Livre I
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Je voudrais approfondir ces points d’autant plus sérieusement qu’ils s’opposent aux théories de Galien ; mais comme ce travail est déjà suffisamment long, je ne voudrais pas citer tous les passages de Galien avec lesquels, après avoir réfléchi, je suis en désaccord ni ajouter les raisons de mon désaccord, parce qu’un lecteur attentif, même s’il n’a pas été averti, les remarquera suffisamment. Mais pour qu’on ne pense pas que j’aie trop négligé les opinions de Galien, chef de file des Anatomistes, et surtout celles dont je recommande habituellement l’étude aux étudiants qui assistent à mes dissections publiques[419], je vais prendre seulement un exemple dans la description du radius et de l’ulna, qu’il enseigne en long et en large et maintes fois : il s’agit du processus pointu de l’ulna que nous comparons à un stylet [processus styloïde]. Je passe sur le fait que Galien assigne à l’ulna une grande partie de la cavité, soit (pour autant que je comprenne d’après ses textes) la moitié de la cavité avec laquelle le carpe est articulé, et qu’il attribue à ce processus styloïde une articulation particulière avec le carpe, dans le passage du livre Des os qu’il consacre à la description complète du radius et de l’ulna[420].Livre des Os . Premier livre des Procédures anatomiques . Deuxième livre de l ’Utilité des parties . Mais un peu plus loin, quand il énumère les os du carpe, il décrit une forme de connexion dans laquelle le troisième os [os pyramidal ou triquetrum]ff Chiffre 3 dans les figures 1, 2, 3, 4, 5 [du chapitre 25]. de la rangée supérieure [proximale] du carpe, en regard du petit doigt, est concave et [il dit] que le processus styloïde de l’ulna entre dans cette cavité ; c’est comme s’il proposait deux types d’articulation du poignet[421] avec l’ulna et le radius : la première se réfère à l’ulna et au radius joints, la deuxième au processus styloïde de l’ulna. Et il assure que cette dernière articulation permet les mouvements obliques du poignet et la première les mouvements en droite ligne par lesquels nous étendons et fléchissons la main. Je pense que par «  mouvement oblique » Galien comprend celui par lequel nous donnons un mouvement latéral à la main, d’un côté ou de l’autre, semblable au mouvement par lequel nous rapprochons et écartons les doigts les uns des autres. En effet c’est presque toujours ainsi que Galien comprend le mouvement latéral ou oblique. Mais si cela est, qu’est-ce qui pourrait être plus absurde que de répéter que ce mouvement est la fonction du processus styloïde ? Alors que non seulement il est loin de pouvoir aider un tant soit peu ce mouvement, mais qu’il l’empêcherait plutôt, comme si on attachait une baguette ou un bâton sur le côté du poignet et de l’avant-bras en même temps, comme nous voyons des mères attentionnées lier ensemble le pouce gauche et l’avant-bras gauche de leurs enfants, quand elles les voient trop utiliser la main gauche et qu’elles craignent qu’au fil du temps ils ne finissent par utiliser la main gauche pour la droite[422]. Ensuite, si vous voulez examiner le passage dans le second livre de l’Utilité des parties, vous remarquerez que là aussi Galien compte une forme d’articulation double, et qu’il dit que celle formée par le processus styloïde a pour fonction de donner un mouvement de pronation et de supination à la main, et aussi un mouvement latéral. Après avoir soigneusement examiné la chose, vous reconnaîtrez que cette affirmation n’est pas moins opposée à la vérité que la précédente, surtout quand vous apprendrez que presque tout le carpe est articulé principalement avec le radius [articulation radio-carpienne] de telle sorte que le mouvement de la main est secondaire et suit celui du radius en pronation et en supination, et quand vous comprendrez que ces mouvements seraient nécessairement impossibles si le processus styloïde était articulé avec le carpe comme l’enseigne Galien. Mais, pour ne pas m’attarder davantage sur un sujet parfaitement clair, il est bien attesté chez les ovins et les bovins que l’articulation du carpe et de l’avant-bras chez ces animaux, qui correspond plus ou moins à la description de Galien, ne