Livre I
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L’incurie et l’ignorance des médecins en Anatomie. Comme cela a déjà été rappelé très souvent jusqu’ici et devra encore être réitéré maintes fois dans ce livre et dans les suivants, tous les médecins qui ont succédé à Galien témoignent d’une incurie et d’une ignorance crasse dans les dissections, ce que montre aussi la description du sacrum et du coccyx qui l’on trouve chez tous. Et de fait, qu’est-ce m’empêche de dire, je vous prie, que ces gens-là n’avaient ni pratique ni connaissance anatomiques, puisqu’ils ont transmis à la postérité, comme s’ils les avaient observées dans l’homme, des descriptions de Galien qui, sur quelques points étaient fausses mais qui, pour beaucoup se référaient à des singes et à des chiens et non à des êtres humains, et puisqu’ils n’ont nullement hésité à inventorier, comme de simples copistes, ce qu’eux-mêmes n’avaient jamais vu, pas même en songe, et souvent ce qu’ils avaient compris de travers dans les livres de Galien[330] ? Après l’époque de Galien, chez quel successeur, je vous le demande, est-il fait une seule mention du sacrum et du coccyx autre que celle donnée par Galien en plusieurs passages, mais sans unité ? Cependant aucune de ces descriptions ne ressemble à celle d’une vertèbre humaine. Mais pour le moment, laissons de côté tous les sectateurs de Galien qui ont nui à la connaissance du corps de l’homme plutôt qu’ils ne lui ont été utiles, et reprenons à fond les leçons de Galien, de loin le chef de file de tous les professeurs de dissection, pour éviter de donner l’impression que nous-mêmes avons honteusement négligé son autorité.Opinion de Galien concernant le sacrum et le coccyx. Livre 12, 13, 15 [De l’ Utilité des parties] et ailleurs... Donc, dans les livres De l’utilité des parties, il y a plus d’une mention du sacrum : Galien y enseigne que le sacrum est constitué de quatre vertèbres, sans la moindre petite référence au coccyx. Outre le fait qu’il ne mentionne pas cet os dans ce livre, il est clairement établi que cet os lui était inconnu au moment où lui-même écrivait ces livres. En effet, en enseignant que le sacrum est composé de quatre os, il ajoute qu’à son extrémité est joint un cartilagea,a c dans les figures 2, 3. semblable à celui dont nous dirons dans la suite de la description qu’il est attaché à la pointe [sommet] du coccyx, et semblable à celui dans lequel dégénèrent presque toujours les terminaisons osseuses qui ne sont pas articulées avec un autre os. En outre, dans le douzième livre de l’Utilité des parties, il affirme que les processus transversesbb L, L, R dans les figures 1, 2. du sacrum sont fins et ténus, alors que dans le livre Des os il enseigne qu’ils sont épais et amples (ce qu’ils sont en réalité). Mais dans ce livre Des os, qu’il a commencé à écrire après De l’utilité des parties, quand il était devenu plus compétent dans la dissection des singes, Galien enseigne que le sacrum est formé de trois osc ;c chiffres 1, 2, 3 dans la figure 4. et la description de l’os[331] dans ce livre, bien que brève, correspond parfaitement et en détail au sacrum des singes et des chiens. Ensuite, sous les trois vertèbres du sacrum, il compte trois osseletsd,d Chiffres 4, 5, 6 dans la figure 4. qu’il nomme coccyx [« coucou »] et qu’il décrit succinctement comme ils sont dans le singe. Dans les livres des Procédures anatomiques, les derniers parmi tous ceux qu’il a écrits sur l’anatomie, et où il continue toujours à décrire la structure du singe plus que celle de l’homme, sa description du sacrum et du coccyx est telle qu’elle ne diffère en rien de celle donnée dans le livre Des os. En effet, quand, parmi les muscles moteurs de la cuisse, il en recense unee Φ dans la 11eplanche des muscles. dont il dit qu’il a son origine dans le coccyx, on peut très facilement en déduire qu’il indique les trois osselets qui sont sous la troisième vertèbre sacrée chez les