Livre I
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il aurait nui à la perfection et à la fermeté de l’extension des doigts, et l’aurait rendue moins ferme qu’elle ne l’est actuellement, outre que cela n’aurait servi à rien (car nous pouvons tout faire avec trois phalanges). Les structures composées de plusieurs parties se fatiguent, s’affaiblissent et perdent de leur force plus vite que celles formées de peu de parties, principalement quand il est impossible de conserver toutes les petites parties jointes et connectées l’une à l’autre (comme les os du carpe) dans toutes leurs fonctions. Et à l’inverse, si les doigts étaient constitués de moins de trois phalanges, nous ne pourrions pas agiter les doigts dans des positions si nombreuses et si opposées ; trois est donc le meilleur nombre pour diversifier les mouvements et pour diminuer les occasions de souffrance.La taille des phalanges est justifiée. Il est important que chaque os placé en-dessous soit plus grand que celui placé au-dessus (autrement dit que chaque os portant soit plus grand que l’os porté), c'est donc avec raison que la Nature a fabriqué la première phalange [phalange proximale] de chaque doigt plus grande que la deuxième [phalange intermédiaire], et la deuxième plus petite[452] que la troisième [phalange distale], en diminuant progressivement les phalanges non seulement en longueur, mais aussi en épaisseur et en largeur ; c’est ainsi qu’elle a affiné progressivement les doigts depuis leur base assez large jusqu’à leur pointe, en leur donnant une forme que nous trouvons très belle chez les femmes[453].La forme des phalanges et des doigts entiers est celle qui convient le mieux. Cependant, avec un talent admirable, elle a prodigué plusieurs formes variées aux phalanges et aux doigts ornés d’ongles et couverts par la peau. Elle a donné à l’ensemble des doigts une forme presque cylindrique, parce qu’elle savait qu’une forme de ce genre serait le moins exposée aux nuisances, puisqu’elle n’a pas de protubérance qui pourrait être brisée ou lésée par des agressions extérieures. Considérez que cette forme de doigts, très convexe sur la face arrière [dorsale], mais plus concave sur la face interne [palmaire] et latéralement, a été faite en vue de leur utilité. En effet, c’est par la partie interne [palmaire] que les doigts assouplissent les objets, les poussent, les frottent, les prennent : et toutes ces actions se feraient moins bien, si les doigts étaient convexes à cet endroit ; pour ne rien dire ici de la substance adipeuse assez ferme et pleine de nerfs, placée à la face interne [palmaire] des doigts, en vue des fonctions que nous avons déjà mentionnées, et en guise de protections des tendons, comme je l’expliquerai plus longuement dans le chapitre qui y est consacré dans le deuxième livre[454]. Mais comme nous ne cherchons à faire aucune de ces actions par la partie arrière [dorsale] des doigts, et que nous ne l’utilisons pour aucune autre tâche, il était conforme à la raison que les doigts fussent presque cylindriques dans le seul but de présenter une meilleure résistance en cas d’accidents. Par ailleurs, puisque les doigts étaient moins exposés latéralement aux coups, et qu’il ne devait pas y avoir d’espace vide entre eux lorsqu’ils étaient serrés et comprimés, ils n’avaient absolument pas besoin d’être convexes latéralement. Le pouce et le petit doigt suffisent pour assurer avec l’index ces actions dont nous venons de parler, à condition que le pouce soit convexe sur les deux faces latérales, mais surtout sur le côté vers l’intérieur [côté médial aujourd’hui], le petit doigt convexe sur le côté vers l’extérieur [côté latéral], et l’index sur le côté opposé à l’intérieur [côté latéral] seulement[455], puisque ces doigts n’ont aucune autre protection dans ces régions. C’est ainsi que nous pouvons voir la grande ingéniosité de la Nature dans la configuration du doigt tout entier ; je vais maintenant tenter d’expliquer dans quelle mesure les phalanges diffèrent de cette configuration générale.Il n’y a aucune phalange qui ne soit plus épaisse et plus compacte à son extrémité inférieure [tête] et supérieure [base]** Ici, gardez l’oeil sur les figures représentant les phalanges. que sur toute sa longueur [corps] ; c’est ce que nous constatons communément dans presque tous les os longs, qui sont toujours plus épais et plus volumineux près de