permet aucun mouvement ni sur le côté, ni en pronation, ni en supination. Car chez ces animaux le processus styloïde de l’appendice de l’ulna est de forme oblongue et répond à une cavité qui lui est propre dans le carpe, et aucun cartilage spécifique [disque articulaire] n’intervient entre l’ulna et le carpe, à part celui qui recouvre les os comme une croûte. Ce genre de cartilage est cependant visible chez l’homme, chez qui le processus n’excède pas ce cartilage en hauteur autant qu’on peut le voir dans la partie supérieuregg α dans les figures 1, 3, 4, 5. de la cavité creusée dans l’appendice du radius. En effet cette partie est saillante pour la même raison que le processus styloïde de l’ulna, c’est-à-dire pour former une cavité [surface articulaire carpienne]hh k et i dans la 12eplanche des muscles. convenant au carpe, et produire des ligaments assez robustes pour maintenir l’articulation. Mais il n’y a pas qu’un os du carpe articulé avec la cavité du radius, il y en a trois qui sont articulés avec le radius et l’ulna : nous allons enseigner que deuxii Chiffres 1, 2 dans les figures 1, 2, 3, 4, 5 du chapitre 25. d’entre eux [os semi-lunaire ou lunatum et os naviculaire ou scaphoïde] se rapportent uniquement à la surface articulaire carpienne du radius, et que le troisième [os triquetrum]kk Chiffre 3 dans les mêmes figures. est en regard du cartilage qui revêt seulement le radius, et du processus styloïde de l’ulna ; à cause de cela, la surface articulaire du radius apparaît en quelque sorte double [facette lunarienne et facette scaphoïdienne]l,l x, y dans la figure 8.
m z dans la figure 8.
et elle a une petite protubérancemà l’endroit où le premier os du carpe est uni au deuxième (comme nous allons l’expliquer dans le chapitre suivant). Telle est la manière dont le carpe s’articule avec le radius.Dépressions du radius convenant au passage et à l’emplacement de muscles et de leurs tendons. Il faut encore examiner la partie du radius à laquelle est attaché un appendicen,n n dans les figures 1, 3. et examiner aussi la surface interne et légèrement concave de cet appendice, apte à recevoir l’emplacement du muscle inférieur qui conduit le radius en pronation [muscle carré pronateur]oo X dans la 7eplanche des muscles.
p Dans la main sur les 5eet 6eplanches des muscles.
et à fournir une voiep bien définie à la série de tendons qui s’étirent le long de l’avant-bras et qui servent à fléchir les doigts. La partie externe de cette surface du radius est convexe car elle doit être plus résistante aux attaques de l’extérieur (puisqu’elle est placée à l’extérieur) ; cependant pour empêcher les tendons qui s’étirent le long de l’avant-bras et gagnent la main en étant conduits sur cette partie convexe, d’être déviés de leur route et de se mélanger ensuite, de nombreuses dépressions sont creusées sur cette surface, par lesquelles passent des tendonsqq [Voyez] les chiffres placés sur cette surface dans les 1eet 2eplanches des muscles. qui sont entourés par des ligaments transverses comme par des anneaux, comme nous l’expliquerons dans le deuxième livre. Il y a quatre cavités de ce genre : la premièrerr γ dans les figures 2, 4.
s Z dans la 9eplanche des muscles.
t δ dans les figures 2, 4.
u p dans la 10eplanche des muscles.
x ε, ζ dans les figures 2, 4.
est large et sert aux tendonss qui étendent l’index, le médius et l’annulaire[423]. La deuxièmet transmet le tendonu qui écarte l’index et le médius du pouce[424]. La troisièmex est en quelque sorte

×C’est ce que confirment les notes d’Heseler prises au cours des séances d’anatomie à Bologne, en janvier 1540, cf R. Eriksson, A. Vesalius’first public anatomy at Bologna, op. cit., Uppsala, 1959, passim.
×Galien, De ossibus (éd. Balamius, Paris, 1535, p. 37-38 ; éd. I. Garofalo et A. Debru, Paris, 2005, p. 74-76).
×Rappelons que le poignet est l’articulation incluant celle entre le radius et la rangée proximale des os du carpe (articulation radio-carpienne) et celles entre les deux rangées des os du carpe (articulations intercarpiennes).
×L’anecdote est reprise textuellement dans le chapitre suivant.
×Cf. Fabrica II, chap. 43 (dix-septième muscle des doigts).
×Ibid. (dix-neuvième muscle des doigts).