Livre I
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Et c’est pour la même raison que les Athéniens avaient décrété de couper le pouce des Éginiens, dont la flotte était trop puissante[469]. Parmi les autres doigts, l’index et le médius viennent après le pouce, par leur position comme par leur usage. En effet, grâce à eux, nous prenons de petits objets, et nous voyons bien que c’est principalement avec leur aide que nous réalisons des ouvrages dans tous les arts, et si nous faisons un effort plus énergique, ce sont eux qui nous sont surtout utiles. L’annulaire et le petit doigt sont d’un usage moindre que les autres, mais qui est néanmoins visible quand nous prenons un objet qui doit être entouré des doigts disposés en cercle. En effet si l’objet est liquide ou très petit, il convient de l’entourer avec les doigts parfaitement serrés les uns contre les autres, et le petit doigt aussi est adapté à ce geste, car il s’ajoute aux autres comme un couvercle. Au contraire, un objet peut être dur et si volumineux que les doigts ne peuvent l’entourer qu’à la condition d’être largement distants et écartés l’un de l’autre ; aussi nous voyons bien qu’un objet peut être saisi avec plusieurs doigts qui le prennent en entier ou séparément, et nous en concluons facilement combien il est important pour l’homme que les doigts puissent avoir à tour de rôle des mouvements latéraux d’addiction et d’abduction. En effet le pouce prend un objet de ce genre par dessous, tandis que les autres doigts entourent sa surface externe, et ainsi l’objet tout entier est pris dans un cercle. Cela étant ainsi, qui ne sait qu’avoir plus de cinq doigts serait superflu, puisqu’il a appris que cinq suffisent à la tâche ?Pourquoi les doigts sont de taille différente. La raison pour laquelle les doigts sont construits de taille différente, le médius l’emportant sur tous les autres en longueur, peut facilement être déduite du fait suivant : les extrémités des doigts se réunissent toutes au même point chaque fois que nous prenons un assez grand volume en l’entourant de nos doigts ou quand nous essayons de contenir avec nos doigts un liquide ou un petit objet. Pour saisir d’assez grands objets en les tenant solidement, pour les retenir, ou éventuellement pour les lancer et les rejeter, il convient que la prise soit le plus égale possible en tous les endroits. On voit en effet que les cinq doigts se réunissent pour former la circonférence d’un cercle, quand nous embrassons avec eux un objet parfaitement sphérique. En outre, pour bien refermer les mains, si on a l’intention d’y enserrer un objet petit ou liquide, il est évident que l’inégalité des doigts est utile, et que la position du pouce ne contribue pas peu à cette fonction[470].Le pouce est bien placé. Comme le pouce est opposé aux autres doigts dans son office, il fallait que sa position fût également en opposition. Mais s’il avait été placé en parfaite opposition, revendiquant pour lui la région au milieu du poignet, il aurait assurément gêné la main dans un grand nombre de fonctions, en particulier celles que nous accomplissons avec la paume d’une main, ou avec les deux paumes en même temps ; il était donc nécessaire qu’il fût placé sur le côté et bien séparé et écarté des autres doigts. Comme la région transversale de la main s’étend à égale distance vers l’index et vers le petit doigt, il valait mieux que le pouce fût situé à proximité de l’index et lâchement articulé avec la rangée inférieure [distale] des os carpiens (comme cela a été rappelé précédemment). En effet les mains devaient pouvoir se tourner l’une vers l’autre aux index, et s’écarter l’une de l’autre aux petits doigts ; et, en outre, dans les flexions extrêmes des doigts, le petit doigt ne laisse aucune espace vide alors que l’index laisse un grand espace, qui peut être fermé et bouché à l’aide du pouce en guise de couvercle.

Chapitre XXVIII. Les osselets comparés à des grains de sésame.

La première figure placée au début du vingt-cinquième chapitre est d’une grande utilité pour ce chapitre, car elle montre la surface interne [palmaire] de la main avec les osselets qui restent à décrire dans ce chapitre, marqués des caractères N, T, V, V, X, Y : N et T se voient également sur la deuxième figure de ce chapitre. Ils sont également montrés sur la deuxième figure placée au début du trente-troisième chapitre, avec les caractères μ (également visible ici dans la première figure), ψ, ω et *. Les figures représentant les squelettes complets montrent également ces osselets marqués k.

Par ailleurs, sur cette planche [en regard du texte] on a dessiné deux osselets, le premier se trouve à la première articulation du pouce [de l’hallux] dans le pied (il est marqué ψ et ω dans la figure mentionnée précédemment. A indique ici la surface inférieure de l’os placé du côté interne reposant sur le sol. B la surface supérieure du même os, en regard de l’os du pied [du métatarse] soutenant l’hallux. C indique la surface inférieure [supérieure] de l’os externe et plus petit, D sa surface supérieure [inférieure][471].

Les professeurs d’anatomie ont mentionné certains osseletsbb Voyez le schéma au début de ce chapitre. et enseignent qu’ils comblent des articulations, qu’ils les maintiennent et les rendent fermes afin qu’elles soient moins exposées aux luxations ; mais personne, que je sache, n’a dit dans quelles articulations ils se placent ni dans quelles parties du corps on les trouve.Dans quelles parties on trouve les sésamoïdes. C’est pourquoi il ne sera pas inopportun que j’indique ici les lieux où j’ai trouvé des osselets de ce genre ; cependant je conseille à tout un chacun de rechercher par soi-même dans un plus grand nombre d’articulations ces os que je vais décrire. En effet, au fil du temps et progressivement, j’ai observé ces osselets dans les articulations en plus grand nombre que je ne pensais en trouver au début.

×La citation fait référence au décret pris par les Athéniens de couper le pouce droit aux prisonniers, afin de les empêcher de manier la lance (plutôt que la rame, comme l’écrit Vésale). L’anecdote figure dans «  La vie de Lysandre » (chapitre 16) des Vies des hommes illustres de Plutarque et est reprise par Montaigne, Essais, II, 26 («  Des pouces »).
×Cf. Galien, De usu partium I, 5. L’éloge de la fonction préhensile de la main est reconduit chez Vésale dans une série d’exercices pratiques qui associent le lecteur à l’explication.
×La légende est inversée par rapport au dessin.