Livre I
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Le carpe est constitué de huit os, différant entre eux par la forme. Les Grecs appellent karpos la partie de l’extrémité de la main[429]aa De V à Z dans les trois figures intégrales, et 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 dans toutes les figures du chapitre. articulée avec l’avant-bras ; à l’exemple de Celse, nous l’appelons brasselet[430] : il est constitué de huit os sur deux rangées. Chez les adultes, ces os sont durs et très petits, peu spongieux à l’intérieur ; comme les appendices, ils contiennent peu de moelle, mais ils n’en sont pas complètement dépourvus, cela se voit surtout chez les plus grands d’entre eux. Ils n’ont pas tous la même taille, ni la même forme, ni la même situation ; il n’y en a a aucun qui ressemble tout à fait à un autre ; et chacun d’eux se remarque par quelque chose de particulier qui fait qu’on peut facilement les distinguer l’un de l’autre. En outre, bien qu’ils soient différents, ils s’ajustent l’un à l’autre avec une telle symétrie et forment une harmonie si grande dans leur union qu’il est très difficile de trouver leur nombre ; et si vous ne coupez pas les ligaments très solides et cartilagineuxbb Δ dans la 8eplanche des muscles et l dans la 12e. qui les recouvrent, en même temps que les membranes, en les enlevant soigneusement avec un rasoir, ils pourront apparaître comme un seul os, ou bien vous pourriez penser avec Celse que leur nombre est incertain[431].Surfaces des os carpiens recouvertes par des ligaments et surfaces recouvertes par du cartilage. Par ailleurs, maintenus entre eux par ces liens nerveux[432] et cartilagineux (mais qui ne sont pas indivisibles, comme certains le pensent), tous ces os ensemblecc Comparez la figure 1 avec la figure 2, et la figure 3 avec la 4. présentent deux faces complètes, dont l’une, celle qui est externe [face dorsale] est convexe, comme il convient à sa fonction par rapport à la main, tandis que la face interne [face palmaire] est en creux et concave, comme cela convient aussi à cette partie de la main. Seules ces faces sont attachées ensemble par des ligaments ; à la partie supérieure [proximale]d,d Figure 5. là où les os sont unis à l’avant-bras, elles sont lisses, et encroûtées de cartilage, comme aussi sur la partie inférieure [distale]ee Figure 6. de ces os, là où ils sont articulés avec les os du métacarpe et avec la première phalange du pouce. En outre, là où ils s’articulent l’un avec l’autre, en se touchant, les os ne sont pas complètement rugueux, ni irréguliers ni abondamment pourvus de ligaments, mais ils ont tous des dépressions peu profondes, enduites d’un cartilage fin et lisse : elles reçoivent les têtes (ou tubercules) des autres os, également lisses, et recouvertes d’un cartilage. En effet, aux endroits où les os du poignet sont en contact [articulations intercarpiennes], il n'y a aucune intervention de ligament ou de membrane, sauf dans les articulations entre les os de la rangée inférieure [distale], où quelquefois, mais cela mérite à peine une observation, se trouve un ligament cartilagineux qui ressemble à un pois, et là où les os de la rangée inférieure ne se touchent pas de manière aussi étroite ni aussi ajustée que les os de la rangée supérieure [proximale].Pourquoi il y a deux rangées d’os dans le carpe. C’est avec raison que la Nature a entrepris de construire deux rangées d’os dans le carpe, principalement dans le but suivant : il fallait un autre moyen que celui utilisé dans la jonction de la rangée supérieureff 1, 2, 3, 4 dans toutes les figures. et de l’avant-bras, pour joindre la rangée inférieure [distale]gg 5, 6, 7, 8 dans toutes les figures. au métacarpe et à la première phalange du pouce ; en effet, dans ce dernier cas, l’articulation se fait avec des os distincts et séparés, alors que la jonction avec l’avant-bras se fait comme si c’était un seul os ; il était donc nécessaire que les os de la rangée supérieure [proximale] soient unis l’un à l’autre d’une manière plus étroite et plus ajustée que ceux de la rangée inférieure et sans l’intervention d’un corps quelconque. Ceux qui ont l’expérience des dissections mentionnent cette distinction [d’articulation] comme la principale raison du nombre élevé d’os carpiens ; ils expliquent en second lieu que leur nombre fait obstacle à la douleur, en considérant que le carpe résiste davantage aux lésions, parce qu’il est composé de nombreux os qui, grâce à leurs nombreuses articulations, cèdent devant ce qui les frappe et atténuent ainsi la violence du choc, comme nous voyons une lance ou une flèche pénétrer plus difficilement des surfaces molles que dures. Eu égard aux innombrables variétés de mouvements des mains, nous remarquons que la résistance et le nombre élevé de ces os construits par la Nature ne sont pas un argument à négliger. Par ailleurs je vais maintenant entreprendre la description des multiples cavités et tubercules dont les os du carpe sont pourvus.Les noms des os du carpe. Sur la rangée supérieure [proximale] du carpe, en regard de l’avant-bras, quatre os sont placés, que nous nommerons méthodiquement d’après leur place dans la rangée : nous appellerons constamment premier os [os scaphoïde]hh 