Livre I
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lorsque le cadavre sera remis sur le dos, il convient de séparer, à l’aide d’un petit couteau très fin, la petite tête costale de la cavité du corps vertébral, de détacher ensuite peu à peu les ligaments, et de détacher également les côtes des processus transverses des vertèbres, de les nettoyer rapidement et de les placer dans le chaudron.
   Traitez les jambes comme vous avez fait pour les bras, en ôtant les chairs de toute la cuisse, puis de la jambe et du pied. Cependant, lorsque vous aurez dénudé le genou, dégagez la patella des tendons qui occupent la face antérieure du genou, et placez-la dans le chaudron avec le fémur après l’avoir séparé de l’os coxal et du tibia et après avoir reséqué les cartilages qui augmentent les cavités du tibia recevant les têtes fémorales ; il ne sera pas inutile de coller ces cartilages sur le papier, avant de mettre le tibia, la fibula et le pied dans le chaudron. Après avoir procédé ainsi pour les deux jambes et avoir quelque peu nettoyé les os articulés de chaque côté du sacrum, il convient d’inciser très proprement les ligaments cartilagineux entre les corps des vertèbres et de les disposer dans l’ordre sur le papier. Donc, après avoir enlevé avec un couteau bien pointu ces ligaments qui recouvrent la surface des corps des vertèbres, faites une incision entre le haut du sacrum et le ligament cartilagineux intermédiaire entre le sacrum et la vertèbre lombale inférieure, pour séparer ce ligament, ou ce cartilage, comme le croyait Galien, du sacrum. Ensuite, faites une incision identique entre le corps de la vertèbre lombale inférieure et la partie supérieure du cartilage susdit, et de cette façon, retirez le cartilage entier ; quand vous l’aurez déposé sur le papier, ôtez les cartilages suivants jusqu’à ce que vous arriviez à la deuxième vertèbre cervicale. Donc, comme vous aurez déposé sur le papier vingt-trois cartilages ou ligaments cartilagineux de cette façon, vous pourrez séparer le rachis en trois ou quatre parties, en procédant avec douceur, sans mouvement violent, pour ne pas risquer de briser quelque processus vertébral. Il faudra être attentif à ne pas vouloir séparer sans soin la première vertèbre et la tête. Vous pourrez déposer alors dans le chaudron les vertèbres cervicales en même temps que la tête, et les vertèbres thoraciques avec les lombales, à condition que ces dernières aient été auparavant séparées du sacrum. Mais rien n’empêche de mettre dans le chaudron le sacrum avec les os qui lui sont joints (c’est à dire l’ilium, l’os coxal et l’os du pubis), car il est réellement difficile et ardu de séparer le sacrum et les os de la hanche lorsqu’ils sont encore crus[605], et cela pourrait même endommager le cartilage des os du pubis ; mais vous conserverez ce dernier intact, si vous jetez dans le chaudron les os du pubis sans les séparer.
   Après avoir ainsi placé les os dans le chaudron, remplissez entièrement ce dernier d’eau, de telle sorte que les os soient profondément immergés dans l’eau et qu’aucune partie n’émerge. En effet, pendant tout le temps de la cuisson, il faut veiller à ce qu’aucun os n’apparaisse à la surface, surtout pour éviter que la partie qui dépasserait du chaudron ne soit salie par la fumée ; c’est pour cela que le chaudron doit être grand. Aucune technique particulière n’est requise pour toute la cuisson, mais, comme pour toutes les autres choses que l’on fait bouillir, il faut écumer avec soin, pour éclaircir le liquide et pour retirer des os plus propres. Pour la même raison, toute la graisse (qui remonte habituellement à la surface de l’eau) doit être enlevée et déposée dans un récipient, ceci au bénéfice des gens du peuple, qui lui attribuent le pouvoir de dissimuler les cicatrices et de développer les nerfs et les tendons [des muscles][606]. Il n’y a pas de temps prédéfini pour la cuisson, puisque celle-ci est fonction de l’âge. Deux ou trois heures sont plus que suffisantes pour faire bouillir des os de petits enfants principalement, puisqu’il faut veiller à ce que les appendices restent en place pendant que les os sont nettoyés, alors que, chez les adultes, leur séparation est quasiment impossible, même si vous les faites bouillir longtemps. Donc le but de la cuisson est de pouvoir nettoyer les os comme avec un couteau, comme cela se fait au cours d’un repas ; mais pour faire cela plus facilement, enlevez précautionneusement quelques os du liquide bouillant à l’aide d’une pincette et nettoyez-les en étant seul, sauf si un compagnon d’études vous assiste, qui puisse mettre la main à l’ouvrage. Mais il faut être extrêmement vigilant, de crainte que quelqu’un d’inexpérimenté n’aille abîmer les sourcils, les processus, les têtes et les cavités des os en les grattant, ou qu’il n’arrache, par manque de précaution, une partie du cartilage lisse qui recouvre les os comme une croûte ; vous devez soigneusement préserver ces parties quand vous enlevez la chair, les ligaments, les tendons et les membranes recouvrant les os. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je ne voudrais pas confier ce travail à quelqu’un d’incompétent ou qui montre peu d’intérêt pour l’Anatomie, mais c’est parce que, quand vous nettoyez personnellement chaque os, vous voyez très exactement ses cavités et ses têtes, et surtout la nature des ligaments, l’insertion des tendons et la sortie des muscles. Je ne saurais assez dire combien ce travail vous préparera à la connaissance des parties [du corps]. Donc, quand vous aurez ainsi retiré les os du liquide bouillant, déposez-les en ordre, une fois nettoyés, sur le sol ou dans un panier, et ne vous inquiétez pas de savoir quel os se présentera à vous en premier. En retirant la main avec les os de l’avant-bras, soyez cependant très attentifs à ne pas arracher, par un mouvement trop violent, le carpe des os de l’avant-bras ; mais avec un couteau, séparez peu à peu les ligaments de l’articulation, afin de détacher soigneusement le carpe des os de l’avant-bras. Faites de même pour séparer les os du métacarpe du carpe. Je voudrais que vous évitiez de disjoindre les os du carpe les uns des autres, mais qu’au contraire vous sépariez le carpe tout entier des os de l’avant-bras, de la première articulation du pouce et du métacarpe, en enlevant seulement les tendons et les ligaments qui lui sont attachés, mais en veillant à ce que les os du carpe ne soient pas complètement nettoyés des ligaments qui les maintiennent sur leur surface interne et externe, de telle sorte que les os du carpe restent attachés ensemble au moyen de ces ligaments. En effet, lorsque le carpe

×C’est-à-dire avant de les faire bouillir.
×Généralement, c’étaient les bourreaux qui exploitaient les vertus thérapeutiques attribuées à la graisse humaine, cf. B. Méniel, «  Le bourreau en France à la Renaissance », in J.P. Pittion et S. Geonget (éd.), Droit et justice dans l’Europe de la Renaissance, Paris, H. Champion, 2009, p. 209-223 [213].