Livre I
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des muscles pour le faciliter[345]? D’autre part, les mouvements du thorax, qui nous sont indispensables pour inspirer l’air, seraient complètement impossibles, si le thorax était constitué seulement d’os. Mais à l’inverse, si le thorax n’était constitué que de muscles utiles aux mouvements, ces muscles appuyeraient sur les poumons et sur le coeur, s’il n’y avait rien pour les retenir de l’extérieur. Donc, pour que le thorax ait une certaine capacité interne, et pour qu’il soit mû par un mouvement volontaire, des musclescc S, T, V, X dans la 6eplanche des muscles, et T, T, V dans la 11eplanche. sont placés en alternance avec les côtes. Cela constitue une sécurité peu négligeable pour le coeur et les poumons, car ils sont maintenant bien plus protégés que si le thorax n’était fabriqué que de muscles. En plus, la masse osseuse du thorax contribue merveilleusement à affermir et à soutenir les scapulae et les bras. En effet, les côtes sont les seuls supports des scapulae, et les clavicules ne prennent appui sur aucun autre os que les scapulae et l’os de la poitrine [sternum], comme nous l’enseignerons, et c’est sur les clavicules que le bras, l’avant-bras et la main sont attachés en série*.* Q, R, S, T, V, Z, r, Δ dans les figures intégrales. En outre, si le thorax ne comportait aucun os, il n’y aurait pas d’emplacement d’où seraient originaires les muscles pour les scapulae, les bras, l’abdomen et d’autres organes, et il n’y aurait pas de fondement sur lequel les muscles pourraient s’insérer ou se fixer. Le fait qu’un thorax osseux soit nécessaire, suscitant la plus grande admiration envers notre Créateur, nous l’apprenons surtout, entre autres choses, par l’exemple des tortues : bien qu’à l’abri dans leur domicile si sûr, elles montrent cependant sur les côtés de la poitrine et du thorax un assemblage osseux très élégant et très agréable à regarder, créé avec un talent incroyable dans le seul but de constituer un appui pour les pattes antérieures et de faciliter l’insertion d’origine des muscles moteurs des pattes de la tortue.Pourquoi il n’y a pas d’os dans l’abdomen. Mais on pourrait me faire une objection : Pourquoi ne pas avoir fait un abdomen osseux comme le thorax ? Si une telle structure, composée alternativement d’os et de muscles, entourait l’estomac, est-ce qu’elle n’empêcherait pas les phénomènes de contraction et de dilatation et est-ce qu’elle ne contribuerait pas à donner une plus grande sécurité à l’abdomen ? Celui qui poserait cette question doit apprendre que ce qui est contenu dans l’estomac ne pourrait pas se dilater et se contracter autant et aussi souvent qu’il est nécessaire, s’il était entouré d’une enceinte d’os. Si cela était le cas, les femmes ne pourraient pas concevoir, et l’être humain ne pourrait pas se contenter de faire un seul repas pour être rassasié, mais il devrait manger sans cesse, comme il respire sans cesse. Mais, me dira-t-on, avoir besoin de se nourrir sans cesse n’a rien absurde pour un homme, lui qui respire sans cesse, toute sa vie. Mais si nous avions ce même besoin en nourriture et en boisson, nous mènerions une vie étrangère à la philosophie et aux arts : constamment préoccupés par la nourriture, nous ne porterions aucune attention aux choses les meilleures et les plus belles. À l’inverse, si le grand volume abdominal dont les femmes ont besoin dans les derniers mois de leur grossesse était osseux, qu’y aurait-il de plus inepte que ce volume ? Le fœtus une fois expulsé, combien gênante l’enflure ne serait-elle pas ? Et cependant, alors qu’il ne contiendrait rien de ce qui est utile à la fabrique du corps, ce volume ne risquerait-il pas de ne plus désenfler, et donc de ne plus protéger comme il le doit les intestins et l’estomac, et de ne plus se trouver contre ces organes à la manière d’un plumasseau[346], ou de ne plus garder leur chaleur ? Mais nous développerons cela abondamment plus loin, dans le cinquième livre, et nous montrerons également que le talent de la Nature dans la structure de l’abdomen fut si grand qu’elle a placé les organes abdominaux qui n’ont pas besoin d’alternativement