1 dans les cinq premières figures. celui de la première rangée qui est placé le plus vers l’intérieur[433], deuxième os [os lunatum]ii 2 dans les mêmes figures. celui qui lui succède et qui est plus éloigné, troisième os [os triquetrum]kk 3 dans les mêmes figures. celui qui est plus près que le précédent du côté extérieur [latéral], quatrième os [os pisiforme]ll 4 dans les mêmes figures. celui qui occupe le côté le plus extérieur [latéral]. De même pour les os de la deuxième rangéemm Série de 5, 6, 7, 8 dans toutes les figures. : nous les appellerons cinquième os, sixième, septième et huitième, et nous entreprendrons la description de chacun d’eux en suivant cet ordre.L’articulation du carpe avec l’avant-bras [radio-carpienne] Le premier, le deuxième et le troisième os sont unis l’un à l’autre de manière étroite et très resserrée et ils forment une seule rangée comme s’ils étaient un seul os ; et ainsi la rangée supérieure [proximale] du carpe est formée comme si elle était une grande tête allongée d’un seul os harmonieusement articulée avec une face concave dans le radius et avec l’ulna. Le premier et le deuxième os se placent dans la face concavenn x, y dans les figures 1 et 8 du chapitre 24. de l’appendice du radius, mais le troisième s’appuie sur le cartilageoo T dans les figures 1, 2, 3, 8 du chapitre 24. qui, provenant du radius, sépare en grande partie l’ulna du carpe, comme nous l’avons écrit. Quoique le côté externe du troisième os soit également en contact avec le processus pointu [processus styloïde] de l’appendice de l’ulnapp R dans les figures 1, 2, 5, 10 du chapitre 24. lorsque nous inclinons la main vers l’extérieur, ce troisième os ne présente chez l’homme aucune face concave enduite de cartilage telle qu’on puisse la discerner à l’oeil et qu’elle puisse être considérée comme une cavité faite pour ce processus ; car ce processus lui-même n’est saillant que sur le côté de la face concave formant l’articulation du poignet, à la manière des sourcils d’autres cavités et de l’apexqq αdans les figures 1, 2, 7 du chapitre 24. (inclus dans cette région) de l’appendice du radius. On peut facilement en juger par le toucher, si on replie la main vers l’intérieur et qu'on s'efforce d’insérer le bout du pouce de l’autre main entre le carpe et l’ulna. C’est donc ainsi que les trois premiers os de la rangée supérieure [proximale] du carpe sont étroitement articulés l’un avec l’autre et qu’ils forment un relief tel qu’ils constituent comme une seule tête carpienne, lisse et encroûtée[434] de cartilage, par laquelle le carpe s'articule avec l’avant-bras et accomplit des mouvements nombreux et énergiques, comme s’il était formé d’un seul grand os.Caractéristiques propres au quatrième os [os pisiforme]. Le quatrième os du carpe n’a aucun contact avec l’ulna[435], mais sur sa face supérieure, il reçoit une portion du ligament de cette articulation,

×La description se fait à partir de l’axe du corps vers l’extrémité du membre : scapula, acromion, humérus (os du bras, entre épaule et coude), radius et ulna dans l’avant-bras ou cubitus, entre coude et poignet, carpe (que Vésale appelle brachiale), métacarpe (appelé postbrachiale par Vésale), main, doigts. On distingue aujourd’hui par l’adjectif brachial ce qui appartient au bras (entre épaule et poignet), par antebrachial ce qui appartient à l’avant-bras (entre coude et poignet), l’adjectif postbrachial n’est plus utilisé. Cf. note 421.
×Le terme de «  brasselet », inusité aujourd'hui, est employé dans les textes anatomiques français de la Renaissance, cf. Ch. Estienne, La dissection des parties du corps humain en trois livres, avec les figures et declarations des incisions composees par E. de la Rivière, chirurgien, Paris, Simon de Colines, 1546, p. 26 (l’auteur indique aussi le terme de poignet, utilisé par le vulgaire, et celui de rassette appartenant au jargon des chirurgiens). Nous avons gardé les termes usuels de «  poignet » et de «  main » pour désigner les régions du corps, mais les noms de «  carpe » et de «  métacarpe » dans le contexte de la description des os. Celse, De Medicina VIII, 15-17 (éd. J. Henderson, The Loeb Classical Library, t. III, Londres, 2002, p. 574-576), écrit prima palmæ pars pour désigner cette région.
×Ce chapitre contient la première description détaillée de l’anatomie osseuse du carpe. La brièveté des phrases correspond à la présentation orale de ces osselets.
×La confusion entre nerfs, tendons et muscles est relativement fréquente.
×La position de référence habituelle du cadavre chez Vésale (paume posée sur la table) diffère de celle en usage aujourd’hui. Le scaphoïde est l’os le plus proximal face à la colonne du pouce, le trapezum en est l’os carpien distal.
×Exemple de recherche de variété lexicale. Nous avons gardé dans la traduction l’alternance des termes utilisés par Vésale pour désigner la couverture cartilagineuse (encroûter, recouvrir, enduire) parfois sur une même page.
×Il n’y a pas d’appel de note dans le texte, mais dans la marge, on lit l’indication suivante annoncée par la lettre r  : «   Il n’est plus nécessaire que je continue à annoter ces os dans la marge, puisque les caractères numéraux se trouvent sur toutes les figures de ce chapitre  ».