singes,Quinzième livre . alors que dans les livres de l’Utilité des Parties (où il s’appuie en grande partie sur les leçons d’autres Anatomistes) il avait écrit que ce muscle a son origine dans le sacrum (ce qui est vrai chez l’homme, comme vous l’apprendrez)[332]. Par ailleurs, pour que vous suiviez avec moins de peine les leçons de Galien et que vous jugiez d’autant mieux l’incurie de ceux qui transcrivent ridiculement d’après les livres des autres ce qu’ils n’ont jamais vu, cela ne me contrariera pas de décrire le sacrum et le coccyx comme ils sont chez les singes et les chiens, et ensuite d’entreprendre la description de ces os chez l’homme.Description du sacrum du singe et du chien. Donc, chez les chiens et les singes, sous la dernière vertèbre lombale, se trouve un osff Chiffres 1, 2, 3 dans la figure 4. Mais je n’ai pas inscrit d’autres index sur cette figure, parce que l’os humain a été abondamment annoté, et sera expliqué plus tard. formé de trois vertèbres, jointes ensemble de telle manière que sur leur face antérieure, au milieu, elles montrent le même type d’articulation que celle que pourraient avoir entre eux des corps vertébraux compacts qui se seraient soudés au point de ne plus avoir la moindre mobilité, et dont tout le cartilage intermédiaire [disque intervertébral] aurait disparu au fil des ans, bien que chez les chiots, on puisse voir cette articulation du sacrum remplie de cartilage (comme dans les jointures avec les appendices). De chaque côté de cette face antérieure susdite, chez les animaux âgés, les os montrent à peine une trace d’articulation, mais ils semblent avoir été depuis toujours continus, de même qu’ils paraissent continus sur leur face postérieure (sauf peut-être chez les chiots). Ces trois vertèbres, jointes ensemble de cette façon, sont appelées os sacré, grand os ou large os par Galien dans le livre Des os et dans les livres des Procédures anatomiques. Ces os sont en effet amples et continus sur leurs ailes, et comme leur forme ressemble d’une certaine manière à celle des vertèbres, ils ont à cet endroit d’amples et larges processus transverses, qui sont joints l’un à l’autre et forment un grand sinusgg Ce sinus est montré dans la figure 5, il est pair. latéral, irrégulier et rugueux où l’os iliaque s’articule très solidement avec ces os. Sur la face postérieure cet os produit trois petits processus épineux, moins orientés en haut que ne le pense Galien, et constituant pour ainsi dire une ligne continue [crête sacrée ou crista sacralis mediana]. Ce sacrum ressemble en grande partie aux vertèbres lombales : en effet la face supérieure [de ses vertèbres] ressemble à la face supérieure des vertèbres lombales, et la face inférieure à leur face inférieure. La partie supérieure du sacrum est pourvue d’un appendice saillant, tout comme la partie inférieure de la dernière vertèbre lombale, qui forme avec le sacrum une articulation semblable à celle des vertèbres lombales entre elles.

×Cette longue phrase est la clé de voûte de la Fabrica : si Galien, instruit par l’expérience, a corrigé lui-même au fil de ses livres des erreurs faites auparavant et a donc pu donner une image peu cohérente de sa pensée, la responsabilité de la méconnaissance de l’anatomie revient à tous ceux qui ensuite se sont contentés de recopier les textes successifs sans esprit critique ni examen des faits anatomiques décrits. La critique est ici sévère et une des plus violentes du livre I de la Fabrica par l’expression lexicale et stylistique, dans une série d’interrogations oratoires pressantes. À l’opposé, et très habilement, Vésale se présentera dans ce chapitre comme le véritable héritier de la méthode préconisée par Galien.
×Cf. Galien, De ossibus (éd. Balamius, Paris, 1535, p. 31 ; éd. I. Garofalo et A. Debru, Paris, 2005, p. 67-68).
×Application de la méthode définie au chapitre précédent : observation des faits, comparaison des textes entre eux et raisonnement déductif.