se dilater et se contracter sous d’autres organes, ou qu’elle les a protégés tout autant que le poumon. En effet le foie et la rate sont protégés par les côtes, et les reins se trouvent derrière plusieurs autres organes dans le dos, précisément parce qu’aucun de ces organes ne doit se dilater. Mais avec cette remarquable prévoyance dont nous avons déjà parlé, la Nature a voulu que les autres organes de l’abdomen ne soient pas empêchés d’accomplir leurs fonctions par une structure osseuse.Quel était le principal but de la Nature en édifiant le thorax. Donc, puisque ni la respiration ni la voix ne peuvent exister sans le thorax, et que le coeur et surtout le poumon doivent être protégés par le thorax, [la Nature][347] qui a créé les choses devait avoir quatre buts en édifiant le thorax : la voix assurément, la respiration, les dimensions du coeur et du poumon. En effet, la grandeur du thoraxd,d Figures 12, 13 du livre VI. dont la forme est plus ou moins ovale, doit correspondre à la masse du poumon. Cependant le poumon s’adapte à la forme du thorax[348], et non l’inverse. Quand je décrirai le poumon, je montrerai sans difficulté qu’il n’a pas de forme spécifique, pas plus que le foie ou la rate ou même le cerveau d’une certaine façon.Le nombre de côtes. Il est temps maintenant de décrire les os du thorax dans l’ordre, et puisque nous avons décrit auparavant les vertèbres thoraciquese,e De C à D dans la figure du chapitre 14 et dans les figures du chapitre 17 [16].
f Chiffres 1 à 12 dans les figures 1, 2.
nous allons commencer notre exposé par les côtes. Donc les hommes et les femmes ont douze côtes de chaque côtéf: il est plus rare d’en trouver seulement onze, mais parfois nous en avons trouvé treize, de même qu’il est plus fréquent de trouver treize vertèbres que onze, comme nous l’avons rapporté plus haut[349]. En effet, chaque côte s’articule avec une vertèbre thoracique sur chacun des côtés.Les hommes et les femmes ont le même nombre de côtes. Quant à la croyance populaire selon laquelle les hommes ont perdu une côte sur l’un des côtés, et ont une côte en moins que la femme, elle est tout à fait ridicule, même si Ève a été créée par Dieu à partir d’une côte d’Adam, comme l’a rapporté Moïse dans le deuxième chapitre de la Genèse. Si l’on avait assemblé les os d’Adam en forme de squelette, il aurait peut-être manqué une côte sur un des côtés, mais ce n’est pas à cause de cela que tous les hommes doivent avoir une côte en moins.Histoire des animaux, livre 1, chapitre 15. Aristote n’a attribué que huit côtes à l’être humain, mais il était disposé à concéder que certaines peuplades de la Ligurie n’en avaient que sept, à condition de pouvoir établir cela par le témoignage d’une autorité reconnue. Mais de même que sur ce dernier point le jugement d’Aristote dépendait des rapports d’autres auteurs, l’affirmation précédente est faite de la même manière et c’est d’après des récits faits par d’autres qu’il a assigné huit côtes à l’être humain,

×L’observation est juste. Cf. note 340.
×Le terme latin de penicillum est attesté chez Celse, De Medicina VI, 6, 9 (éd. J. Henderson, The Loeb Classical Library, Londres, 2002, t. II, p. 202). Sur l’usage du plumasseau, pinceau ou boudin de charpie ou d’éponge fine, pour la chirurgie des plaies et en opthtalmologie, cf. Dictionnaire des sciences médicales, vol. 54 (SYMPH-TES), Paris, C.L.F. Panckoucke, 1821, p. 540 ; H. Thédenat, Cachets inédits des médecins oculistes. Magillius et D. Gallius, Paris, A. Sauton, 1880, http://bibnum.enc.sorbonne.fr/gsdl/collect/tap/archives/pdf.
×Le thème de la Natura Opifex est récurrent.
×L’observation est également faite à propos de la rate dans l’Epitome, cf. J. Vons et S. Velut, A. Vésale. Résumé de ses livres sur la Fabrique du corps humain, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 66 et 127 note 103.
×R. Colombo, De re anatomica I, chap. XIX, Venetiis, ex typ. Nicolai Bevilacquae, 1559, p. 111, affirme avoir disséqué à Pise, en présence de plusieurs témoins médecins, une femme ayant une côte surnuméraire, alors qu’il remplaçait A. Vésale lors du séjour de ce dernier à Bâle pendant l’impression de la Fabrica.