soit dans le même sens que la tête soit en sens contraire. En effet, bien que la tête suive nécessairement le cou quand vous fléchissez le cou vers l’avant, vous pouvez aussi incliner la tête en arrière par son propre mouvement, et vous pouvez ainsi facilement observer que le cou et la tête ont des mouvements de flexion en avant et en arrière qui leur sont propres et particuliers. Le deuxième mouvement de la tête qui lui est propre doit être compté comme celui par lequel nous donnons à la tête un mouvement de rotation, c’est à dire en faisant comme un cercle, ou comme une roue autour d’un axe. Et vous pourrez aussi faire ce mouvement avec le cou au repos, du moins si vous vous appliquez à regarder à droite puis à gauche pendant que la tête a ce mouvement circulaire. Ce mouvement est absolument propre à la tête, et le cou en est dépourvu. C’est pourquoi, quelle que soit la direction du mouvement du cou, la tête accomplit parfaitement ce mouvement circulaire. En effet, lorsque le cou est fléchi, et que la tête s’incline en même temps que lui,

×La longueur de la trachée est d’environ 12 cm. La description dans l’Epitome est à cet égard plus exacte, qui part de la gorge vers le thorax. Cf. J. Vons et S. Velut, A. Vésale. Résumé de ses livres sur la Fabrique du corps humain, Paris, 2008, p. 82. La notion de mediastin ne semble pas connue de Vésale.
×Définition de la méthode de Vésale qui donne la primauté à l’observation du corps pour comprendre le texte. La confidence personnelle, assez rare dans l’oeuvre, inscrit l’auteur dans la tradition des Anciens qui apprenaient l’anatomie dès l’enfance (cf. Lettre à Charles Quint), en même temps qu’elle invite le lecteur à une critique ironique des textes galéniques ou de leur traduction (cf. livre I, chap. 17).
×Cf. M. Biesbrouck, « Les éléments anatomo-cliniques dans le premier livre de la Fabrica (1543) d’André Vésale », in Pratique et pensée médicales à la Renaissance, J. Vons (éd.), Paris, De Boccard, 2009, p. 257-272 (264-265).
×Vésale se plaindra de ne pas avoir eu accès à la totalité des livres des Procédures anatomiques, cf. Fabrica livre II, chap. 19, p. 253.
×Le mouvement dit secondaire est un mouvement consécutif à un autre mouvement. Voir infra.