Livre I
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il importe peu que je dise « s’insérer » ou « être originaire »[287], puisque le ligament concerne de manière égale les deux os. La partie supérieure de la dent, ou son apexn,n n dans les figures 5, 6. se termine en forme de tête de tortue, de telle sorte qu’elle s’élève plus haut que la première vertèbreoo Γ dans les figures 10, 11. et qu’elle constitue l’origine d’un ligament rond et robuste, capable de s’attacher à cette surface de l’os occipital que nous avons décrite comme visiblement rugueuse et légèrement proéminente, à l’avant du foramen transportant la moelle spinale. L’articulation de la première vertèbreLe mouvement de la tête et de la première vertèbre sur la deuxième. avec la deuxième se fait donc de la manière suivante : les deux grands tubercules [processus articulaires] de la deuxième vertèbre, autant de cavités [foveas articulaires] de la première vertèbre, et une seule cavité de la première vertèbre [fovea dentis] avec laquelle la dent [processus odontoïde] est articulée. Je préfèrerais que vous appreniez cet assemblage en examinant personnellement les choses plutôt que d’après ma description, qui n’est pas aussi élégante qu’elle est vraie ; à partir de cet examen, vous pourrez juger plus précisément si Galien était dans le vrai en disant que nous avons un mouvement de flexion et d’extension de la tête sur la deuxième vertèbre, c’est à dire qu’à l’aide de ces articulations nous acquiesçons, de même que les Thraces font un signe négatif ; ou si moi j’ai affirmé à tort qu’au moyen de ces articulations avec la première vertèbre, la tête pivote en faisant un cercle comme autour d’un axe, mais qu’elle ne peut absolument pas fléchir ni être en extension, contrairement aux préceptes de Galien affirmés avec autorité dans maints passages. Si vous examinez chacun des os dans cette fabrique [construction], la deuxième vertèbre cervicale ressemble à un bâton planté en terre auquel nous fixons un axe ; la dent elle-même sera l’axe, mais la première vertèbre à laquelle la tête est jointe dans ce mouvement circulaire, comme si elles ne formaient qu’un même corps, ressemble à un anneau de bois autour de l’axe. Autrement dit, la première vertèbre ressemble à un gond fixé à une porte, la seconde vertèbre à celui que nous voyons fixé sur le mur[288]. En outre le ligament transverse qui recouvre la dent montre à suffisance que la première vertèbre ne peut jamais fléchir sur la deuxième : en effet la dent devrait alors rester immobile alors que la première vertèbre aurait un mouvement de flexion et d’extension. Car qui peut mettre en doute le fait que ce ligament maintienne la dent dans la cavité de la première vertèbre ?Livre 12 de l’Utilité des parties . Et qui admettrait d’écrire avec Galien que ce ligament est si lâche qu’il permet à la première vertèbre de se porter en avant loin du contact avec la dent, de telle sorte que la tête ait un vrai mouvement de flexion? En outre, deux noms chez Julius Pollux se présentent à mon esprit[289] : il attribue l’un à la première vertèbre, et l’autre à la deuxième ; il appelle la première épistrophe et la deuxième axe. Sans aucun doute, ces noms proviennent des Anciens qui exerçaient les enfants à l’Anatomie, voulant par ce dernier nom désigner la vertèbre immobile, à la manière d’un axe autour duquel tourne l’autre vertèbre, et par le premier nom voulant indiquer le mouvement de rotation de la vertèbre comme autour d’un axe. Et cela confirmerait pleinement mon opinion, à savoir que la tête a un mouvement de rotation sur la deuxième vertèbre, comme je l’ai affirmé assez souvent. Que ces noms proviennent d’Anciens avant Galien, j’en ai pour garant Celse[290], outre les poètes : bien que le codex où il explique les vertèbres cervicales soit corrompu, et que lui-même, à la manière de beaucoup de traducteurs de Galien, traduise ce qu’il n’avait pas compris, il semble cependant avoir pris cette opinion d’un Ancien, dont il a traduit en latin le chapitre sur les os, opinion qui est très proche de la mienne, et en fait de la vérité elle-même. Et il n’est vraiment pas nécessaire que j’en parle plus longuement, puisqu’on peut facilement examiner au cours d’un repas le cou