Livre I
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si vous imaginiez les fossettes de la vertèbre jointes, vous verriez qu’elles forment une seule cavité ronde et profonde. Vous verrez cela dans la première vertèbre cervicale des chiens et des singes, d’autant plus clairement que chez ces animaux, ces cavités sont plus profondes et que les têtes [condyles] de l’os occipital sont plus proéminentes et plus pointues.La tête a un mouvement de flexion et d’extension sur la première vertèbre. Donc les condyles de l’os occipital sont reçus sur ces fossettes [foveas articulaires supérieures] de la première vertèbre, et ils y ont un mouvement de flexion et d’extension c’est à dire droit en avant ou en arrière. Il n’y a aucune raison que la tête ait un mouvement latéral au moyen de cette double articulation [articulation atlanto-occipitale][275], même si Galien, prince des anatomistes, l’a affirmé dans plusieurs passages. En effet, d’abord, en gardant le cou immobile, nous ne pourrions pas bouger la tête latéralement, fût-ce très peu. Et si la tête avait un mouvement latéral sur la première vertèbre, qui mettrait en doute le fait que la première vertèbre devrait rester immobile dans ce mouvement, si du moins Aristote a montré avec justesse dans le livre Du mouvement commun des animaux que dans le mouvement, un des os de l’articulation doit toujours être au repos ? Pour ne pas parler de l’impiété de GalienLivre 12 de l’Utilité des parties. qui impute honteusement au Créateur une grossière négligence, quand, ayant considéré qu’il avait suffisamment loué le Créateur, il réclame, dans sa préface si prolixe, un lecteur attentif et expert dans la méthode de démonstration.La plus noble articulation de tout le corps. Qu’y a-t-il de plus honteux (s’il est permis de dire la vérité) que d’avoir injustement imputé à la Nature, qui nous est bien plus chère que Galien, une extrême négligence dans l’articulation qui est la plus noble de tout le corps ? En effet personne n’ignore que cette articulation est celle qui ne supporte pas d’être déviée, même pour un très bref instant, et encore moins d’être désarticulée ou luxée, ce qui prive rapidement l’homme de souffle et de parole, de mouvement et de sensation, comme lorsque la racine des nerfs a été affectée. Quelle est l’articulation de tout le corps, je vous le demande, dans laquelle la tête d’un os se meut dans la cavité d’un autre os sans que la tête ne soit en contact étroit avec la cavité ? Aucune, assurément, sauf, si nous faisons confiance à Galien, l’articulation de la tête avec la première vertèbre cervicale. En effet, considérant que grâce à cette articulation la tête a un mouvement latéral, Galien, dans le quatrième livre des Procédures anatomiques, est obligé de prétendre que le condyle droit de l’os occipital est resserré dans la fossette droite de la vertèbre et que le condyle gauche se soulève hors de la fossette gauche, quand la tête s’incline sur le côté droit, et que le contraire a lieu quand la tête s’incline sur le côté gauche. Donc, n’attribuons pas de mouvement latéral à cette double articulation de la tête avec la première vertèbre, mais bien un mouvement de flexion et d’extension ; et ne nous engageons pas, en suivant les mots de Galien, à imputer au très grand Auteur des choses une aussi grande négligence dans la principale articulation du corps ; et ne cherchons pas à inventer des excuses pour Galien, en disant qu’il a compris par mouvement latéral ce que j’appelle un mouvement de rotation et un mouvement circulaire ; et ne déclarons pas, comme le fait Julius Pollux[276], que ce mouvement se fait sur la première vertèbre. À part le fait que Galien n’a pas du tout compris ce mouvement, qui pourrait être assez stupide pour soutenir que les deux condyles oblongs de l’os occipital qui sont à une certaine distance l’un de l’autre et qui entrent dans les deux profondes fossettes de la première vertèbre, qui sont semblablement oblongues, puissent avoir un mouvement de rotation ? Est-il quelqu’un en effet qui n’ait jamais remarqué qu’on ne pouvait tracer un cercle avec un compas si les deux bras étaient fixés en même temps[277]? Et il n’est