l’articulation. En effet, si leur épaisseur était partout constante, leur poids et leur masse serait un inconvénient pour le vivant, et les articulations elles-mêmes seraient très peu solides, si elles n’avaient pas de larges bases pour bien s’ajuster. Ceci est donc le premier point sur lequel la forme des phalanges diffère de la configuration du doigt entier. Mais si les faces latérales du doigt étaient faites à l’imitation de la forme des phalanges, comme cela peut se voir chez des personnes maigres et émaciées, il y aurait un espace vide entre les doigts, et il serait impossible d’enserrer un liquide avec eux, sinon avec beaucoup de difficulté. Cette région des phalanges est pleine de cette substance adipeuse assez dure, que nous avons mentionnée il y a peu. Ensuite, chacun des os des doigt est bombé et convexe sur la face externe [dorsale], mais à aucun endroit il n’excède de beaucoup une ligne droite, même pas dans la région des articulations ; et même sur leurs faces latérales, ces os ne sont pas très proéminents près des articulations, si on excepte la première phalange du pouce, qui paraît plus volumineuse, aplatie et légèrement concave sur la face externe [dorsale], et non pas convexe comme les autres. En outre, les troisièmes phalanges des doigts sont certes convexes sur la face externe [dorsale], mais à partir de leur jointure avec la deuxième phalange elles s’inclinent un peu en avant, et sont moins convexes sur la face dorsale que les autres phalanges, car elles laissent une place pour l’ongle ; la région où elles sont moins bombées correspond à celle occupée par l’ongle, assurément pour empêcher le doigt tout entier d’avoir la troisième phalange plus saillante sur la face externe [dorsale] que celle des autres doigts. La face interne [palmaire] de chacun de ces os, loin d’être convexe, est déprimée et plutôt concave autant que la face dorsale est convexe : cependant ici aussi, vous mettrez à part la première phalange du pouce[456], parce qu’elle ressemble aux os du carpe[457] sur sa face interne. En effet, si ses extrémités supérieure et inférieure près des articulations sont davantage saillantes dans la région interne [palmaire] de la main, et qu’au milieu de son corps, cette phalange est concave vers l’intérieur [face médiale ou ulnaire], mais convexe vers l’extérieur [face latérale ou radiale], elle n'est cependant pas aussi large, aussi déprimée et aplatie que les autres phalanges, mais elle est plus convexe et plus saillante sur la face externe [dorsale] que sur la face interne [palmaire]. La nature n’a certainement pas fait cela au hasard ni sans raison : en effet sur la face interne de la deuxième et de la troisième phalanges du pouce, comme sur les trois phalanges des quatre doigts, des tendonsbb Voyez les mains dans les 5e, 6eet 7eplanches des muscles. ronds devaient s’étirer, et, si la surface interne de ces phalanges n’avait été large, déprimée et plus ou moins concave, ils n’auraient pu rester en place sur les os : car nous ne voyons jamais de corps cylindriques s’appuyer l’un sur l’autre.

×Le texte latin est erroné (minus) et sera d’ailleurs corrigé en 1555 (maius).
×La théorie vient de Galien, De usu partium I, 14, mais elle trouve son application dans les arts. On peut voir cette forme effilée de doigts de femmes chez les peintres de la Renaissance, cf. par exemple M. Brock, Bronzino, Paris, éds. Du Regard, 2002.
×Le chapitre 42 du livre II commence par un rappel des croyances de chiromancie attachées à ces parties charnues et aux monticules situés à la base des doigts.
×La position de référence du cadavre chez Vésale est généralement paume contre la table (cf. supra). Vésale distingue pour chaque phalange six faces, deux faces latérales qu’il différencie par rapport à l’axe du corps, soit une face tournée vers l’intérieur (médiale ou ulnaire) et une face tournée vers l’extérieur (latérale ou radiale), deux extrémités, une supérieure (proximale) et une inférieure (distale), une face externe ou postérieure (dorsale) et une face interne ou antérieure (palmaire). Le texte est donc assez confus si on ne suit pas en même temps les légendes sur les illustrations, comme le conseille la note marginale. Actualiser la description du membre supérieur selon les positions de référence contemporaines reviendrait à une réécriture complète.
×Il s’agit du premier métacarpien.
×Erreur pour métacarpe.