Livre I
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je découvre ensuite la différence chez l’homme, pourquoi, je vous le demande, des demi-savants, qui ont juré allégeance aux mots de Galien, qui n’existent que pour dénigrer les travaux des autres (puisqu’eux-mêmes sont incompétents) et pour les juger avec malveillance, m’insultent maintenant sous prétexte que très souvent je ne suis pas d’accord avec les opinions de Galien pendant mes dissections ? Comme s’ils n’avaient pas d’yeux et qu’il ne me serait pas permis, au nom de je ne sais culte rendu à Galien, de présenter aux hommes souvent les plus savants de notre siècle, ce que j’ai découvert au prix de mes efforts ; alors qu’aucun génie, bon ou mauvais, ne pourrait imposer silence à ces brailleurs, dans le cas où ils auraient trouvé quelque chose de valable au sujet de la médecine, à savoir si elle est art ou science, si l’étude des catégories concerne la logique ou la métaphysique, quel est le pouvoir de l’intelligence, si la connaissance de l’âme est la plus prééminente, et d’autres inepties[333]. Mais je ne me soucie de ces hommes ridicules (en dépit de leur arrogance) en aucune façon (comme je ne leur ai guère prêté attention jusqu’ici habituellement) : j’attends plutôt la reconnaissance de ceux qui recherchent la vérité, parce que je me suis souvenu des enseignements de Galien et que j’étudie par moi-même la vraie fabrique de l’homme[334], même si mon discours s’écarte parfois beaucoup [du sien]. Et je ne pense pas que les mânes de Galien (qui si souvent dans ses écrits semble se plaindre que l’étude de l’Anatomie disparaîtra en même temps que lui, comme cela est arrivé en effet) me seront hostiles sous prétexte que je montre qu’il a enseigné la fabrique du singe plutôt que celle de l’homme, ou qu’il est passé, à cause des livres d’autres Anatomistes qui l’ont précédé, de la construction du singe à celle de l’homme, ou qu’il les a confondues toutes les deux. Je dis cela, non pas parce dans la description du sacrum et du coccyx, Galien a pour ainsi dire mélangé les os humains et simiesques (à moins qu’il n’ait volontairement compté dans le coccyx moins de vertèbres qu’on n’en rencontre fréquemment chez les singes caudés), mais parce qu’il n’a compté que cinq vertèbres lombales, alors que les chiens et les singes caudés en ont davantage ; mais il ne reste pas moins que Galien a décrit les vertèbres, le sacrum et le coccyx d’un singe. Que les anciens aient soigneusement examiné des os humains en exerçant leurs fils à l’Anatomie, cela est bien attesté par les noms qu’ils ont attribués aux parties du corps.Livre 10 de l’ Histoire naturelle , chapitre 9. En effet je ne doute pas qu’ils aient appelé l’os coccyx d’après sa similitude avec l’oiseau que Pline nomme également coccyx (pour nous un coucou), surtout lorsque l’os n’est pas complètement dénudé de chair et de ligaments. En quoi consiste cette similitude, je vais le dire tout à l’heure, après avoir ajouté une brève description de ces os chez l’homme.Description du sacrum de l’homme. Sous les vertèbres lombales chez l’homme on trouve le plus souvent dix osa,a G, H, I, K dans la figure du chapitre 14 ; M, N dans les figures intégrales et dans les figures 1, 2 de ce chapitre.
b A, B, C, D, E, F dans la figure 1.
c Chiffres 1, 2, 3 dans la figure 4.
d R dans la figure du chapitre 14.