pas possible que pour défendre Galien, quelqu’un puisse même imaginer que les deux condyles de l’os occipital aient une face concave, et prétendre qu’ainsi ils pourraient se mouvoir sur la première vertèbre,Multiples [assertions de Galien] dans le livre Des os et dans le 4elivre des Procédures anatomiques . puisque Galien n’a jamais estimé devoir donner le nom de korônè (bec) à aucun os de la tête, sauf précisément aux condyles occipitaux, qu’il appelle partout (mais à tort) des becs[278], signifiant par ce nom une pointe qui est rare et qu’on voit plutôt chez les chiens que chez les hommes. Telle est donc l’articulation de la tête avec la première vertèbre, avec une partie de la description de cette vertèbre. Mais nous allons maintenant poursuivre la description, en abordant progressivement l’autre mouvement de la tête.Complément de la description de la première vertèbre. Donc, sur les côtés externes[279] des fossettes [foveas articulaires supérieures] recevant les condyles occipitaux, la première vertèbre présente sur chaque masse latérale un processus transversehh S dans les figures 2, 3, 4, 10, 11. plus saillant que les processus transverses des autres vertèbres cervicales, assez large, mais cependant pas aussi large chez les hommes que chez les chiens et les singes caudés, chez qui il ressemble à une aile. Les processus transverses de la première vertèbre sont beaucoup plus saillants que ceux des autres vertèbres cervicales, de telle sorte que chacun d’eux fournisse une insertion plus commode pour deux muscles : en effet la cinquièmeii I, H dans la 14eplanche des muscles.
k L, K dans la même planche.
et la sixièmek paires des muscles moteurs de la tête s’insèrent sur ces processus. Ceux-ci sont troués par un grand foramen [foramen transversaire]ll T dans la figure 2.
m S dans la dernière figure du livre III.
traversé par une artère et une veinem qui gagnent le crâne. À l’arrière des fossettes avec lesquelles la tête est articulée, une cavité [gouttière ou sulcus de l’artère vertébrale]nn V dans les figures 3, 10. est taillée dans chaque masse latérale de la première vertèbre, correspondant à celle incisée dans l’os occipital en arrière des condyleso,o H dans la figure 1. comme je l’ai dit. Ces deux cavités, celle de l’os occipital [fossette rétro-condylienne] et celle de la première vertèbre, offrent simultanément un passage pour la première paire de nerfs spinaux. Chez les chiens, la première vertèbre du cervix n’a pas de cavité, mais elle est perforée à cet endroit par un foramen propre pour le nerf qui s’échappe à cet endroit, c’est pourquoi chez ces animaux, la première vertèbre est très ample et a de grandes dimensions. Par ailleurs, chez l’homme, cette cavité [canal vertébral] s’étend aussi vers l’arrière du foramen qui perfore le processus transverse ; ainsi, elle accepte non seulement le nerf, mais aussi la veine et l’artère, dont j’ai mentionné tout à l’heure le trajet en direction du crâne à travers le foramen [canal condylien]pp f dans la figure 2 du chapitre 12. taillé à la base des condyles occipitaux. La première vertèbre est la seule à être dépourvue de processus postérieur ou épine, pour la raison suivante : un tel processus,

×Les mouvements de la tête et du cou ont fait l’objet d’un examen critique approfondi des textes par Vésale : outre Galien (Procédures anatomiques IV) et Hippocrate (Des articulations), Balamius (De ossibus, VIII) et Theophilus Protospatharius (De corporis humani fabrica, V), référencés directement ou implicitement, sont cités divers lexiques (Onomasticon de Pollux). La discussion, d’une grande vivacité, animée par des questions oratoires, s’appuie sur la très longue et précise description anatomique de l’atlas et de l’axis et de leur mode d’articulation, alors que le rôle des muscles et des ligaments participant à ces mouvements est reporté au livre II.
×Julius Pollux, auteur d’un lexique ou Onomasticon, plusieurs fois réédité au XVIe siècle.
×Le compas dit à articulation est fait de deux bras articulés autour d’une charnière.
×Pour la définition du nom de bec, cf. Fabrica I, chap. 3, p. 8-9.
×C’est à dire latéralement par rapport aux fossettes.