Livre I
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et qu’il nous a transmis faussement une chose qu’il n’avait pas vue. Si nous découvrons qu’il a fait cela si souvent dans la fabrique de l’homme, quel jugement allons-nous porter sur le reste de son Histoire des animaux[350]?La symétrie des corps des Liguriens. Je me souviens cependant qu’un jour, pendant que j’expliquais ce passage d’Aristote dans les écoles de Padoue, deux jeunes nobles de Gênes, promis à un grand avenir (à cause de leur connaissance exceptionnelle des lettres et du droit civil), Jacopo Nigro et Francesco Pinelli[351], m’ont appris que sur les tombeaux antiques, les Liguriens les plus courageux étaient dénommés heptapleuroi (« qui ont sept côtes »)[352], car ce peuple était aussi spectaculaire par la symétrie et le nombre de ses membres que par son ardeur au combat sur terre et sur mer[353]. Il y a donc douze côtes de chaque côté, les sept côtes supérieures s’articulent avec l’os de la poitrine [sternum] et les vertèbres thoraciques comme nous le dirons plus tard ; les cinq côtes inférieures sont attachées seulement aux vertèbres, elles ne se dirigent pas vers l’os de la poitrine [sternum], mais elles se terminent sur les côtés du thorax et sont jointes l’une à l’autre par les terminaisonsgg F dans la figure 1. de leurs cartilages, excepté la douzième côte, qui est entièrement séparéehh H dans la figure 1. de la onzième et qui ne lui est nulle part contiguë. Cela arrive aussi assez fréquemment pour la onzième côte qui dans ce cas ne rejoint pas le cartilageii G dans la figure 1. de la dixième côte. Ces cinq côtes inférieures, qui ne s’articulent pas avec l’os de la poitrine [sternum], sont appelées par les Grecs nothai, c’est à dire « fausses côtes » ou « côtes illégitimes »[354].La substance des côtes et leur appendice. Toutes les côtes ont en commun le fait d’être constituées d’une substance osseusekk De a à A via f dans la figure 3.
l De B à E dans la même figure, ou de A à B dans la figure 1.
m L, M dans la figure 4.
et cartilagineusel, et d’être pourvues d’un appendicem à l’endroit où elles s’articulent aux corps des vertèbres, là où elles forment une petite tête saillante, comme vous l’entendrez.La substance osseuse. La substance osseuse des côtes n’est pas identique en chacune de ses parties. Là où les côtes s’articulent avec les vertèbres, et là où elles forment le rachis, elles sont plus solides et beaucoup plus dures que sur les côtés du thorax et près de la région de la poitrine, là où leur substance plus spongieuse est recouverte d’une écaille ou d’une lame fine ; enfin, cette substance est extrêmement fine à l’endroit où elle dégénère en cartilage*.* Les figures 4, 5 montrent une côte brisée, à Φ. La substance cartilagineuse. Le cartilage non plus ne montre pas le même aspect partout; en effet le cartilage des côtes inférieures est plus mou, d’où peut-être le nom traditionnellement attribué par certains aux côtes illégitimes, chondroi, comme qui dirait « cartilages ». Mais le cartilage des côtes supérieures est plus dur et plus solide, et à l’intérieur il s’ossifie chez les sujets âgés, comme nous en faisons l’expérience chez les ovins et les bovins, et chez presque tous les animaux de ce genre, dont le cartilage consiste à l’intérieur en un os friable, blanc et fragile, recouvert à l’extérieur d’un cartilage comme d’une membrane. Et dans les singes et les chiens, il est également évident que Galien a affirmé que les cartilages des vraies côtes étaient osseux, mais que ceux des fausses côtes étaient purement cartilagineux.Livre 8 des Procédures anatomiques et partiellement dans le chapitre 13 du livre Des os .
Les côtes n’ont pas toutes la même longueur.
Cependant, chez les hommes (sauf s’ils sont très avancés en âge), ce cartilage paraît seulement se terminer en substance osseuse[355], alors que chez des chiens encore jeunes et chez les animaux que nous avons recensés ci-dessus, il s’ossifie complètement. La masse de ce cartilage n’est pas la même pour toutes les côtes, de même que la longueur de toutes les côtes n’est pas égale. En effet la première et la douzième sont les plus courtes, suivies de la deuxième et de la onzième, qui toutes ont des cartilages courts. Mais les sixième, septième et huitième côtes sont les plus longues et ont les plus longs cartilages. Le cartilage de la première côte est le plus grand, de même que cette première côte dépasse en grandeur toutes les autres, suivie de la deuxième, puis de la troisième ; les douzième et onzième côtes sont les plus fines et se terminent par les plus fins cartilages. Celles qui sont au milieu participent des deux : leurs cartilages s’élargissent sur leur trajet en s’éloignant de la substance osseuse de la côte. Bien que les cartilages formant les intervalles [espaces intercostaux] entre les six côtes supérieures soient équidistants l’un de l’autre sur tout leur trajet, ceux des sixième, septième, huitième et parfois neuvième côtes varient en largeur dans leur trajet et, se touchant l’un l’autre, ils remplissent les espaces intercostaux avec leur propre substancen.n I, I dans la figure 1. Les cartilages des cinq fausses côtes se terminent en pointes effiléeso,o F dans la figure 1.