d’un lièvre, d’un lapin, d’un agneau ou d’un chevreau[291] et ainsi voir plus clairement que le jour que le mouvement se réalise sur la deuxième vertèbre ; et il ne faut pas s’étonner davantage que Galien réclame un auditeur aussi habile et parfaitement instruit des  mathématiques dans le douzième livre de l’Utilité des parties, puisque personne ne peut nier que la description par ailleurs élégante mais difficile d’une chose est rendue d’autant plus difficile que la chose elle-même est moins comprise par le narrateur et que ce dernier s’écarte davantage de l’art de la Nature qu’il s’est proposé d’exposer.Pourquoi la Nature n’a pas voulu que la tête ait un mouvement de rotation en même temps qu’un mouvement latéral sur la première vertèbre. Le fait que la Nature, en plus de la flexion en avant et de l’extension en arrière, n’ait pas réalisé les deux autres mouvements, c’est à dire le mouvement latéral et le mouvement de rotation, sur la première vertèbre, alors qu’elle a voulu que le bras et la cuisse aient trois mouvements différents, s’explique surtout de la façon suivante : il était important que la première vertèbre eût un foramen plus grand [foramen vertébral]pp I dans les figures 2, 3. que les autres pour la moelle spinale ; et pour cette raison, il était impossible de former une seule grande cavité arrondie dans cette vertèbre et de même, à cause de son foramen, l’os occipitalqq A dans la figure 1. ne pouvait avoir une unique grande protubérance sphérique qui aurait pu s’articuler avec cette cavité de la première vertèbre, comme le fémur s’articule avec la cavité de l’os coxal, en produisant des mouvements différents. Donc, puisque la tête devait être jointe par une double articulation, l’une à gauche et l’autre à droite, et qu’une telle articulation double ne peut servir qu’à un mouvement simple, c’est avec raison que la Nature a voulu que la tête ait un mouvement de flexion et d’extension sur la première vertèbre. En effet, tout mouvement latéral sur cette vertèbre est impossible, à moins que la Nature, s’oubliant ici, n’eût désiré qu’un des condyles de l’os occipital fût resserré dans une des cavités de la première vertèbre et que l’autre se soulevât et fût en quelque sorte disjoint de la première vertèbre[292] : ce qu’elle n’a tenté de faire dans aucune articulation, car elle s’est toujours souciée de mettre les os en contact mutuel dans une articulation, de ne pas les séparer l’un de l’autreLivre 4 des Procédures anatomiques. et de ne pas laisser entre eux je ne sais quel espace vide imaginé par Galien. Ensuite, il est tout aussi impossible que la tête ait un mouvement de rotation sur la première vertèbre, à moins que la Nature n’eût produit à partir de la première vertèbre un processus pointu en direction de la cavité de la tête qui contient le cerveau, processus sur lequel la tête aurait tourné comme autour d’un axe, et qu’elle se fût ainsi proposée d’abîmer beaucoup d’autres pièces parfaitement formées. Donc la tête

×La nomenclature actuelle envisage une insertion d’origine et une insertion de terminaison.
×Le schéma en marge montrant l’emboitement des deux parties du gond a déjà été utilisé au chapitre 4, p. 14, pour expliquer l’articulation par ginglyme.
×Le verbe latin succurrere peut signifier « venir à l’esprit » ou « venir au secours » ; j’ai privilégié le premier sens, car la démonstration mécanique semble suffisante ici, les noms employés par les Anciens et cités par Pollux n’ayant qu’une valeur anecdotique.
×Indication précieuse sur la consultation du texte de Celse, le plus souvent cité par Vésale d’après l’édition de Cornarius (voir introduction), De medicina VIII, 1, 11-12. Le passage est effectivement resté lacunaire dans l’éd. donnée par J. Henderson, The Loeb Classical Library, t. III, Londres, 2002 (réed.), p. 480. Sur les codices consultés, voir id., I, p. xiii.
×Vésale revient plusieurs fois sur des observations, voire sur de petites expériences occasionnelles, effectuées sur des animaux servis aux repas, voir par exemple Fabrica I, chapitre 4, p. 7 ; chapitre 19, p. 91 ; chapitre 29, p. 132.
×Réécriture d’une explication technique claire qui a déjà été présentée page 64. Vésale veut-il rivaliser d’élégance avec le maître de Pergame ?