dont six[335] forment le sacrum humain, et quatre le coccyx. Les six vertèbres supérieuresb sont articulées les une aux autres comme les troisc formant le sacrum chez le chien, comme cela a été dit. Au milieu de leur face antérieure, elles montrent une articulation semblable à celle que les corps vertébrauxd pourraient réaliser, s’ils n’étaient joints au point qu’on ne puisse voir aucun corps cartilagineux dans l’union[336] de ces six ose,e l, l, R dans les figures 1, 2. sauf peut-être chez les tout petits enfants, dont les os ne sont pas encore rapprochés. Sur les côtés de cette face antérieure, là où les six processus transverses de ces vertèbres sont (pour ainsi dire) unis les uns aux autres, on discerne très indistinctement une trace d’union [crête ou ligne transversale]. Sur la face postérieure, toute trace d’union a disparu, et on voit un seul os, formé de ces six os. Aucune ligne d’union n’est en effet visible à cet endroit, sauf dans l’articulation de la première vertèbre avec la deuxièmef.f Z dans les figures 1, 2. En outre, il n’est pas rare d’observer que la forme de cette articulation entre la première et la deuxième vertèbre sur la face postérieure soit celle qui est habituelle entre les processus [articulaires] supérieurs et inférieurs dans les vertèbres lombalesh.h Y dans la figure 2. Mais même si ces processus sont joints de cette manière, les processus transverses de cette [première] vertèbre sont unis sur toute leur longueur à ceux de la deuxième vertèbre, de manière si solide que la première ne pourrait se mouvoir un tant soit peu sur la deuxième. Parfois cependant, les sacrums trouvés dans les cimetières montrent une première vertèbre qui a été cassée, et que l’on retrouve séparée des autres, comme si elle avait été une vertèbre lombale[337]. En effet, si la première vertèbre n’était pas pourvue de processus transverses épais et amples, on pourrait difficilement la distinguer de la forme des vertèbres lombales. Chez les enfants, l’union de ces six vertèbres est visible aussi sur la face postérieure, de même qu’elle est très apparente sur la face antérieure. Et de même que cette union n’est jamais complètement effacée sur la face antérieure du sacrum chez l’homme, on peut également toujours voir sur la face postérieure une trace de l’articulation des corps vertébraux entre eux. Si vous examinez attentivement le foramen incisé dans le sacrum pour la moelle spinale [canal sacré]i,i f, g, k, i, k dans la figure 2. en suivant son trajet, vous verrez que les corps vertébraux montrent une ligne d’union aussi clairement que sur leur face antérieure. En outre, la disposition de ces six vertèbres correspond à celle des trois vertèbres du sacrum chez le chien, chez qui la vertèbre supérieure est plus grande que celle du milieu et celle-ci plus grande que la dernière ; de même chez l’homme les vertèbres sont d’autant plus petites qu’elles sont placées plus bas. Cependant, la deuxième vertèbre réclame, pour elle-même, le privilège d’avoir des processus transverseskk Dans la figure 1, de Z au L inférieur (un peu en-dessous de ce L). plus proéminents à l’avant et à l’arrière, plus amples et plus épais que ceux des autres vertèbres sacrées. La face supérieure de la première vertèbre, ou vertèbre supérieurel,l Comparez cette partie supérieure dans les figures 1, 2 avec les figures du chapitre 17, ou observez cette articulation dans les figures intégrales et dans la figure du chapitre 14. ressemble tout à fait à la face supérieure de n’importe quelle vertèbre lombale. Et le corps de la cinquième vertèbre lombale est joint à la première sacrée de la même manière que les vertèbres lombales reçoivent les surfaces convexes des processus de la vertèbre supérieure. La face inférieuremm a dans la figure 1. de la sixième vertèbre diffère considérablement de celle de la troisième vertèbre chez le chien. Chez l’homme cette vertèbre ne produit aucun

×Exemples types de sujets proposés aux épreuves du baccalauréat et de la licence en médecine, sous forme de quæstiones. La critique très ironique de cet enseignement universitaire plus philosophique que médical va de pair avec la revendication d’une reconnaissance de l’anatomie descriptive en tant que discipline et connaissance du corps.
×Vésale poursuit l’argumentation en se référant aux leçons de Galien même qui avait recommandé à ses élèves de se fier à leurs yeux plutôt qu’aux livres écrits par les anatomistes précédents. Les critiques des livres trouvent leur légitimation dans l’observation, voir par exemple De usu partium II, 3 ; récemment C. Bonnet-Cadilhac a mis en œuvre cete méthode en disséquant des appareils génitaux caprins pour comprendre et expliquer les textes de Galien, L’anatomo-physiologie de la génération chez Galien, thèse de doctorat, EPHE (4esection), 1997.
×Le sacrum est fait de la réunion de 5 vertèbres sacrées soudées. Mais il arrive que la 5ème vertèbre lombaire (L5) soit soudée à la première vertèbre sacrée (S1) : on parle alors de sacralisation de L5, donnant l'impression que le sacrum est fait de 6 vertèbres soudées. À l’inverse, la première vertèbre sacrée (S1) peut ne pas être soudée à la deuxième (S2), séparée d’elle par un disque : on parle alors de lombalisation de S1, donnant l'impression que le sacrum est fait de 4 vertèbres soudées. Le coccyx, lui, est fait de 4 à 5 vertèbres soudées dont la morphologie est en réalité méconnaissable. La description d’un sacrum à 6 vertèbres reprend la description du rachis animal faite par Galien. Sur ce point précis, voir la réponse de Vésale à Fallope, Anatomicarum Gabrielis Falloppii observationum examen, Venetiis, apud Franciscum de Franciscis Senensem, 1564, p 37-38.
×Allusion à un phénomène de soudure quasi totale des vertèbres à la suite d’une ossification du disque intervertébral, tel qu’on peut l’observer chez les personnes âgées.
×Vésale semble décrire ici le processus assez fréquent de lombalisation de la première vertèbre sacrée.