p C dans la figure 1.
mais pas ceux des vraies côtes. De fait, le cartilagep de la première côte est plus large quand il se termine en étant solidement attaché à l’os de la poitrine [sternum] qu’au début quand il prolonge la substance osseuse de la côte. Les cartilages des deuxième et troisième côtes et ceux des trois suivantes s’effilent progressivement sur leur trajet et se teminent chacun par un tuberculeqq D dans la figure 1, E dans la figure 3. au moyen duquel elles s’articulent ensuite avec l’os de la poitrine [sternum], comme nous l’enseignerons.Surfaces costales lisses et surfaces costales rugueuses. Les côtes ne sont pas uniformément lisses ; en effet sur la face interne tournée vers la membrane [plèvre costale ] qui les tapisse, elles apparaissent toutes lisses, sans rugosités ; cependant la troisième côte et celles qui la suivent jusqu’à la dixième montrent vers le bas sur leur face interneSinus costal. un sinus [sulcus costæ ou gouttière costale]rr K dans les figures1, taillé longitudinalement ; il n’est pas visible sur toute la longueur de la côte, mais essentiellement dans la partie où la côte commence à s’écarter de la vertèbre et à s’approcher des côtés du thorax[356]. Ce sinus est préparé pour un rameauss G, G dans la figure du chapitre 6 du livre III. de la veine cave que la veine sans pair [veine azygos] déploie vers les côtes, ensuite pour un rameau de la grande artère [aorte]tt k, k dans la figure du chapitre 12 du livre III.
u Figure 2 du chapitre 11 du livre III : les principaux rameaux suivent la direction des côtes.
et pour un nerfu originaire de la moelle spinale. Parce que ces vaisseaux sont amples dans les côtes centrales, et qu’ils se suivent toujours dans le même ordre, alors qu’ils sont très petits dans les trois côtes supérieures qu’ils sillonnent en tous sens, il n’est pas étonnant que les côtes centrales soient pourvues d’un tel sinus, mais pas les supérieures ; de plus, comme les trois côtes inférieures apparaissent fines et concaves sur leur face interne, même si de grands vaisseaux les parcourent, elles offrent un passage sûr pour ces vaisseaux sans avoir besoin de tels sinus. Le sinus taillé pour le passage des vaisseaux rend la partie inférieure de la côte plus fine et plus effilée que la partie supérieure qui est visiblement plus obtuse et (pour ainsi dire) plus arrondie. La surface externe des côtes est convexe,

×L’attitude sceptique de Vésale à l’égard d’Aristote, dans le contexte padouan en particulier, mériterait d’être commentée au même titre, sinon davantage, que les critiques de Galien.
×Ces deux jeunes nobles n’ont pu être identifiés, mais la famille des Pinelli est bien représentée dans les milieux érudits au début des temps modernes, voir par exemple P. Carta, « Géographie et politique au début de l’âge moderne », Laboratoire d’italien, Paris, ENS, 2008, p. 164. Dans l’édition de 1555 de la Fabrica, le nom de Francesco Pinelli est remplacé par celui de J. Centurio, autre jeune noble gênois ; ce dernier est cité dans le chapitre 27 du livre I dans l’édition de 1543, à propos d’une singularité morphologique du métacarpe, et étrangement ne figure plus dans ce même chapitre dans l’édition de 1555. C. D. O’ Malley, Andreas Vesalius of Brussels, op. cit., Berkeley et Los Angeles, 1964, p. 278, suppose que Centurio est mort avant 1555. Dans ce cas, le remplacement de Pinelli par Centurio peut être attribué à un défaut de mémoire ou d’attention, sur un point secondaire.
×Erreur typographique (heptapteuroi) corrigée dans le texte latin.
×Le sens de l’inscription est évidemment laudatif dans le contexte guerrier, mais l’image reste obscure et n’est pas utilisée à ma connaissance par les historiens latins de l’antiquité. Sur les Liguriens, leur origine, l’extension de leur territoire, leurs mœurs et leurs guerres contre les Romains, on peut consulter, outre les Histoires de Tite-Live, la compilation qu’en a tirée F. Sabattier, Dictionnaire pour l’intelligence des auteurs classiques grecs et latins, t. 25, Paris, Delalain, 1778, p. 392-402.
×Dites aussi côtes flottantes.
×La phrase est obscure, mais il ne semble pas nécessaire d’inclure une négation dans la principale comme le fait W. F. Richardson, On the fabric of the human body, op. cit., San Francisco, 1998, p. 211, si on considère que Vésale distingue ici l’ossification précoce des cartilages costaux chez les animaux de celle qui n’est attestée chez l’homme qu’à un âge très avancé et qui n’est pas évidente (videtur) auparavant, cf. M. Biesbrouck, « Les éléments anatomo-cliniques dans le premier livre de la Fabrica (1543) d’André Vésale », in Pratique et pensée médicales à la Renaissance, J. Vons (éd.), Paris, De Boccard, 2009, p. 267.
×Cette gouttière ou sulcus costæ commence effectivement un peu en arrière de l’angle costal et occupe le tiers inférieur de la face interne ; elle répond au paquet vasculo-nerveux intercostal.